Les étudiants en commerce de l’IUT de Valenciennes doivent vendre des chaussettes d’une entreprise nantaise, pour apprendre le métier de vendeur et obtenir une bonne note. Suite à un emballement sur les réseaux sociaux, ce projet est très critiqué, soupçonné d'encourager le travail dissimulé.
Le point de départ : un simple tweet
Le 5 octobre, @epicsefy, un twittos influent, publie sur son compte Twitter une capture d'un message Facebook issue de la page d'une association de l'IUT de Valenciennes "Show 7". Il y est question d'inciter des étudiants en techniques de commercialisation à vendre plus de chaussettes (et peignoirs ou serviettes) dans le cadre d'un partenariat avec une entreprise nantaise. Les mots utilisés pour pousser les apprentis commerciaux à faire du chiffre sont secs : "Que dire à part que vous êtes pitoyables", "L'IUT de Valenciennes n'a jamais fait un chiffre d'affaires aussi ridicule, vous êtes une honte pour le département TC". Il y est question également de vendre au moins pour 500 € afin de s'assurer d'une note de 20/20.Le message est accompagné d'une question : "C'est légal ou quoi pour une fac de faire ça ? Mon pote doit vendre des objets pour eux et ils font du chantage a la notation." Le débat est lancé. L'effet "réseaux sociaux" va alors jouer à plein. Le message devient viral et est retweeté des milliers de fois. Les commentaires fusent dans tous les sens. C'est le début d'une tempête qui va prendre une ampleur incroyable entre menaces, cellule de crise, communiqués de presse et dépôts de plaintes.C'est légal ou quoi pour une fac de faire ça? Mon pote doit vendre des objets pour eux et ils font du chantage a la notation pic.twitter.com/mmG9afpmDR
— 不明 SEFY (@epicsefy) 5 octobre 2016
Vendre des chaussettes : un projet qui n'avait jamais fait polémique jusque-là
Le débat qui s'est installé autour de ce tweet part d'un projet qui n'est pas du tout nouveau. Depuis 5 ans, la société Divam, une entreprise située à Clisson (sud de Nantes), a un partenariat avec une bonne centaine d'IUT en France. Le "contrat" est le suivant : ils fournissent des chaussettes (7€ la paire, 20€ les 3) à des associations étudiantes qui sont chargées de les vendre. Divam reverse ensuite 20% du chiffre des ventes à l'association qui finance avec cet argent d'autres projets. Aucun salaire, ni dédommagement n'est versé directement aux étudiants.Une sorte de "challenge", créé pour apprendre le métier de la vente aux étudiants de 1ère année. Un défi sanctionné d'une note officielle qui compte effectivement : 1,5 crédit sur 30 pour valider son année. Mme Massa, chef du département Techniques de commercialisation à l'IUT de Valenciennes ne cache pas sa surprise face à la polémique : "Notre motivation, c'est l'étudiant d'abord. La note, c'est simplement est une incitation. Il faut savoir que c'est le module où la note est la plus élevée (environ 17/20). Il n'y pas de problème particulier."
L'an dernier, l'IUT de Valenciennes avait été le meilleur de France à ce challenge comme le rappelle ce post Facebook de l'entreprise Divam. Il date du 1er septembre et a été publié à l'occasion du lancement du nouveau challenge 2016-2017.
La rentrée 2016 DIVAM a débuté aujourd'hui par L'IUT TC de Valenciennes. Une intervention sous le soleil, avec un...
Publié par DIVAM sur jeudi 1 septembre 2016
Marianne a pu consulter la charte signé par les étudiants participant aux projets. Elle est explicite : "Tout(e) étudiant(e) ne respectant pas ses engagements envers le département TC, les étudiants co-organisateurs du projet, sa propre clientèle et l’entreprise Divam se verra sanctionné lors du jury de passage en semestre suivant." A noter que ce type de projet existe dans de nombreux IUT en France.
