Après une accalmie de près de deux ans, le retour des festivals a été marqué par une volonté de faire mieux pour le bien-être, la sécurité et le futur de tous. Illustration de ces engagements environnementaux, féministes et inclusifs renforcés lors de la 20ème édition des Nuits Secrètes, à Aulnoye-Aymeries dans le Nord.
Le soleil est encore au zénith lorsqu'au troisième et dernier jour des Nuits Secrètes, des concerts résonnent déjà sur le site d'Aulnoye-Aymeries, dans le Nord. 16h30. Il est justement l’heure pour Les Catherinettes d’enfiler leur chasuble violette - couleur historique du féminisme - et de se mêler à la foule grandissante. "Bonjour, enchanté ! Vous savez qui on est ?", s’enquiert Juliette* auprès d’un groupe d'amis assis à l'ombre : "On fait de la prévention sur les violences pendant le festoche, histoire que chacun se sente bien. Si vous êtes victime ou témoin d’une situation dérangeante, n’hésitez pas à venir vers nous !", dit-elle, un grand sourire aux lèvres.
Co-fondatrice de l’association nantaise Les Catherinettes, qui accompagne depuis 2020 les structures culturelles dans la prévention des violences sexistes et sexuelles, Juliette a participé à la formation des bénévoles mobilisés pour la première fois aux Nuits Secrètes, du 22 au 24 juillet dernier. La priorité affichée du festival pour cette 20ème édition ? La prévention à tous les niveaux, notamment pour veiller au bien-être et à la sécurité des 55 000 festivaliers venus chanter et danser sur Orelsan, PNL, Ascendant Vierge ou encore Charlotte de Witte.
Car après deux éditions bousculées par le Covid, l'association organisatrice Les Nuits Secrètes entend s'engager encore davantage. "C’est grâce à cette année blanche que nous avons pris le temps de nous poser et de structurer notre démarche", raconte Marion Toche, coordinatrice démarche écoresponsable de l'événement. "Ça fait partie de notre ADN de mener des actions qui ont un impact sociétal et environnemental", ajoute-t-elle. Par exemple, une cagnotte solidaire permet chaque année à 100 personnes d'assister gratuitement au festival, un dispositif d'accessibilité pour les personnes en situation de handicap est déployé et les fournisseurs locaux sont privilégiés.
Focus sur les violences sexistes et sexuelles
Cette année, Marion Toche, qui travaille depuis six ans pour le festival en tant qu'indépendante, note toutefois que "la question des violences sexistes et sexuelles est abordée de manière plus conséquente et frontale". L'objectif étant de "prévenir et d'agir" pour proposer une fête "safe" et responsable. C’est dans cette optique qu’une vingtaine de bénévoles, chapeautés par des membres des Catherinettes, se sont relayés par petits groupes durant le week-end.
Leur rôle ? Être vus et identifiés par le public pour être sollicités et réactifs en cas de besoin, mais aussi faire connaître les divers dispositifs mis en place. Lors de la maraude, Juliette, Manon et Pascaline distribuent en effet des flyers pour l’application "Safer", déployée pendant le festival. Victime ou témoin, toute personne qui se sent gênée, harcelée ou en danger peut lancer une alerte et demander de l’aide. "Les festivaliers nous disent merci et nous félicitent, on sent une envie de la part des publics", se réjouit Juliette, coordinatrice de cette présence bienveillante et constante qui a su rassurer le public.
Lors du festival, le public s'est emparé de ces outils, ce qui a permis à deux auteurs d'agression sexuelle d'être appréhendés grâce à l'application Safer. "Sur l’un des cas, pour l’identifier, nous avons discuté par chat en direct avec la victime. Puis nous nous sommes rapprochés, en accord avec elle et la sécurité", raconte ainsi Juliette, également détentrice d’un téléphone d'astreinte, accessible même la nuit pour assurer la sécurité au camping.
Au total, une dizaine de personnes ont pu être accueillies et prises en charge par l'association durant le week-end. "On a pu les aiguiller au maximum. Il y a eu une vraie communication avec les secouristes et la sécurité", explique à l'heure du bilan celle qui a géré l'équipe de prévention.
