Décriminalisation du travail du sexe en Belgique : "Dans notre communauté, on a vu une différence énorme avant et après"

Le 2 juin, la loi décriminalisant le travail du sexe est entrée en vigueur en Belgique. Une première en Europe. Elle permet notamment de bénéficier d'une protection sociale et juridique, au même titre que tous les travailleurs indépendants. Une avancée "historique" pour le syndicat professionnel belge Utsopi.

C'est une "avancée historique" pour le syndicat professionnel Utsopi. Le 1er juin est entrée en vigueur, chez nos voisins belges, la loi qui décriminalise le travail du sexe. Le Belgique devient ainsi le premier pays d'Europe à adopter cette politique, et le deuxième état au monde, après la Nouvelle-Zélande. La décriminalisation était un souhait du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, qui a étroitement associé au projet de loi les associations de travailleuses et travailleurs du sexe.

Le collectif Utsopi militait, depuis des dizaines d'années, pour l'adoption de ce système. "Nous avons été entendus, écoutés, consultés, et on est très contents de ce texte. On y travaille ensemble avec les libéraux flamands depuis 2020. C'est un timing record pour faire paraître une loi sur un sujet si sensible ! Mais je dois dire j'ai des camarades ici qui militent pour cela depuis 25 ans. Les politiques n'avaient simplement jamais été à l'écoute", relate son co-président, Daan Bauwens.

Pas légalisation mais décriminalisation

Chaque travailleur a des droits : la protection, la sécurité au travail

Daan Bauwens, collectif Utsopi

La voie de la légalisation, un modèle en application en Suisse ou en Allemagne, a été abandonnée d'entrée de jeu. "Dans ces pays, il faut être enregistré auprès de l'Etat en tant que travailleuse du sexe, il faut un permis pour pouvoir exercer. Et il y a tellement de conditions que ça engendre une situation où la plupart disparaissent sous le radar. Donc, quand elle sont victimes de violences, quand elles contractent une infection, elles ne vont pas se rendre chez le médecin ou auprès de la police. Nous, on appelle ça la criminalisation par la porte de derrière."  En Allemagne, ces dispositions n'ont d'ailleurs pas eu les effets espérés. Les modèles de pénalisation appliqué en Suède ou en France sont également vivement critiqués : une enquête sur le bilan de la loi de 2016 sur la pénalisation des clients a mis en lumière la forte dégradation des conditions d'exercice des travailleuses. "Est-ce que la moralité pèse tant que l'on pousserait des milliers de personnes, surtout des femmes, dans l'abîme ?", s'interroge gravement Daan Bauwens.

Avec la décriminalisation telle qu'elle s'applique désormais en Belgique, les travailleuses et travailleurs du sexe disposent désormais des mêmes droits que l'ensemble des indépendants, et notamment celui d'accéder à la sécurité sociale, au congé maternité, à un parcours de soins ou encore au chômage. En effet, la pandémie de covid-19 s'est traduite, pour ces professionnels, par une perte de revenus immédiate et massive.

"Chaque travailleur a des droits : la protection, la sécurité au travail. Si on dit que c'est un métier "à risque", pourquoi est-ce que l'on exclut les travailleurs de cette protection accessible à tous les autres ? C'est ça la logique. Et cela ne veut pas dire qu'on ferme les yeux sur la souffrance qui existe dans le milieu", explique Daan Bauwens.

"La précédente loi belge faisait un lien par définition entre le travail du sexe et le monde de la criminalité. Il y a des liens, mais de la même manière que la finance, par des systèmes comme les paradis fiscaux, a un lien avec la criminalité. Quand un secteur tout entier n'existe pas aux yeux de la loi, on n'a pas les moyens de lui demander le respect des conditions de travail : on oblige à cette criminalité, on engendre de l'exploitation" estime-t-il.

Proxénétisme, abus, violences sexuelles : des peines doublées

A l'inverse, en considérant les travailleurs du sexe comme des indépendants, les moyens de la police et de la Justice peuvent être réorientés pour repérer, prévenir et empêcher les situations d'abus, d'exploitation et de travail forcé. Avec la loi de leur côté, les travailleuses et travailleurs du sexe sont désormais en position de pouvoir dénoncer ces agissements auprès des autorités.

En effet, si le travail du sexe est décriminalisé, le proxénétisme, lui, sera plus sévèrement condamné par la nouvelle loi. Les peines pour viols et violences sont doublées, et le recueil du consentement explicite est formalisé dans le texte. "Si une personne est embauchée contre sa volonté, dans des conditions inhumaines ou sans respect du cadre du travail (c'est-à-dire des locaux, des congés, des compensations sociales...), son employeur est considéré comme un proxénète et poursuivi", illustre Daan Bauwens.

Il s'agit là d'un volet essentiel de la loi : la ministre Belge de l'égalité estimait, en 2012, que 80% des travailleurs du secteur étaient employés sous la contrainte.

De plus en plus de travailleuses se réunissent, parlent dans les médias : elles ont moins honte, puisqu'elles sont soutenues par la loi.

Daan Bauwens, collectif Utsopi

Dans la communauté des travailleur(es)s du sexe "on a vu une différence énorme avant et après le vote de cette loi, garantit le militant. De plus en plus de travailleuses se réunissent, parlent dans les médias : elles ont moins honte, puisqu'elles sont soutenues par la loi. Il y a de plus en plus de personnes qui menaient une double vie, à l'isolement, et qui n'ont plus à en faire un secret. Ce texte est un symbole de notre lutte, et j'espère qu'il pourra changer les mentalités."

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