La SCOP est-elle "la" solution pour sauver Seafrance ? A lister ses handicaps, on se dit que rien n'est moins sûr.
Le statut SCOP, pas forcément adapté
En théorie, une Société Coopérative Ouvrière de Production est plutôt une perspective alléchante : les salariés, devenus associés majoritaires, cogèrent leur stratégie économique et avant cela, élisent leur propre direction. En France, 2000 entreprises jouissent de ce statut, 50 000 en Europe, et ce sont des entités qui résistent plutôt bien à la tourmente actuelle.
"Il faut rester prudent et centré sur le projet économique, sa viabilité, et ne
pas se laisser emporter par la seule volonté de sauver des emplois", a déclaré
Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des Scop, lors d'un entretien
avec l'AFP.
La majorité des Scop ont moins de 50 salariés. Il existe peu d'exemples d'entreprises de
plus de 1 000 salariés, dans l'industrie, qui fonctionnent très bien sous ce statut. Et encore
moins avec un outil industriel aussi lourd que des bateaux.
Sur RTL, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO a affirmé : "Les Scop, ce n'est pas des ambulances non plus. Il y a trop de tentatives qui ont échoué".
La CFDT, syndicat contesté
Entre la CFDT majoritaire et la CGT, la guerre est déclarée. La CGT a récemment parlé de "scandale syndical" pour qualifier le dossier Seafrance. La CFDT Seafrance n'a pas bonne presse. Pour les syndicats minoritaires et certains élus, c'est même le handicap numéro un de Seafrance.
Un rapport de la Cour des comptes dénonçait en février 2009, « le monopole détenu par la CFDT et les avantages exorbitants octroyés à ses délégués, comme la promotion de personnels arrivant en fin de carrière à des postes d’assistants officiers ne correspondant pas aux qualifications des intéressés."
Une instruction judiciaire est également en cours pour abus de confiance et faux et usage de faux à propos de centaines de milliers d'euros qui auraient été détournés sur des produits vendus à bord des ferries reliant Calais à Douvres.
La CFDT régionale s'est d'ailleurs démarquée récemment de la CFDT Seafrance, dénonçant son ententêtement à vouloir imposer la SCOP comme unique solution.
Le ministre des transports a aussi dénoncé le "fanatisme" de la CFDT ce week-end.
En clair, l'image de la CFDT Seafrance et son poids dans le dossier pourraient bien être des handicaps lourds pour la SCOP.
Les salariés, divisés
Beaucoup de salariés le disent : ils ne sont pas prêts à donner leur prime de licenciement à la SCOP. Certains préfèreraient même utiliser cet argent pour se lancer dans une autre activité.
"Nous n'avons pas mis 100 euros dans le projet de Scop, alors ce n'est certainement pas pour y mettre 50 000 euros", assure un salarié interrogé dans l'édition de mardi du quotidien local Nord Littoral.
Très gênant également, certains officiers de l'entreprise ne croient pas non plus au projet de SCOP. Depuis le début.
L'aide de l'Etat, trop fragile
Le président Nicolas Sarkozy a demandé lundi à la SNCF, maison mère de SeaFrance, de verser une indemnité exceptionnelle à chacun des 880 salariés de la compagnie de ferries. Ces indemnités pourraient être de 50 à 60.000 euros, selon le gouvernement.
Selon le plan du gouvernement, ces indemnités de licenciements pourraient être
versées par les salariés à une coopérative ouvrière, qu'ils envisagent d'établir
pour reprendre leur entreprise.
Mais Bruxelles interdit la concurrence déloyale. La compagnie britannique de ferries P&O a dénoncé mardi le projet de sauvetage de SeaFrance, et annoncé qu'elle portait plainte auprès de l'Union européenne (UE) contre des aides d'Etat. "Mais là, dans le cas précis, on est dans un système dans lequel la SNCF va donner des indemnités de licenciement, (...) qui peuvent servir à renflouer l'entreprise", a expliqué M. Leonetti.
"Quand vous avez une indemnité parce que vous êtes licencié, vous en faites ce
que vous voulez", a-t-il ajouté.
Le montage juridique semble tout de même incertain d'autant qu'il faudra passer par une liquidation longue et coûteuse.
Un marché compliqué
En 2010, Seafrance a réalisé un chiffre d'affaires de 151 millions d'euros, mais a enregistré une perte nette de 240 millions d'euros. La flotte, qui a compté jusqu'à sept bateaux, est actuellement de trois ferries pour le trafic passager (le Molière, le Berlioz et le Rodin) et d'un pour le trafic frêt. SeaFrance, qui comptait encore 1 580 salariés début 2010, en compte aujourd'hui moins de 900.
La baisse des volumes de fret depuis la crise de 2008 et la concurrence sur le trafic transmanche de la compagnie P&O et du Tunnel sous la Manche ont relégué Seafrance au 3eme rang. Ces deux concurrents ont des coûts de production inférieurs à Seafrance. Ces coûts baisseront-ils avec la SCOP ? L'arrêt de l'activité de la compagnie depuis novembre ne fait qu'empirer la situation. La SCOP Seafrance sera-t-elle encore crédible commercialement ?
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