Notre démarche responsable s'inscrit dans le fait de dissuader des comportements malveillants. À nous de s’équiper et de s’armer au niveau de la prévention.
Marion Toche, coordinatrice démarche écoresponsable
Toutes les victimes ont ensuite été prises en charge par l'association. Elles ont été informées sur leurs possibilités et leurs témoignages ont été pris en note pour accompagner une éventuelle plainte, si celle-ci était souhaitée. "Ces traces écrites donnent plus de poids à la police, explique Juliette. Et le festival peut aussi déposer une main courante."
L’association, qui a d'ailleurs dû refuser une centaine de sollicitations de festivals cette année, transmet également un bilan anonymisé à la structure partenaire, ici les Nuits Secrètes. "Nous sommes très conscients des risques induits par notre événement, c’est pourquoi notre démarche responsable s’inscrit aussi dans le fait de dissuader les comportements malveillants", explique Marion Toche : "À nous de s’équiper et de s’armer au niveau de la prévention."
"Planter des graines"
Une prévention qui passe par la sensibilisation. Être un festivalier aux Nuits Secrètes, c'est ainsi faire passer l'attente au bar, au foodtruck ou aux toilettes en lisant diverses affiches sur ce qu'est le consentement, une agression sexuelle ou un viol du point de vue de la loi, ou sur la manière d’intervenir en tant que témoin. Être festivalier, c'est aussi croiser, au cours de la soirée, des personnes en chasuble bleue accroupies pour trier les poubelles ou pour transporter un sac rempli de déchets. Durant le week-end, 80 bénévoles faisaient en effet partie d’une "Green Team" mobilisée pour la propreté du site.
C’est, enfin, pouvoir se rendre pour les plus envieux au stand "Nuits Douces", où huit associations écologiques et de prévention des risques étaient disponibles pour échanger : World clean up day, Green Tsunami, Les Catherinettes et même la CPAM du Hainaut pour les risques liés à la consommation d’alcool et de drogues.
Des jeux et des ateliers y étaient proposés autour des déchets, des questions de durabilité d'un festival ou de lutte contre les discriminations. "Il y a eu une présence continue au stand des Catherinettes, se réjouit Juliette. Des hommes nous disent 'j’ai appris plein de choses, je ne me rendais pas compte de ça, j’en parlerai à mes potes'", rapporte-t-elle avec satisfaction, elle qui aime à répéter : "On plante des graines."
Tous responsables
Des échanges bienveillants qui, en faisant appel à la responsabilité des festivaliers sur différents aspects, permettent de faire évoluer les mentalités. De quoi offrir un cadre festif de plus en plus sûr. Juliette, quand on lui demande ce qu’est justement une soirée "safe", insiste sur une responsabilité à tous les niveaux : "C’est une soirée où le consentement est de mise et assimilé par tous, y compris par les personnes qui travaillent, y compris en backstages, et où le fait d’agir dès le sexisme est normalisé et transmis aux festivaliers", définit-elle. Un rôle que les Nuits Secrètes souhaitent tenir en investissant du temps, de l’énergie et de l’argent à différentes échelles. Le tout afin de proposer des dispositifs complets et structurés.
Une soirée "safe" est une soirée où le consentement est de mise et assimilé par tous, y compris par les personnes qui travaillent, y compris en backstages, et où le fait d’agir dès le sexisme est normalisé et transmis aux festivaliers.
Juliette, co-fondatrice des Catherinettes
Parmi les évolutions, il y a par exemple l’intégration de Juliette, des Catherinettes, dans le protocole de sécurité du festival. Ou encore la rémunération de l'association pour son accompagnement sur le long terme : en plus du dispositif durant le week-end, les organisateurs du festival et les bénévoles suivent en effet une formation d’un jour, un mois à deux semaines avant les festivités. Dans le futur, elle pourrait même concerner les agents de sécurité, comme l’évoque Marion Toche. Toutefois, ce n'est pas acté puisqu’elle le rappelle : "Un festival est un laboratoire de nouvelles pratiques. Tout est en constante évolution."
