Dans son nouveau livre, le généalogiste Jean-Louis Beaucarnot révèle des origines et anecdotes personnelles de 90 hommes et femmes politiques, dont de nombreux ténors des Hauts-de-France. Interview et critique.
Quand une présidentielle approche, il est en librairie. Le tout politique de Jean-Louis Beaucarnot, sorti en 2017 et déjà précédé d’un Dico des politiques similaire en 2016, ressort en version mise à jour aux éditions de l’Archipel. Une série de fiches-portraits retraçant les parcours généalogique, familial et professionnel de 90 personnalités politiques de premier plan. La mouture 2022 accueille deux nouveaux entrants des Hauts-de-France, Yannick Jadot et Adrien Quatennens, qui rejoignent Emmanuel Macron, Xavier Bertrand, Marine Le Pen, Gérald Darmanin ou encore Martine Aubry.
Le divertissant fruit d’un long travail de recherche. Chroniqueur radio, aimant se présenter comme "le pape de la généalogie", Jean-Louis Beaucarnot raconte qu’il est "tombé dans la marmite de la généalogie à 11 ans", passion qu’il conjugue ici avec celles de l’écriture et de la politique. Du moins, des individus qui la font.
Quand je creuse, tous me deviennent sympathiques. Ils s’humanisent, on comprend leurs choix, leurs réactions, leurs arrangements. Il n’y en a que deux ou trois qui restent des arrivistes purs et durs.
Jean-Louis Beaucarnot
Parmi les sujets de recherche, les Hauts-de-France s’avèrent particulièrement représentés. Le généalogiste ne saurait l’expliquer scientifiquement, mais ils "sont devenus une des régions dans lesquelles les politiques ont le plus d’origines". On notera par exemple qu’Edouard Philippe et Laurent Wauquiez ont des racines à Wambrechies, dans le Nord.
Autres tendances fortes chez nos politiques : des parents divorcés ("plus que la moyenne") et des parents ou grands-parents instituteurs ("c’est presque incontournable") qui leur ont transmis "des références et des ambitions" pour s’engager dans le débat public. "Tous ces gens prennent des risques, défendent des idées, plaide l’auteur. Parfois, c’est un peu artificiel et intéressé, mais tout n’est pas démagogue, contrairement à ce que laisse penser ce que leurs conseillers en communication leur proposent de montrer."
D’amusants ancêtres et cousinages
L’oeuvre se veut donc bienveillante, mais son sel réside dans les liens inattendus découverts dans la généalogie des politiques. Rappelons que Jean-Louis Beaucarnot avait déjà découvert sur "un coup de bol" que l’arrière-arrière-arrière-grand-père de Dominique Strauss-Kahn tenait une maison close et avait fini sa vie au bagne.
Je prends mon pied en faisant des recherches. Il faut trouver le petit truc. Ça peut être un gros. Les archives sont à 90% en ligne donc je n’ai plus à me déplacer. Je ne peux pas cliquer sur les milliers d’ancêtres trouvables pour chaque homme politique, donc je regarde ceux qui semblent émergents. Je peux passer à côté d’un tas de choses, mais c’est quand même souvent parlant.
Jean-Louis Beaucarnot
Le lecteur apprend ainsi qu’Emmanuel Macron descend du roi Louis VI Le Gros - comme Marine Le Pen - mais aussi d’un jeune Picard condamné aux travaux forcés pour un deal de faux tabac. Autre particularité de l’Amiénois, alors que le roi de la synthèse François Hollande compte 14 cousins et cousines de premier plan (un record), Emmanuel Macron "n’est le cousin de personne (...) Comme si, fidèle à son image de travailleur volontiers solitaire, le président se gardait de cousiner…".
Plus croustillant encore, le généalogiste avance que Marine Le Pen descend de Mahomet ! 49 générations les séparent, mais des alliances au VIIIe siècle entre quelques grandes lignées royales chrétiennes et des familles musulmanes, pour faire la paix, ont indirectement relié la présidente du Rassemblement national au prophète de l’islam.