Des étudiants de 1ère année critiquent le projet
Suite au message sur Twitter, certains étudiants de 1ère année ont dit être "exploités". Ils critiquent le projet, se disent "choqués" par la méthode. Ils restent anonymes et impossible de savoir s'ils sont majoritaires. "C'est dégueulasse, nous a dit l'un d'eux. On se fait un peu exploiter. Notre note, on l'achète avec notre famille." La mère d'une étudiante nous a également appelés et va dans le même sens : "On les force à vendre. Ils ont peur d'avoir une mauvaise note. Ma fille a vendu pour 180€ et elle pense utiliser sa bourse pour acheter des chaussettes. Nous sommes ouvriers, nous n'avons pas les moyens."Dans Marianne, un autre étudiant détaille dans Marianne une rencontre avec le dirigeant de l'entreprise nantaise en début d'année scolaire : "Lorsqu'il nous a parlé dans l'amphithéâtre, il nous a recommandé de jouer sur les sentiments des clients. Il nous a demandé d'utiliser notre position d'étudiant pour les apitoyer et pour vendre plus facilement. Il nous a dit: 'Expliquez-leur que vous faites ça dans le cadre de votre formation et que si, vous ne vendez pas, vous ne passerez pas en deuxième année.' Il a beaucoup insisté sur ce point. Il nous a aussi fortement conseillé de vendre les produits aux membres de nos familles… Quasiment tous les membres de la promo ont dû demander à leurs parents ou grands-parents de leur acheter des chaussettes pour pouvoir atteindre les objectifs. Autrement, on ne passait pas en deuxième année. Au fond, c'est un peu comme si on avait dû acheter notre diplôme…"
"Les 2ème années nous ont dit qu’il y avait déjà eu des rebellions mais pas de cette ampleur. Là, les profs sont en pression, affirme un autre étudiant sur RTL. On nous a même dit que c’était monté jusqu’au rectorat." Déjà, en 2014, une étudiante avait effectivement publié sur un forum, un message critique : "Nous devons faire un chiffre d'affaires de 500 euros en un mois. Si l'objectif est atteint, on obtient la note de 20/20".
L'IUT de Valenciennes tente d'éteindre la polémique
Devant l'ampleur prise par cette affaire, l'IUT de Valenciennes a publié un communiqué. L'entreprise aussi. Les étudiants se défendent et se disent très touchés par la polémique. Une cellule d'aide psychologique a même été mise en place.L'une des étudiantes de l'association Show 7, que nous avons rencontrée, a indiqué regretter la teneur du message publiée sur Facebook. "Nous avons envoyé ensuite un message Facebook pour nous excuser (NDLR : il n'est plus visible en ligne, la page Facebook de l'association a été dépubliée). On reconnait que c'était un peu brutal." Autre fait qui montre l'ampleur incroyable prise par cette affaire. Paco, un étudiant chargé de communication pour l’association «Show 7» qui avait répondu à un journaliste de La Voix du Nord il y a deux ans dit avoir été menacé physiquement et injurié sur internet. «Des gens sont venus sonner chez moi, l’IUT a reçu un bouquet de fleurs, à mon nom, glissé dans une chaussette» raconte à RTL le jeune homme. Il a porté plainte pour «harcèlement et diffamation».
De son côté, l'IUT de Valenciennes dénonce les "attaques injurieuses et diffamatoires" dont il se dit l'objet sur les réseaux sociaux et menace de porter plainte contre certains auteurs.
Enfin pour l'entreprise, c'est aussi la crise. Le directeur de la PME nantaise (9 salariés) se dit même inquiet pour l'avenir de l'entreprise. La polémique le dépasse complètement. Il veut porter plainte contre l'article du Magazine Marianne. "Je suis à bout, dit M.Sachot, qui a repris l'affaire il y a deux ans. Dans un communiqué, il défend le mode de fonctionnement des partenariats montés avec les lycées ou IUT dans tout le France : "Pour financer leurs projets pédagogiques, des étudiants sur la base du volontariat réalisent pour le compte de leur association des opérations de vente des produits Divam, pendant 4 à 5 semaines. Sur la base d’une collaboration pédagogique avec des écoles, la société Divam met à disposition également des valisettes d’échantillons pour des actions de terrain, permettant d’allier la théorie à un exercice pratique, sans obligation de résultats. Dans aucun cas, Divam n’intervient dans le cursus pédagogique des étudiants." Et il précise que l'URSSAF s'est déjà penché sur le projet et n'a rien trouvé à redire : "Il n'y a pas de travail dissimulé. On est transparents là-dessus." Divam réalise 700 à 800 000€ de chiffre d'affaires grâce aux étudiants chaque année.Voici le communiqué officiel de l'IUT de Valenciennes face aux attaques dont nous sommes la cible depuis le 05 Octobre 2016. pic.twitter.com/i3otmrFMBS
— IUT de Valenciennes (@IUTValenciennes) 10 octobre 2016
Buzz pour pas grand chose ? Pratique admise depuis longtemps mais qui pose question ? Pour choisir entre ces deux questions, il faudra sans doute que la tension retombe autour de l'IUT de Valenciennes.