Le Brexit change-t-il ou va-t-il changer la situation des migrants à Calais ?
Dans les heures qui ont suivi les résultats du référendum Brexit, plusieurs responsables politiques ont appelé à remettre en cause cet accord datant de 2003. "Le peuple britannique a tranché, je demande au gouvernement français de renégocier les accords du Touquet", a tweeté Xavier Bertrand, président LR de la région Les Hauts de France.
L'eurodéputée écologiste Karima Delli a pour affirmé sur Twitter que "François Hollande doit renvoyer les accords du Touquet aux oubliettes". Le parallèle entre Brexit et Touquet n'est pas récent. Début mars, le ministre de l'économie Emmanuel Macron avait clairement averti que "le jour où cette relation sera rompue, les migrants ne seront plus à Calais".
Cet avertissement, à remettre dans le contexte pré-referendum, allait à l'encontre de la position française, et le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve s'était fortement agacé du "buzz" de son collègue de l'Economie, affirmant que "la question ne se pose pas". Le traité du Touquet est en effet un texte bilatéral, conçu pour lutter contre l'immigration illégale, et signé après la fermeture du camp de Sangatte qui avait fermé en 2002. Il prévoit bien une clause de sortie, avec un délai de deux ans. Confiant les premiers contrôles d'immigration au pays de départ, ce traité a entraîné de fait un glissement de la frontière britannique dans les ports français.
"Un accord injuste"
"A présent que la Grande-Bretagne n'est plus dans l'UE, il n'y a aucune raison que la frontière se trouve encore à Calais", affirme à l'AFP François Gemenne, professeur à Sciences Po, pour qui Londres s'est "défaussé de ses responsabilités" avec cet accord "injuste pour la France et pour les migrants". "Le paradoxe est que, alors que le Brexit a été majoritairement un vote anti-migration, la Grande-Bretagne pourrait se retrouver à devoir accueillir davantage de migrants demain", note-t-il -- d'autant que Londres ne pourra plus renvoyer les demandeurs d'asile vers le premier pays où ils ont laissé une empreinte, comme le prévoit le règlement européen dit "de Dublin"."Jusqu'à présent les Britannique pouvaient se réclamer d'une certaine solidarité européenne, mais cela ne va plus être possible", abonde Henri Labayle, professeur à l'université de Pau et spécialiste des questions migratoires. De plus, cet accord "coûte très cher sur le plan politique, les partis populistes
se nourrissant de cette situation", ajoute-t-il.
Signal aux passeurs
L'universitaire met toutefois en garde: le campement de migrants de Calais ne disparaîtra pas avec la dénonciation du Touquet, car "il y a un obstacle physique" avec la mer. La population sur la "Jungle" a ainsi à nouveau augmenté ces dernières semaines, à près de 4.500 personnes, selon la préfète du Pas-de-Calais. Côté français, on souligne au ministère de l'Intérieur que la position sur le sujet n'a pas changé avec ce référendum.Bernard Cazeneuve avait estimé en mars que dénoncer le traité reviendrait à "envoyer le signal aux passeurs qu'ils sont légitimes à mettre tous les migrants à la frontière pour qu'ils passent" et dans ce cas "demain il n'y en aura plus 6.000 mais 20.000". Les autorités redoutent une multiplication des incidents qui rendrait de toute façon nécessaire le maintien d'un important dispositif de sécurité.
Le ministre de l'Intérieur insiste aussi régulièrement sur la hausse de la contribution financière obtenue auprès des Britanniques, notamment pour sécuriser la frontière. Sur la "Jungle", la situation mettra du temps à changer, affirme à l'AFP la maire LR de Calais, Natacha Bouchart. "Sauf à ce que clairement le président de la République se positionne pour demander très vite la renégociation des accords du Touquet".
"L'histoire de cette frontière n'est pas aussi simple qu'on veut bien le dire", a-t-elle expliqué sur RTL, plaidant pour un dispositif qui "empêchera les migrants de passer".