Par d’autres branches, soulignons que le Nordiste Gérald Darmanin descendrait lui aussi de Mahomet - et par ailleurs de Robespierre - et serait cousin de Marine Le Pen ! C’est en remontant la généalogie du ministre de l’Intérieur jusqu’à Malte que Jean-Louis Beaucarnot l’a découvert : "Je savais que Marine Le Pen était aussi là-bas, alors je regarde et… oh!… la même branche ! C’était bluffant, l’inattendu complet."
D’autres pistes arpentées n’ont pas payé pour le moment, comme un lien entre Gérald Darmanin et son homologue de la Justice Éric Dupont-Morretti, avec qui "il s’est frotté" (sic) ; ou celui entre Emmanuel Macron et Yannick Jadot, qui "ont des ancêtres dans le même bled". Un jour peut-être.
La généalogie logique (?) de Macron, Bertrand et Jadot
Y a-t-il des leçons sérieuses à tirer de ce Tout politique ? L’auteur observe par exemple que, contrairement aux "filles de" que sont Martine Aubry et Marine Le Pen, de plus en plus de ténors politiques n’avaient pas de prédispositions pour la fonction. En même temps, il trouve dans leurs familles proches, comme dans leurs lointaines racines, des liens logiques avec les êtres politiques qu’ils sont devenus.
Jean-Louis Beaucarnot n’avance jamais sa propre interprétation des éléments qu’il rapporte. Il est pourtant persuadé qu’ils ont un sens, citant notamment la construction d’Emmanuel Macron "sur la séparation de ses parents, avec sa grand-mère radicale-socialiste, laïque pure et dure, cultivée". Il nous apprend que le président avait un ancêtre anglais, un soldat marié en 1919 avec son arrière-grand-mère à Abbeville, avant de retourner au pays plus tard : "Ce n’est pas un ancêtre anonyme, je ne sais pas comment ça a joué mais il y a forcément un bout de quelque chose dans la personnalité du président."
Autre exemple avec la "généalogie très lisse" de Xavier Bertrand. "Heureusement qu’il est un peu cousin de Danton, ouf, j’ai trouvé quelque chose", glisse Jean-Louis Beaucarnot. Mais cette généalogie serait-elle à l’image du président de région ? L’homme a d’abord été agent d’assurances… comme son arrière-grand-père. Ses parents travaillaient dans la banque et il a longtemps été moqué à Paris comme un petit bourgeois de province, or ses racines sont "à 75% champenoises", avec des ancêtres "coqs de village", paysans aisés apparentés aux familles de notaires et de percepteurs. Et alors que Thierry la Fronde était le héros du jeune Xavier, monsieur Bertrand, de l’étymologie (rappelée par l’auteur) "corbeau brillant", serait-il cet oiseau mal-aimé qui résiste et croque ses congénères avec talent ? Le livre peut prêter à toutes les digressions.
Le cas Yannick Jadot est similaire. Le candidat écologiste a grandi dans une maison au milieu des champs, dans l’Aisne. Il a raconté que sa famille passait beaucoup de temps en forêt et que son père mourant s’asseyait toujours devant le même chêne. Jean-Louis Beaucarnot ajoute que sa mère, veuve, "fera des aquarelles inspirées par les fleurs et les balades en campagne". Un lien avec la nature qui se retrouve dans les professions de nombreux aïeux : une branche française modeste de paysans, jardiniers au château de Crèvecoeur-le-Grand et marchands de vin ; une branche belge de chapeliers issus de la capitale du chapeau de paille à base de matières premières locales. Des chapeaux exportés jusqu’en Russie et aux États-Unis, comme un écho à l’internationalisme du jeune Yannick Jadot, humanitaire et militant dans des ONG. On notera enfin que le candidat, éveillé aux valeurs républicaines et laïques par ses parents instituteurs et son père militant socialiste, descend du roi Louis VII (comme Éric Dupont-Moretti), est un "lointain neveu" de l’évêque Couchon (qui avait envoyé Jeanne d’Arc au bûcher) et s’est récemment dit "bluffé" par une encyclique du pape François.
