Le documentaire de Yann Moix, qui a été tourné à Calais pendant plusieurs mois, est disponible sur le site d'Arte. Un film étrange dans sa réalisation, qui donne la parole aux exilés comme aux habitants.
Il ne dit pas migrant mais exilé. Le premier mot étant sans doute trop entâché de racisme ordinaire, trop attaché à la "Jungle", au tourbillon médiatique qui entoure Calais depuis des années. Avec "Re-Calais", un documentaire de 50 minutes qui sera diffusé sur Arte samedi, Yann Moix apporte un regard différent sur la question migratoire à Calais. Objectif affiché : donner la parole à tout le monde (ou presque), tout en assumant un point de vue partial... et artistique ?
Regardez "Re-Calais" :
"En lisant les journaux, au bout d'un moment je ne comprenais plus ce qui se passait, j'ai voulu aller physiquement éprouver leur situation, sur le terrain", explique le réalisateur. "Là, j'ai vu un Calais que je n'aurais jamais imaginé."
Formellement étrange
"Re-Calais" ne ressemble pas aux reportages habituels sur Calais. Régulièrement, on filme (avec beaucoup de talent) Yann Moix en train de filmer (avec son camescope). Les images et les angles se mélangent; celles de Yann Moix sont volontairement amateures. Sans toutefois avoir le charme d'une Super 8. Entre-deux étrange. Pourquoi ?
Le réalisateur n'hésite pas à utiliser l'humour et l'assume. Après la projection du film, il explique que si les bénévoles apportent aux exilés un soutien vital, si les CRS leur apportent un regard pas nécessairement bienveillant, sa posture, à lui, a été d'apporter cette chose si humaine : l'humour. Pas de la moquerie, mais du rire-ensemble, explique-t-il.
Sauf que parfois, on ne comprend pas que Yann Moix rit avec eux. Quand il explique que la tendance est au rose en montrant des sacs de couchage de cette couleur, on ne voit personne d'autre rire. Même chose quand il annonce que le footballeur est sur la touche, en montrant un homme qui dort à même le sol. Pire; ces rires de sitcom et chapitrages ironiques, plaqués sur des séquences tragiques et sans transition. Pourquoi ?
Des témoignages uniques
Et puis il y a quelques moments très forts, spontanés, inattendus. Cette rencontre qui commençait mal avec un CRS, jusqu'à ce que Yann Moix et lui se rendent compte qu'ils se sont bien connus, il y a bien longtemps. Ce gendarme à la retraite tiraillé entre l'impossibilité d'accueillir "toute la misère du monde" et une humanité réflexe, aidée par la rencontre d'une belle jeune femme, qui n'était pas Française...
"Je trouve que ce film n'est pas à charge contre les forces de l'ordre. J'ai essayé justement de ne pas tomber dans ce piège", précise Yann Moix. Et effectivement, on est loin de la courte vidéo qui avait été diffusée suite à la tribune signée par Yann Moix dans Libération accusant Emmanuel Macron d'avoir instauré "un protocole de la bavure".
Sans doute décevant pour certains spectateurs, pourtant, en creux, tout y est. Ces regards rougis par les bombes lacrymogènes, ces courses-poursuites entre exilés et CRS qui ne suggèrent aucune "happy end". Et cet unique coup dans la tête et le dos, ponctué d'un habillage sonore à la Tex Avery (mais pourquoi ?). "Re-Calais", faute d'apporter des réponses aux spectateurs, amène au moins à réfléchir et suscite le débat. Domaine dans lequel Yann Moix excèle.