Des premiers candidats en 1809 au grand oral de 2021 en passant par la tradition de la philo : 200 ans d'histoire du bac

Jeudi 17 juin, comme chaque année, la philo ouvre le bal des épreuves du baccalauréat dans les filières générales et technologiques. Si cette tradition remonte à 1970, le bac, lui, fait son apparition il y a plus de 200 ans. Petit cours d'histoire.

 

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"T'as passé quel bac, toi ?" À l'approchede mi-juin et de la philo qui ouvre le bal des épreuves du bac, c'est invariablement la question que l'on pose. Et à moins que votre interlocuteur ne soit tout juste majeur, voire pas encore, il y a fort à parier que le bac qu'il a passé n'existe plus.

Et j'avoue que depuis 2019, ça me fait plaisir de savoir que même mon collègue de 25 ans a passé un bac qui n'existe plus. Moi, qui commençait à avoir le nez qui frise à force d'entendre de la bouche de tous les pré-trentenaires : "A2 ? C'est quoi ce bac ? Je connais pas. C'est l'ancien L non ?"

Le bac à la Française

De là à dire que je suis veille parce que j'ai un bac qui date d'avant 1993, il n'y avait qu'un pas. Les voilà donc eux aussi avec un bac en poche qui n'existe plus. Et comme disait ma grand-mère, "y a pas de petits plaisirs" !

Oui, j'ai passé un bac A2, lettres et langues... Un bac disparu donc en 1993. Mon petit frère a un bac S. Ma mère a passé une partie des épreuves de son baccalauréat en première, l'autre en terminale. Ma nièce a le droit à la nouvelle formule avec grand oral. Mon père n'est pas allé à ses épreuves de bac de maths élem. Quant à ma grand-mère, elle n'a pas passé son bac puisqu'au début des années 30, les filles qui tentaient d'obtenir ce diplôme étaient plus que rares. 

Ce rapide résumé de l'histoire scolaire d'une partie de ma famille montre à quel point l'existence de ce diplôme a été pour le moins mouvementée depuis sa création. Un diplôme qui est devenu au fil des siècles tellement plus qu'un simple examen : le bac, c'est un rite de passage à l'âge adulte, la clé vers l'indépendance. "Le baccalauréat en France a une particularité qui n'existe pas dans les autres pays, explique Bruno Poucet, professeur d'histoire de l'éducation à l'Université Picardie Jules Verne à Amiens. Il clôt les études secondaires et en même temps, c'est le premier grade de l'enseignement supérieur puisqu'il permet d'entrer à l'université."  

Une histoire qui commence tôt

On trouve trace d'un diplôme appelé "baccalauréat" dès le 12ème siècle avec la création de l’université de Paris qui dispense des cours de théologie, médecine, droit et arts. Il ne s'agit pas à proprement parlé d'un diplôme qualifiant. C'est en fait un échelon vers l’obtention du doctorat. Il s'agit d'un diplôme que seuls les garçons peuvent passer. "Sous l'Ancien régime, au 16ème siècle, il n’y a pas de faculté de lettres ni de faculté de sciences, il y a uniquement des facultés de théologie, de droit ou de médecine, raconte André Chervel, linguiste et chercheur au Service de l'histoire de l'éducation. Le baccalauréat était un baccalauréat de théologie, de droit ou de médecine. C'était un examen pour les étudiants qui avaient commencé leurs études et qui les menait ensuite à la licence et au doctorat." 

Avec la Révolution française, les universités et avec elles, le baccalauréat, trop élitistes, sont supprimées.

Napoléon, le père du bac moderne

C'est Napoléon 1er qui va en quelque sorte recréer le baccalauréat moderne par un décret du 17 mars 1808. "Il s'agissait alors de s'assurer que les personnes qui vont exercer des professions réglementées comme avocat, professeur, militaire gradé, toutes ces professions dont le pouvoir a besoin pour assurer les cadres moyens et supérieurs qui seront l'armature de l'Empire, auront les connaissances adéquates", détaille Bruno Poucet. Par ce décret, l’Université obtient le monopole de l’enseignement.

L'Empereur créé également les Académies (qui existent toujours aujourd'hui), l'université de lettres et l'université de sciences. "Il leur accorde le même examen que celui qui existait déjà pour les autres facultés. Et c’est seulement avec la création du baccalauréat ès lettres et ès sciences que l’examen va devenir un droit d’entrée à l’université", précise André Chervel.

La première session du baccalauréat a lieu en 1809. Les candidats doivent être âgés d'au moins 16 ans. Ils ne sont que 31 à se présenter. Ce sont l'Académie de Douai et celle d'Amiens qui présentent le plus de candidats : 10 et 9.

