Le Nord Pas-de-Calais en juillet 1789 : interview

Lille, Arras, et les arrondissements du Nord Pas-de-Calais en 1789... Entretien avec Laurent Brassart.

Des révoltes frumentaires à la mort de l'ancien régime en passant par le 14 juillet, que s'est-il passé dans le Nord Pas-de-Calais en 1789 ?

Entretien avec Laurent Brassart, maître de conférences à Lille 3, spécialiste de la Révolution française et de l'Empire.

Dans quel contexte historique régional la Révolution française survient-elle ?
Laurent Brassart : "Une mobilisation intense se fait dans la moitié nord de la France. Ce sont les émeutes de subsistance. En 1788, l'année précédente, l'été a été pourri. La récolte a été mauvaise et le stock de blé est épuisé bien avant les mois traditionnels de la "soudure" que sont juin et juillet 1789. C'est une violente crise économique et sociale qui s'annonce. Dès avril 1789 des émeutes ont lieu à Paris et dans la moitié nord de la France. Le prix du pain est multiplié - de mémoire - par trois et en quelques mois la crise s'étend à l'artisanat et la manufacture. C'est dans ce contexte que se déroulent les Etats Généraux du 5 mai 1789."

Pourquoi ces Etats-Généraux ?
L. B. : "Les trois ordres de la société de l'Ancien régime, le Clergé, la Noblesse et le Tiers-Etat se réunissent dans un contexte de banqueroute financière. La France a aidé les Etats-Unis à être indépendants de 1778 à 1782, pour des raisons de revanche par rapport aux Anglais qui leur avaient infligé une humiliante défaite lors de la guerre de 7 ans (1756-1763). La monarchie française alors réformatrice, pas réactionnaire, souhaitait engager des réformes du système fiscal et de l'administration territoriale. Notamment pour reboucher le trou du budget. Mais Louis XIV constatant l'échec de sa volonté réformatrice, convoque les Etats-Généraux - ce qui n'avait pas été fait depuis 1614."

Les représentants des trois ordres se font-ils alors l'écho des souffrances du peuple ?
L.B : "Ces Etats-Généraux créent un mouvement de politisation des élites sociales. Des cahiers de doléances sont rédigés et les députés même s'ils ne sont pas révolutionnaires à cette date, souhaitent des réformes et un impôt plus juste... Ils deviendront révolutionnaires en deux ou trois mois parce qu'ils ne seront pas écoutés par le roi (1)."

Que se passe-t-il dans le Nord Pas-de-Calais à ce moment ?
L.B. : "Les émeutes débutent dès le printemps. Dans le Cambrésis et l'Avesnois, des ruraux écument la campagne à la recherche du grain. A l'époque, l'idée selon laquelle un complot au sommet de l'Etat vise à affamer la population est très répandue (2). On pense le roi entouré de conseillers mal intentionnés. Les spéculateurs, les agioteurs, les gros fermiers, les meuniers les brasseurs et les marchands sont attaqués. Dans le Cambrésis, des groupes de 200 à 300 paysans attaquent par exemple les grandes fermes et les marchés et, partout ailleurs dans la région, les convois de grains sur les routes et les canaux. Ils redoutent que ces convois soient destinés à une exportation alors qu'ils souffrent de la faim."

Et à Lille ?
L.B. :"En avril et en mai, les émeutes se succèdent. On attaque boulangeries, la brasserie Guesquière, les marchés... Même si la mairie achète du blé pour le revendre moins cher. Un des meneurs des émeutiers est pendu, une femme marquée au fer rouge sur la place publique d'être à son tour pendue (4)".

