Les élections départementales approchent. Elles auront lieu les 13 et 20 juin prochains, pourtant, elles se préparent dans l’indifférence générale. Pourquoi ce désintérêt ?
La campagne commence mal. A moins de cent jours des élections départementales, l’ensemble des candidats déjà sur le terrain s’inquiète. Ces élections sont invisibles. « C’est encore pire qu’en 2015, constate une conseillère sortante. Il y a six ans, c’était déjà catastrophique, tout ou presque changeait. On ne parlait plus d’élections cantonales mais d’élections départementales. Il y avait de nouveaux cantons. On innovait avec le scrutin binominal paritaire. Et les compétences du département étaient mal définies. Bref, difficile dans ces conditions de motiver les électeurs. Six ans plus tard, les gens n’ont toujours pas bien compris – et je ne leur en veux pas - à quel canton ils appartiennent, qui sont leurs conseillers départementaux et quels sont leur rôles. »
De fait, les 22 et 29 mars 2015, la participation avait été faible : un peu plus de 46 % dans le Nord, un peu plus de 51 % dans le Pas de Calais. Un électeur sur deux avait boudé les urnes. Les candidats avaient pourtant déployé des trésors de pédagogie pour expliquer pourquoi le nombre de cantons avait été réduit de moitié et pourquoi ils devaient élire un « couple », un homme une femme. Des candidats qui eux-mêmes n’avaient pas encore connaissance des missions exactes qui les attendaient.
« Nos électeurs n’ont rien compris au redécoupage des cantons », témoigne Charles Beauchamp, conseiller général puis départemental (PC) du Nord depuis 25 ans. Avant 2015, il était l’élu du canton d’Arleux. Depuis 2015, avec son binôme féminin Maryline Lucas, ils sont les élus du canton d’Aniche qui réunit l’ancien canton de Charles Beauchamp et celui de Douai-Sud. « Du coup, je suis passé d’un territoire de 20 000 habitants à un territoire de 62 000 habitants. La proximité en a pris un coup. Notre communication d’élu est devenue beaucoup plus compliquée. C’est confus. Ce n’est pas rare qu’on m’appelle « Monsieur le conseiller régional ». »
Moins politique et plus dans le quotidien
Et pourtant, le département nous accompagne tout au long de notre vie. L’enfance, les personnes âgées, les personnes handicapées, l’action sociale, c’est le département. Les pompiers, les collèges et les routes secondaires, c’est le département. Des domaines essentiels avec des budgets conséquents : 2,3 milliards d'euros pour le Nord, 1,8 milliard d'euros pour le Pas de Calais. A titre de comparaison, le budget du Conseil Régional est de 3,6 milliards d'euros.
« On a débattu mi-février des orientations budgétaires pour 2021, constate avec un peu d’amertume Jean-René Lecerf, le président (DVD) du Conseil Départemental du Nord, alors que la Chambre Régionale des Comptes venait d’acter qu’on a enfin réussi à redresser les comptes. Je vous rappelle qu’en 2015, la situation financière du département était tellement dramatique que la mise sous tutelle par l’Etat avait été évoquée. Et bien… pas un mot sur France 3 et pas une ligne dans La Voix du Nord. Que dalle ! »
Le département n’intéresse pas. « Peut-être n’est-ce pas intéressant ? » interroge faussement Jean-René Lecerf. « Trop compliqué ? Trop technique le Pacte pour la Réussite de la Sambre-Avesnois-Thiérache, qui renouvelle le contrat de transition écologique du territoire de la Sambre-Avesnois signé en présence du Président de la république en 2018 ? Dommage. On est pourtant dans le concret. Et on a jamais autant bossé… »
« On est tellement dans la vie de gens qu’on se fond dans le paysage, surenchérit le président (PS) du Conseil Départemental du Pas de Calais, Jean-Claude Leroy. On est moins politique et plus dans la gestion du quotidien. C’est notre handicap mais aussi notre noblesse. Protéger la petite enfance, s’occuper de nos gamins dans les collèges, se soucier du vieillissement de nos populations… j’en arrive parfois à penser que le département devrait s’arrêter de fonctionner une seule journée pour que les gens mesurent bien son importance. Le département ne fait pas de bruit mais il fait le boulot. Il est peut-être un peu plus visible dans les territoires ruraux, mais en ville, c’est vrai, la puissance de l’agglomération domine. En zone urbaine, le département a du mal à exister… »
« En zone rurale aussi » ajoute Michel Petit, maire (LR) du village de Berles-aux-Bois, au sud d’Arras. Il siège dans les rangs de l’opposition au conseil départemental du Pas de Calais depuis 1998. Désolé, il constate que les dispositifs mis en place par le département – notamment les aides sociales – sont souvent mal connus ou perçus comme un « dû ». « Le Pas de Calais est l’un des rares départements en France à proposer la gratuité des transports scolaires, dit-il. Et pourtant, j’entends peu de personnes s’en féliciter. C’est devenu normal. J’entends plutôt des gens râler parce que le bus ne s’arrête pas juste devant chez eux. »
Perte de l’autonomie fiscale
Politiquement, les départements ne semblent plus faire le poids face aux nouvelles grandes régions. Qui peut citer le nom d’un président de conseil départemental ? A l’inverse, les Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, Valérie Pécresse en Ile-de-France ou Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes bénéficient d’une forte exposition médiatique et d’une réelle notoriété.