Seulement un oral et beaucoup de latin

L'examen ne comporte qu'une épreuve orale d'une durée de 30 à 45 minutes portant sur des auteurs grecs et latins, sur la rhétorique, l’histoire, la géographie et la philosophie. On fait lire au candidat un texte et on lui pose des questions essentiellement sur la rhétorique. "Les candidats sont interrogés sur ce qu’ils apprennent lors de leurs dernières classes d’enseignement secondaire qui sont les classes de rhétorique et de philosophie. C’était un usage. Et peu à peu, l’usage va devenir la règle", selon André Chervel. L'examen n'est pas sanctionné par des notes.

"A cette époque, l'examen est décerné par des enseignants du supérieur. Dans le jury, il n'y a que des professeurs d'universités, personne du secondaire. C'est l'enseignement supérieur qui a la main sur le bac", précise Bruno Poucet.

Lors des premières sessions, les examinateurs interrogent les candidats sur ce qu'ils veulent. Il y a donc des disparités très grandes d'une région à une autre. Le ministère de l'Instruction publique décide donc progressivement d'imposer les mêmes questions aux candidats de toute la France : les élèves se retrouvent alors devant une urne avec des centaines de boules numérotées, ils tirent une boule et ils doivent réciter les connaissances qu'ils ont sur la question correspondant au numéro sur la boule.

"Le résultat, ça va être que les élèves vont faire du bachotage, ils vont réciter par cœur. On voit même se créer des structures pour les entraîner à "se chauffer" qu'on va appeler des "chauffoirs", raconte Bruno Poucet.

L'écrit pour relever le niveau

En plus, on se rend compte que nombre de candidats sont particulièrement mauvais en orthographe. Alors, pour élever le niveau du bac, une épreuve écrite est introduite en 1830 en même temps qu'on sépare l'examen de lettres de celui de sciences. L'écrit consiste en la rédaction d'un texte en français ou la fameuse version latine (la traduction d'un passage de l'œuvre d'un auteur latin dit classique). En 1840, apparaissent les mentions qui vont de très bien à mal.

Au cours du 19ème siècle, de nouvelles matières sont inscrites aux épreuves du baccalauréat, dont les langues vivantes en 1853. Le bac est alors scindé en deux temps : la rhétorique (composition latine et française) en première et soit la philosophie, soit les maths en terminale.

Le français remplace le latin

1880 est un tournant dans l'histoire du baccalauréat : jusqu'alors, l'une des épreuves majeures du bac, c’est la composition latine. Jules Ferry, le père de l'école gratuite et de l'instruction obligatoire et laïque, la remplace par une rédaction en français sur un sujet de littérature ou d'histoire.

"A partir de ce moment, même s’il reste d’autres épreuves en latin comme la version latine, le latin commence à avoir du plomb dans l’aile, c’est le moins que l’on puisse dire !", s'amuse André Chervel. 

10 ans plus tard, le système de notation fait son apparition, allant déjà à l'époque de 0 à 20.  

En 1901, la première loi qualifiant la fraude à l’examen du bac comme étant un délit est adoptée. En 1902, sont créées 4 filières pour le bac : latin-grec, latin-sciences, latin-langues et langues-sciences... Pour la première fois, le cursus scientifique est reconnu à part entière.

Et les filles dans tout ça ?

Nous sommes en 1924, date à laquelle les filles ont officiellement le droit de passer le baccalauréat. Il y a bien eu quelques rebelles entraînées par l'audace de Julie-Victoire Daubié qui, à 37 ans, s'inscrit à l'épreuve du bac dans l'Académie de Lyon en 1861.

Une inscription que le recteur refuse puis finit par accepter sous la pression de l'impératrice Eugénie.

"Les filles n’existent pas dans cette société totalement machiste, explique Bruno Poucet. En 1830, on crée des écoles normales pour former les instituteurs à la grammaire et à l’orthographe qu’ils ne connaissent pas. Les écoles normales pour former des institutrices, il faudra attendre 1879 ! C’est à cette date également que les lycées de filles sont créés". 

Avant les lycées, l'éducation des jeunes filles s'arrête à la fin de l'école primaire. Les études secondaires pour les filles ne sont pas interdites mais elles sont dispensées soit dans le cadre privé soit dans des congrégations religieuses. On leur apprend à être de bonnes épouses, de bonnes maîtresses de maison et de bonnes mères.