Et s’inscrit dans une démarche d’amélioration, notamment du côté de l'écologie à travers des leviers d’action qui bousculent les normes. Depuis plusieurs années, le festival fait appel aux services de Maëva Justice. À chaque édition, cette freelance de 38 ans devient chargée de développement durable cinq mois avant le festival. Un poste qui prouve la responsabilité écologique des Nuits Secrètes, bien décidé à diminuer son empreinte carbone (la mesure des émissions de gaz à effet de serre, causés par des facteurs d’émission). Maëva se met justement à les citer, par ordre d’importance dans l’organisation d’un festival : la mobilité, d’abord, d’où le partenariat avec la SNCF pour militer en faveur des transports en commun. Au début du festival, 5 000 tickets TER à un euro avaient ainsi été vendus.
Le second tient à l’alimentation proposée : les menus des foodtrucks, choisis en fonction de leurs engagements, se veulent donc au maximum locaux, bios et faits maison. Le crédo cette année ? Une offre à 50% végétarienne et moins de viande rouge. L'équipe du festival aurait aimé ne pas en proposer du tout, mais Maëva avoue que ça aurait "peut-être été un peu trop drastique. Les comportements alimentaires sont très longs à changer", rappelle-t-elle. Et elle prévient : "Pas de double vitesse !" : "Les mêmes règles s’appliquent pour les artistes." Ainsi, en loges, comme sur l'ensemble du festival, les demandes des 70 artistes ont été filtrées : plus de coca ou de produits agro-industriels !
Enfin, le troisième poste d’émissions concerne la consommation d’eau et l’énergie : seules des toilettes sèches ou à dépression étaient donc disponibles. Mais puisque tout festival nécessite des groupes électrogènes et du gazole, il est essentiel pour Les Nuits Secrètes de choisir des prestataires aux groupes performants et entretenus afin qu’ils consomment moins de gaz.
Calculer l’empreinte carbone du festival
Quant aux déchets, le plus visible durant le festival, un premier tri est réalisé directement sur le site et des poubelles spéciales mégots ont été mises en place. Ils seront ensuite envoyés à un prestataire pour les valoriser et leur offrir une seconde vie d’isolant de toitures. "Mais la signalétique est à revoir. Les personnes ne font pas la différence entre les poubelles", note Maëva au troisième jour, bien consciente des futures améliorations à apporter : "Vous voyez, là je n’ai aucun chiffre à vous donner, avoue-t-elle. Mais on va faire un bilan pour récupérer de la data et regarder si nos actions ont de réels effets. Le prochain objectif est de calculer précisément notre empreinte carbone."
Les festivals seraient-ils donc les nouveaux représentants du développement durable ? C’est en tous cas la volonté des Nuits Secrètes. Sa direction, composée de six membres permanents et de freelances, milite ainsi pour que les engagements pris soient reconnus au niveau du ministère de la Culture. "C’est en cours", confie Maëva, convaincue du rôle essentiel du monde de la nuit dans le changement des mœurs : "Ils sont prescripteurs de tendance. En montrant aux festivaliers qu’on peut se passer de viande rouge pendant trois jours, peut-être que ça créera des changements dans la vie quotidienne."
Nous sommes conscients que ce n’est plus souhaitable de rassembler 50 000 personnes. Il va falloir que nous tendions tous vers cette question de la sobriété.
Marion Toche
Ces batteries de mesures rappellent en tous cas l’urgence de la situation, et c’est bien le but. C’est pourquoi Les Nuits Secrètes mesurent la réception et l’impact de celles-ci sur les festivaliers, à travers une communication importante sur les réseaux sociaux et des questionnaires à l’achat du billet, puis à l’issue du festival. Désormais, il n’y a plus qu’à attendre les retours pour faire encore mieux en 2023.
"Un festival ne peut plus être qu’un enchaînement de concerts. Il y a une nécessité d’accompagner le changement de pratique", assène en ce sens Marion Toche. Pour le public, mais aussi pour le monde de la nuit : "Nous sommes conscients que ce n’est plus souhaitable de rassembler 50 000 personnes. Il va falloir que nous tendions tous vers cette question de sobriété", défend la coordinatrice de la démarche écoresponsable. Pour elle comme pour Maëva, il en va de l’avenir des festivals : "Si on veut qu’ils soient encore présents en 2030, il faut qu’on arrête la démesure."
*Le prénom a été modifié.