Le 14 juillet ?
L.B. : "A Paris, la tension est montée d'un cran, les Etats-Généraux se décrètent assemblée délibérative ou constituante et non plus consultative. Le Roi ne le tolère pas et, face aux manifestations et émeutes qui montent, fait entourer la ville de 30.000 hommes armés. Les émeutiers vont aux Invalides prendre des fusils puis à l'Arsenal pour la poudre et pensent que cette dernière est entreposée à la Bastille juste à côté. A Lille, et même dans les campagnes environnantes, la nouvelle est connue dès le 16 juillet (5). Les émeutes se poursuivent avec une dimension plus politique. On porte la cocarde tricolore (6) mais le 21 et 22 juillet, de violentes émeutes de subsistance éclatent à nouveau : la maison du sud-délégué (7) est pillée, celles de plusieurs négociants dévastées. Les troubles sont de plus en plus violents et la garde nationale de la ville est créée le lendemain à partir d'une milice bourgeoise mise en place 10 jours auparavant. Le climat est insurrectionnel. A Arras, Bapaume et Aire-sur-la-Lys, on brûle les bureaux de fiscalité et les barrières de l'octroi (douanes). A Lille, les prisons sont attaquées comme à Cambrai, Arras, Saint-Pol ou Saint-Omer notamment pour libérer tous les meneurs des émeutes de subsistance.

Comment le calme revient-il ?
L.B. : "Pas dans un premier temps puisque une rumeur nationale (8) que l'historien lillois Georges Lefebvre avait identifiée et qualifiée de Grande Peur vient s'ajouter à cela. Le peuple pense que l'aristocratie - pour se venger du 14 juillet - engage des brigands pour piller les réserves de pain et blé. Cette rumeur est largement partagée sauf dans le Cambrésis et l'Avesnois. Conséquence, on s'arme pour défendre les récoltes et ce mouvement, défensif au départ, va prendre conscience de sa force. Une grande révolte contre le système seigneurial se met en place."

Concrètement, comment cela se traduit-il ?
L.B. : "A Saint-Amand, on attaque l'abbaye et on force l'abbé à renoncer à la dîme (l'impôt qui représente entre 1/12e et 1/6e de la récolte). On attaque les châteaux pour brûler leurs livres terriers (qui tiennent à jour toutes les redevances). Ces attaques sont signalées dans le Hainaut, à Lille, dans le Calaisis et le Ternois. C'est une rupture majeure plus importante que le 14 juillet dans la région."

Comment réagit l'Etat ?
L.B. : "A l'initiative du  Club Breton l'abolition de quelques privilèges est proposée en assemblée nationale constituante. Le 4 août, entre 21h00 et 2h00 du matin, les députés et ceux du Tiers-Etat en particulier - qui sont des possédants qui ont peur de l'insurrection rurale - renoncent à leurs privilèges. Le Clergé, la Noblesse souhaitent payer des impôts... Tout le monde abandonne ses privilèges, même les provinces et les villes. C'est la mort de l'ancien régime. (9)"

Notes et bibliographie

(1) Les Etats Généraux ne sont pas un parlement, c'est une assemblée consultative mais non décisionnaire. Lire Timothy Tackett : Par la volonté du peuple, comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires. Paris, Albin Michel 1997

(2) Lire notamment la thèse du Lillois George Lefebvre : Les paysans du nord pendant la révolution française. 1924, rééditée trois fois.

(3) Lille au jour le jour sous la Révolution, par un bourgeois de Lille. Tallandier 1989.

(4) : Les femmes étaient mises en première ligne par les émeutiers pour éviter que les forces publiques ne tirent sur la foule.

(5) Jean-Pierre Jessemme et Edna-Hindie Lemay : Député-paysan et fermière de Flandre en 1789, la correspondance des Lepoutre

(6) La cocarde bleu-blanc-rouge (bleu rouge pour les couleurs de Paris et blanc pour la royauté) est un signe de réconciliation nationale autour du projet révolutionnaire.

(7) Equivalent grosso modo du sous-préfet aujourd'hui

(8) Georges Lefebvre, La grande peur de 1789. Paris 1932 réed Armand Colin, 1989

(9) Hirsch Jean-Pierre, La nuit du 4 août. Paris Gallimard, coll. "Archives"

Pour en savoir plus Cf. Hervé Leuwers, Annie Crépin Dominique Rosselle : Histoire des provinces françaises du nord, la révolution et l'empire, le Nord Pas-de-Calais entre révolution et contre-révolution. Arras, Artois Presses Université, 2008

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