Des apprentissages qui se retrouvent dans les lycées de filles de la fin du 19ème siècle qui ne préparent aucunement leurs élèves à passer le bac : "la conception de la condition féminine de l’époque n’est pas très loin de celle de l’Ancien régime ! Les jeunes filles, ce sont de futures mères au foyer et c’est tout... On estime qu'elles n’ont pas à exercer une profession réglementée. Le baccalauréat étant la clé pour entrer à l’université où on formait à exercer ces professions, on ne prépare pas les filles à passer le bac : pour ne pas qu’elles deviennent avocates ou médecins. Mais elles ont quand même droit à un diplôme de fin d'étude !", ironise Bruno Poucet.

De plus, dans ces lycées, le latin n'est pas enseigné aux jeunes filles alors qu'il est l'une des épreuves obligatoires du baccalauréat. Julie-Victoire Daubié, par exemple, a dû apprendre le latin avec son frère qui était curé. "Progressivement, des parents, plus ouverts, vont faire pressions sur les directrices des lycées de jeunes filles pour que l'enseignement du latin entre dans ces établissements scolaires, explique Bruno Poucet. Dans les années 1900/1910 vont alors être créés, à l’intérieur des lycées, des cours payants de philosophie et de latin pour que les jeunes filles puissent passer le bac. Ce n’est qu’en 1924 que les lycées de jeunes filles sont officiellement habilités à faire passer le baccalauréat et le fameux diplôme de fin d’étude, sans être supprimé, va petit à petit tombé en désuétude".

Un bac en première et un en terminale

En 1927, le baccalauréat, c'est un écrit et un oral en première et en terminale. Le rattrapage fait son apparition mais en septembre. En 1933, passer le bac devient gratuit : "c'est l'année où apparaissent deux droits : le droit de scolarité et le droit aux examens. Jusque-là, il fallait payer pour passer le bac. A partir de là, les examens deviennent gratuits mais pas complètement puisqu'il y a encore quelques décennies, pour s'inscrire aux épreuves du bac, il fallait payer un timbre fiscal", précise Bruno Poucet.

En 1959, on supprime l'oral sauf pour les langues vivantes. Les bacs généraux sont les bacs philo, maths élémentaires et sciences expérimentales (pour les futurs instituteurs). L'année suivante, le rattrapage est déplacé juste après les résultats de la première session et est réduit à un simple oral. 

En 1962, le bac en première est supprimé : désormais, l'examen se passe uniquement en terminale. "C'est la massification progressive de l'enseignement secondaire, il y a de plus en plus d'élèves dans les lycées et comme les épreuves du bac telles qu'elles existent sont longues, le nombre de candidats augmentant, le bac devient extrêmement couteux en temps. Donc on va simplifier le baccalauréat et on supprime la première partie du bac en première", selon Bruno Poucet.

Le bac en lettres

En 1965, apparaissent les 4 bacs généraux - le A (philo), le B (économie), le C (maths et sciences physiques) et le D (maths et sciences naturelles) - et les 4 bacs technologiques - le E (maths et technique), le F (industriel), le G (tertiaire) et le H (informatique) dont les premières sessions ont lieu en 1970.

"L'idée c'est de moins structurer le diplôme autour des disciplines scientifiques et littéraires et montrer qu'un littéraire pouvait recevoir un enseignement scientifique, précise Bruno Poucet. C'est une façon de spécialiser les élèves pour qu'ils suivent ensuite les études supérieures qui correspondent à leur bac."

La part belle est faite également aux sciences, notamment aux mathématiques : "depuis la création du bac jusque dans les années 60, LE bac, c'était le bac littéraire : si vous vouliez être médecin, il fallait faire des études littéraires parce qu'il y avait un enseignement en latin et en grec. A partir de cette décennie, on décide d'inverser la tendance et de soutenir les études de mathématiques. Ce n'est plus le latin qui va sélectionner les élèves, ce sont les mathématiques qui deviennent l'instrument de sélection, remarque Bruno Poucet. Résultat, la section A, celle de philo, va se retrouver vidée de ses élèves : avant les années 60, il y a au moins 50% des candidats au bac qui sont en A, en philo. En 2018, il n'était plus que 10%. Le bac de référence va devenir le bac C avec des élèves qui sont pas forcément matheux et qu'on retrouve ensuite en classe préparatoire littéraire."

Dès lors, la formule du baccalauréat ne changera pas pendant presque que 30 ans. Si ce n'est la création en 1968 du bac français de première l'année suivante et celle des bacs pros en 1985.