"Je ne suis pas psychologue", rappelle Jean-Louis Beaucarnot. Sociologue ? Non plus. Mais divers constats le mènent à quelques analyses politiques. "Les milieux populaires peuvent donner beaucoup de gens de droite, tandis que la gauche se boboïse volontiers, tente l’auteur. Les valeurs ont tendance à changer de camp."
Ainsi relève-t-il que : Yannick Jadot vit dans le quartier Saint-Martin à Paris et que ses trois frères travaillent comme publicitaire, conseiller en économie et ingénieur ; Martine Aubry détient un appartement parisien dans le XVe arrondissement (comme François Hollande et Anne Hidalgo) ; tandis que Gérald Darmanin, qui se revendique toujours de droite, est né d’un père qui a multiplié les métiers simples (coiffeur, patron de café-dansant à Valenciennes, bouquiniste, éleveur d’oies) et d’une mère femme de ménage, avec des ancêtres modestes originaires de Belgique et d’Afrique du Nord.
Humanisation ou peopolisation ?
La vie privée est au coeur de ce Tout politique. Au-delà de son travail de généalogiste, l’auteur s’essaye à quelques "indiscrétions", certes divertissantes. Pêle-mêle, il indique : qu’Emmanuel Macron est un excellent pianiste, qu’Adrien Quatennens préfère la batterie, que Fabien Roussel passe ses vacances dans un camping deux étoiles en Corse, qu’Éric Dupont-Morretti est passionné de corrida et pratique la chasse au faucon, que Xavier Bertrand est un "grand ami des bêtes" et "adore les cachous et l’osso buco", plutôt "le tiramisu et les macarons" pour Martine Aubry.
Ceci, sans jamais indiquer ses sources. "Il y a ce que j’arrive à glaner en coulisses et ce que je trouve comme vous le trouveriez en vous renseignant bien", rétorque-t-il avec une légèreté étonnante pour qui dit bien connaître "le journalisme".
Jean-Louis Beaucarnot rappelle aussi quelques éléments des déclarations de patrimoine des ministres. Des déclarations rendues obligatoires pour éviter les conflits d’intérêts et les scandales politico-financiers à la Cahuzac. Il en retient le spectaculaire, rappelant au lecteur qu’Éric Dupont-Moretti est le second ministre le plus fortuné (derrière Franck Riester) : 6,3 millions d’euros, avec deux montres luxueuses (pour un total de 38000 euros), un bateau, trois voitures et une Harley Davidson.
Toutes les histoires personnelles et familiales gagnent à être connues. Leurs conseillers en communication leur disent d’utiliser tel ou tel trait, mais qui sont-ils ? Pourquoi portent-ils ces idées ? Je veux faire comprendre qu’un candidat est un homme ou une femme comme nous, avec ses forces et faiblesses. Et si je lui donne le sort de mon pays, j’ai besoin de savoir qui l’a fabriqué et comment.
Jean-Louis Beaucarnot
Revenons enfin sur ces fameux cousinages amusants. Ces "fiches-portraits originales et détonantes" dont le teasing monopolise la quatrième de couverture du livre. Un moyen légitime d’attirer le chaland, mais que l’auteur n’assume pas vraiment. "On ne me parle que de ça, il faut passer à autre chose, s’agaçait Jean-Louis Beaucarnot, dès le début de notre entretien. Ce sont d’abord des fiches qui éclairent les constructions de personnalités !"
L’auteur admet que son travail ne doit pas être sur-interprété : "Quand on prend le petit dealer de Macron, c’est lointain, c’était une erreur de jeunesse, chacun peut se trouver un gentil bagnard dans la généalogie… ça rend un peu plus humain, c’est tout." Il répète sa conviction : tous ces détails n’en sont pas, ils nous éclairent, lorsqu’il s’agit de donner le pouvoir à un individu.
Le travail peut être salué. L’auteur s’est fait plaisir en dénichant toutes ces informations. Un plaisir que devraient partager les lecteurs. Mais la portée politique de l’exercice, en vue des prochains scrutins, laisse songeur. Une pluie d’anecdotes pour briller devant les collègues à la machine à café, oui. Une base pour réfléchir et s'intéresser au monde politique, pourquoi pas. Une analyse documentée de la personnalité et de l’idéologie des candidats, non.