De par ses compétences, notamment économiques, un président de conseil régional est plus visible sur le terrain. Xavier Bertrand a souvent l’occasion de s’exprimer devant les micros et les caméras. On le voit et on l’entend régulièrement sur les dossiers sensibles, comme Ascoval et Bridgestone. On peut même affirmer que son « poids » politique a augmenté – dans sa région et au-delà – depuis qu’il est président des Hauts-de-France.
Il faut dire que les conseils départementaux ne sont pas aidés. Ces « mal-aimés » de l’administration française – nés en 1790 sous la Révolution - sont régulièrement la cible des politiques. Trop vieux. Trop ringards. Trop conservateurs. Trop petits.
Emmanuel Macron voulait en réduire le nombre. « Les conseils généraux ont vécu » avait dit François Hollande. Manuel Valls, alors Premier Ministre, annonçait en 2014 la suppression pure et simple des départements. Nicolas Sarkozy avait imaginé des « conseillers territoriaux », tout à la fois conseillers départementaux et régionaux. Et ainsi de suite jusqu’en 1946 où Michel Debré, le père de la Vème République, imaginait l’Hexagone redécoupé en 47 grands départements.
« Le département n’est plus directement menacé mais quelle est aujourd’hui sa situation ? s’interroge Charles Beauchamp. Une assemblée qui n’a plus d’autonomie de ressources et de liberté fiscale. On a perdu la taxe professionnelle, la taxe d’habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties. On est donc sous perfusion de l’Etat. On est pieds et mains liés à l’Etat. Et comme l’Etat se désengage financièrement, le département manque d’argent pour s’engager dans des politiques audacieuses.»
« Chaque fois qu’est évoquée la fin du département, chaque fois le département en sort renforcé, conteste Jean-Claude Leroy. Et à chaque fois, on nous donne des compétences nouvelles. Preuve en est… avec la « Loi 4D ».
Tiens… on la croyait aux oubliettes cette loi. Mais non. Le gouvernement promet de représenter le texte en Conseil des Ministres au début du Printemps. 4D pour « Décentralisation, Différenciation, Déconcentration, Décomplexification ». Et effectivement, les départements verraient leurs compétences élargies dans les secteurs du social, du médico-social, du logement, de l’enfance, de la famille, des transports. Les départements pourraient s’immiscer dans la gestion des EHPAD et la gouvernance des ARS.
En revanche, pour soulager les conseils départementaux, l’Etat reprendrait à son compte le RSA. « Honnêtement, j’ai du mal à croire que cette Loi 4D soit votée, estime Jean-René Lecerf. C’est l’opacité la plus totale. Là-haut, çà gouverne au radar. Je n’ai jamais vu ça. »
Impossible de faire campagne
De toute façon, Jean-René Lecerf doute que le débat sur la Loi 4D déclenche l’intérêt soudain des électeurs. « J’en viens à me dire qu’il sera quasiment impossible de faire campagne dans les prochaines semaines », s’inquiète t’il. A 70 ans, il raccroche après une carrière politique de quatre décennies, dont les trois quarts passés sur les bancs de l’assemblée départementale, dans l’opposition et la majorité.
« Soyons clair : les gens s’en foutent ! Les élections, ils en ont une idée proche de l’infinie. Leur préoccupation, aujourd’hui, c’est de savoir s’ils vont crever tout de suite ou s’ils vont trouver un vaccin. Je n’ai pas vocation à être président à vie du département, mais je me demande si le maintien du scrutin les 13 et 20 juin est tenable. Je doute qu’on puisse faire campagne. Je doute qu’on puisse porter les politiques du département. Je doute qu’on puisse voter. Dans les secteurs où les taux d’incidence seront supérieurs à 400, il n’y aura pas d’élection. Des élections qui traditionnellement ne mobilisent pas trop les jeunes, alors en plus, si les personnes plus âgées ne viennent pas voter par crainte de la pandémie, ça n’aura plus beaucoup de sens. Non, vraiment, le cœur n’y est pas. Je le vois bien : au département du Nord, même les élus de sensibilité différente ont du mal à s’engueuler… »
Jean-Claude Leroy reconnait lui aussi que la campagne de vaccination – alors que son département entame une période de confinement le week-end - laisse peu de place pour débattre des enjeux locaux. Il constate également que les élections régionales focalisent toute l’attention. « D’autant plus que cette élection régionale constitue une primaire pour la droite. » Allusion aux ambitions affichées de Xavier Bertrand d’utiliser son éventuelle réélection dans les Hauts-de-France pour s’imposer, au sein de sa famille politique, comme le meilleur candidat pour l’élection présidentielle de 2022.
Jean-Claude Leroy aurait souhaité le « découplage » des élections départementales et régionales. « Car il est faux de croire que les élections régionales vont nous aider à capter l’attention des électeurs, s’amuse, partial, Jean-René Lecerf. Je ne vais pas lui en faire le reproche… mais je crois que Xavier Bertrand a tué le suspense. »