Arrive 1993 : "on se rend compte que l'ultra-spécialisation n'était pas forcément bénéfique donc on va regrouper les sections surtout parce qu'on s'aperçoit qu'une partie des élèves qui passent le bac C ne sont pas forcément matheux mais qu'ils font ça parce qu'ils pensent que c'est la voie de la réussite. Donc on réduit le nombre de bacs", explique Bruno Poucet. Les bacs A, B, C et D sont remplacés par les bacs L, ES et S. Un système qui ne bougera pas non plus pendant encore presque 30 ans.

La réforme Blanquer de la terminale

En 2019, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationale, décide de réformer le bac et surtout la terminale : les séries générales traditionnelles (L, ES et S) disparaissent au profit de spécialités. Les lycéens doivent choisir à la fin de la classe de seconde 3 parmi 12 spécialités à suivre en plus des enseignements communs. En terminale, les élèves n’ont plus que deux spécialités : 

  • Humanités, littérature et philosophie (HLP)
  • Arts (Histoire des arts, théâtre, arts plastiques, arts du spectacle, arts du cirque, danse, musique, cinéma audiovisuel) 
  • Biologie & écologie (dans les lycées agricoles seulement) 
  • Histoire Géographie, Géopolitique et Sciences politiques (HGGSP)
  • Langues Littératures et cultures étrangères et régionales (LLCER) avec comme langue au choix : anglais, anglais monde contemporain, allemand, espagnol, italien 
  • Littérature, Langues et culture de l’Antiquité (LLCA)
  • Mathématiques
  • Numérique et Sciences informatiques (NSI)
  • Physique-Chimie
  • Sciences de la vie de la Terre (SVT)
  • Sciences de l’ingénieur (SI)
  • Sciences économiques et sociales (SES)

"L'idée, c'est d'avoir un tronc commun et, avec les spécialités, des élèves qui, s'ils sont matheux, vont vraiment faire des maths. Donc, ça va élever le niveau. Pareil pour ceux qui prennent la spécialité lettres : on va leur apprendre et leur demander des connaissances élevées", selon Bruno Poucet.

Le retour du grand oral

Cette réforme réduit également le nombre d’épreuves au bac : il n’y en a plus que 4, avec l’épreuve de philosophie, deux épreuves écrites de spécialité qui sont passées au retour des vacances de printemps et le Grand oral, nouvelle épreuve phare de la réforme.

"L'oral a toujours été présent dans l'examen du bac, c'était même sa seule épreuve pendant longtemps, rappelle Bruno Poucet. Avec le grand oral au cœur du nouveau bac, finalement, on revient aux sources du diplôme."

L’oral et l’écrit de français en fin de première sont maintenus. Le reste du programme est évalué en contrôle continu, avec l’apparition des épreuves communes (EC). Il s'agit de 3 sessions d’épreuves sur l’histoire-géographie, les langues vivantes, l’enseignement de spécialité non retenu en terminale, l’enseignement scientifique (voie générale) et les mathématiques (voie technologique). Elles ont lieu aux 2ème et 3ème trimestres de première et en terminale pour la dernière EC.

Une réforme qui ne plaît ni aux élèves ni aux étudiants qui seront alors nombreux à descendre dans la rue ou à bloquer leur lycée pour protester contre ce bac nouvelle formule.

L'épreuve de la crise sanitaire

Le 3 avril 2020, Jean-Michel Blanquer annonce que l’ensemble des épreuves du baccalauréat sont annulées et remplacées par du contrôle continu en raison de la crise sanitaire et de la longue fermeture des lycées. La dernière édition de l’ancien bac n’aura jamais lieu. La dernière fois que le bac avait connu de tels bouleversements, c’était en 1968.

Mais la nouvelle formule du bac n'aura pas non plus complètement lieu en 2021, date inaugurale : la crise sanitaire liée au Covid-19 n'étant pas terminée, une grande partie du calendrier des épreuves a été modifiée : les épreuves communes et les épreuves de spécialités ont été annulées, au profit du contrôle continu. Seule l’épreuve de français en première, l’écrit de philosophie et le grand oral sont maintenues.

La grande constante finalement du bac à travers les siècles, c'est la philosophie comme pièce maîtresse du baccalauréat : elle ouvre le calendrier des épreuves et reste commune à quasiment toutes les filières. 

D'ailleurs, "T'as pris quoi toi, comme sujet de philo au bac ?", c'est la question qui vient toujours après celle de savoir quel bac on a passé. Et cette question, n'importe quel bachelier pourra y répondre. Parce que tout le monde passe la philo. Même ceux qui ont un bac qui n'existe plus...

Vous pouvez retrouver en direct les résultats du Bac 2021 pour toutes les séries, général, pro et technologique sur francetvinfo.fr.

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