Philippe Vasseur nous a accordé un long entretien sur la gestion de crise. Il a eu à gérer en tant que ministre la crise de la vache folle. Son regard sur le coronavirus est forcément éclairant.
Gérer une crise sanitaire grave pleine d'inconnus puis en assumer les crises économique, sociale et internationale qui en découlent, Philippe Vasseur connait. C'était en 1996 et il était ministre de l'Agriculture. A l'époque, il n'était pas question de coronavirus, mais de prion. Pas de Covid, mais de particule protéique infectieuse. Le danger mortel s'appelait encéphalopathie spongiforme bovine, c'est à dire la forme humaine de la maladie de la vache folle. Folle comme la peur panique qui avait alors saisie notre pays. France-Soir avait prédit 500 000 morts en Une de son journal papier. Il y en eut finalement 223 dans le monde, 27 en France. Philippe Vasseur, lui, en sortira rincé. Il sortira même définitivement du jeu politique quelques années plus tard.
"Lorsque la France prononce l'embargo des bovins et viandes bovines britanniques, le 21 mars 1996, témoigne l'ancien ministre, près de 25 ans plus tard, c'était une décision très difficile, avec des conséquences très graves, pour le pays et pour l'Europe. Un incident diplomatique. Le ministre des Affaires Etrangères était contre. J'étais pour. Et c'est le Premier Ministre (Alain Juppé) qui a tranché."
Philippe Vasseur est alors au sommet de sa carrière. Il a une cinquantaine d'années. Un physique. Une stature. De l'allure. Du succès. Ce natif du Pas de Calais, né au Touquet au milieu de la guerre, a d'abord été journaliste une vingtaine d'années avant d'entrer en politique, à droite, au RPR. Maire, conseiller régional et député, il est appelé par Jacques Chirac qui entre à l'Elysée pour intégrer le premier gouvernement Juppé en 1995. A l'agriculture.
"C'est la cohérence et l'unité apparente du gouvernement qui nous a aidé dans la gestion de cette crise, reprend Philippe Vasseur. De toute façon, avec Juppé, il n'y avait pas de voie dissonante. Mais rien n'a filtré, alors, des dissensions entre ministres. C'est resté en interne. Ce n'est pas une critique mais j'ai regretté que s'étale sur la place publique le désaccord entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe sur la tenue à l'Assemblée Nationale du vote du plan de déconfinement. L'un était pour le retarder d'une journée ; l'autre pas. C'est ridicule."
Dès le départ de la crise de la vache folle, j'avais un principe : m'appuyer sur l'expertise des scientifiques et surtout les écouter.
Même s'il dit et redit qu'il ne veut pas critiquer l'exécutif - "C'est si facile le fais-ci-fais-ça" - on sent bien que l'ancien ministre gaulliste trépigne en observant de loin (il est confiné sur la Côte d'Opale) l'action de ses collègues actuels. "Dès le départ de la crise de la vache folle, j'avais un principe : m'appuyer sur l'expertise des scientifiques et surtout les écouter. C'était la ligne à ne pas franchir, malgré la pression du monde politique et des milieux économiques. J'avais une sommité à mes côtés, le professeur Dormont, qui présidait le comité d'experts qui conseillait le gouvernement. Je l'ai suivi."
Dominique Dormont, décédé en 2003, refera parler de lui quelques années plus tard en incitant Lionel Jospin, devenu Premier Ministre, de maintenir l'embargo, déclenchant un tollé au sein de l'Union Européenne. Jospin, lui aussi, le suivra.
Là encore, Philippe Vasseur regrette que l'actuel gouvernement n'ait pas toujours fait confiance aux scientifiques. "Il y a trois jours, je lisais un article du journal "Le Monde" sur les "embarrassantes contradictions entre le plan de déconfinement du gouvernement et l'avis du conseil scientifique Covid 19." Ce n'est pas bon. Comme il n'est pas bon d'essayer de mentir aux médias , comme ce fût le cas avec les masques. Les masques, on les a ou on les a pas. Point ! Là, le gouvernement a perdu en crédibilité. Ce n'est pas un hasard si selon un sondage du Figaro (il en a été le directeur de la rédaction économique dans les années 80), une majorité de Français fait confiance au gouvernement pour gérer la crise économique, mais montre sa défiance quant à ses capacités de mettre fin à l'épidémie."
Passons d'une économie fondée sur "l'avoir plus" à une économie fondée sur "l'être mieux".
L'ancien ministre affirme que lui a toujours prôné la transparence la plus totale avec la presse. "J'avais un gros vice : j'avais été journaliste pendant vingt ans. Je savais quel risque on prenait à cacher quelque chose." Mais il reconnait avoir commis des erreurs et des excès dans sa communication. "Je ne ratais pas une occasion de manger du boeuf devant une caméra de télévision, pour bien montrer qu'il n'y avait rien à craindre des viandes d'origine française. Il m'est arrivé de manger jusqu'à cinq entrecôtes en une seule journée. J'en ai même mangé crue ! C'était devant une journaliste d'Antenne 2 (aujourd'hui France 2), à la sortie d'une boucherie de Saint-Pol-sur-Ternoise, la commune où j'étais maire. Je n'en suis pas fier. C'était idiot."
Et maintenant ? Que faire de cette crise du Covid ? Que faire du jour d'après ? Philippe Vasseur est aux commandes de "Rev 3" - comme Troisième Révolution Industrielle - une mission destinée à aider les Hauts de France à devenir l'une des régions les plus avancées en matière de transition énergétique et de technologies numériques. "Je bosse. Je réfléchis. Pour une économie plus durable, plus verte. Pour ne pas revenir au modèle classique, au modèle d'avant, au modèle destructeur de ressources. Saisir de nouvelles opportunités. Eviter de tomber dans des pièges grossiers, à l'image du patron du Medef, Roux de Bézieux, qui voudrait en profiter pour desserrer les contraintes environnementales des entreprises ou allonger la durée du temps de travail. Mauvais réflexe. L'objectif, ce n'est pas que les français travaillent plus, mais qu'ils travaillent tous."
L'ancien ministre aime beaucoup cette citation : passons d'une économie fondée sur "l'avoir plus" à une économie fondée sur "l'être mieux".