L'écrivain et réalisateur s'est confié sur son expérience de tournage à Calais, entre la "déconnade" avec les migrants et la crainte des passeurs.
"Pour comprendre exactement" la situation des migrants à Calais, "il fallait se rendre sur place", a déclaré l'écrivain Yann Moix à nos confrères de l'AFP, après y avoir séjourné "très régulièrement" pendant plusieurs mois dont il rapporte "Re-Calais", un film au ton décalé, programmé samedi sur Arte.C'est quelque chose qui s'éprouve, c'est terrible à voir et terrible à vivre
"J'ai décidé d'essayer de comprendre exactement ce qui se passait", explique-t-il, "c'est quelque chose qui s'éprouve, c'est terrible à voir et terrible à vivre". Il se rendait à Calais "dès que possible", y restait "plusieurs jours de suite", à l'exception du jeudi, pour cause d'émission "On n'est pas couché" sur France 2 qu'il quitte la saison prochaine.
Entre septembre et avril, l'auteur a tourné plus de 120 heures d'images et recueilli des "témoignages à la pelle". Il prépare une version longue destinée au cinéma. Entre 300 et 600 migrants, selon les sources, vivent à Calais et aux alentours dans l'espoir de gagner la Grande-Bretagne.
Le danger des passeurs
Au milieu des migrants, il y a des passeurs, censés faciliter leur traversée. "Eux, ils ne veulent surtout pas être identifiés, c'est comme si vous vouliez filmer des dealers", raconte l'écrivain, "nous n'étions pas les bienvenus". Ils règnent sur le terrain, même la police les redoute.
Selon lui, "ce trafic humain rapporte des dizaines de milliers d'euros par jour" à un système mafieux "ultra-sophistiqué, ultra-hiérarchisé" dont les "big boss", sont des chefs de communauté, établis à Paris et sa banlieue.
Dans son reportage "Re-Calais" sur @ARTEfr le 9.06 à 18h35, #YannMoix a souhaité redonner un peu d’humanité aux migrants. Il est l'invité de @28minutes ce soir. #Réfugiés
— ARTE pro (@ARTEpro) 5 juin 2018
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Les exilés, le plus souvent diplômés, en mathématiques ou en chimie, n'ont "pas de patrie, pas de papiers, ils ne sont pas armés", précise-t-il, piégés entre les passeurs et les gaz lacrymogènes des forces de l'ordre. Ses images témoignent de ce "jeu du chat et de la souris".
80% des CRS sont tout à fait loyaux, calmes et humains mais 20% sont des brutes épaisses
L'écrivain aurait souhaité "dormir avec eux" afin de "filmer la police quand elle vient démanteler" mais c'était courir "le risque de prendre un coup de couteau par un passeur". Couchés à même le sol, les nuits "sont interrompues toutes les deux heures, c'est un enfer".
Il n'y a pas de familles à Calais, c'est trop violent
Un policier lui a confié que "80% des CRS sont tout à fait loyaux, calmes et humains mais 20% sont des brutes épaisses qui gazent et frappent à tout-va".
"Il n'y a pas de familles à Calais, c'est trop violent, même un homme de plus de 35 ans n'y résiste pas", poursuit-il, "ceux qui se maintiennent à Calais sont des gamins de 20-25 ans".
Un besoin de "déconnade"
Yann Moix, qui publie mercredi "Dehors", longue lettre ouverte à Emmanuel Macron pour l'inciter à revoir sa politique à l'égard des migrants, joue parfois la carte de l'humour dans le documentaire dont le ton décalé peut surprendre.
"La déconnade est une chose dont les exilés ont énormément besoin et qu'on ne leur apporte jamais", fait-il valoir, "même dans la détresse tout continue".
Il a "la prétention" d'affirmer s'être "bien entendu avec la plupart des exilés croisés". En revanche, il admet "humblement" avoir versé une "micro contribution à cette histoire-là". Il compte se "désengager tranquillement" et "bien sûr, un claquement de doigts ne suffira pas pour m'en désintéresser, mais ma contribution intellectuelle ou artistique ou éditoriale s'arrête-là".