EPISODE 22 - C'était il y a 80 ans. Le début de la Seconde Guerre Mondiale. 500 personnes périssaient à bord de La Bourrasque lors de l'évacuation de Dunkerque. Les combats se poursuivaient à Lille tandis que des SS exécutaient sommairement des tirailleurs marocains à Febvin-Palfart.
Le jour vient de se lever à Febvin-Palfart, dans le vallon de la Méroise. Ici au cœur du Pas-de-Calais, un camp de transit de prisonniers a été installé par les Allemands près de l’école de la commune.
32 tirailleurs marocains sont sous la garde de SS. Ils sont exécutés d’une balle dans la nuque. Ces soldats marocains appartiennent à une division d’infanterie nord-africaine, la 1ère DINA.
Cette division s’est illustrée dans les combats pour la défense du Quesnoy dans l’Avesnois, à La Bassée et à Béthune. Fin mai, il ne restera plus rien de cette division, seuls quelques éléments seront rembarqués à Dunkerque.
Les corps des 32 Marocains abattus à Febvin-Palfart seront exhumés un an plus tard, sur l’ordre des autorités allemandes. Seuls 15 hommes purent être identifiés. Toutes les victimes de ce massacre seront inhumées dans le cimetière communal. Un monument sera inauguré en leur mémoire en 1971.
Selon l’historien Yves Le Manner, en mai 1940 dans le Nord et le Pas-de-Calais, 500 civils et prisonniers seront lâchement abattus par des unités allemandes qui supportent mal d’être malmenées, voire parfois surclassées pour la première fois de la guerre.
L'étau se resserre sur Dunkerque
Tôt ce matin-là, Marc Bloch, officier d'état-major, quitte Hondschoote et repart vers la côte. "Marche affreuse, du moins dans ses dix derniers kilomètres, qu’il fallut franchir parmi d’extraordinaires entassements de camions à peine visibles dans une obscurité de plus en plus épaisse".
Il parvient à Bray-Dunes : "Tout ce littoral, bordé vers l’arrière de marais et de polders envahis par le sel, se trouvait alors, par suite de la rupture des canalisations, presque complétement privé d’eau. Nous n’eûmes, pour apaiser notre soif, qu’un verre de champagne. Combien une bonne lampée, à une fontaine bien fraîche, eut été plus douce à mon gosier".
100 000 hommes se protègent comme ils peuvent le long des plages du Dunkerquois et de La Panne en Belgique. Dans le camp des Dunes, 37 000 hommes attendent encore leur tour pour partir en Angleterre.
"C'était kafkaïen", se souviendra, dans un documentaire télévisé, Robert Merle, l'auteur de Week-end à Zuydcoote, alors officier de liaison entre Français et Britanniques. "Il y avait quelque chose d'absurde parce qu'en même temps, il faisait très beau, un temps absolument magnifique. (...) Les gars étaient couchés dans les dunes, ils étaient torses nus et ils regardaient les combats aériens. Alors ils applaudissaient, ils disaient "Hourra ! Bravo !". Et ils applaudissaient comme à un spectacle".
Le ravitaillement des dizaines de milliers de soldats coincés à Dunkerque est très compliqué. Les Britanniques font échouer des barges à voile de la Tamise sur les plages à l’Ouest du port, elles sont chargées d’eau douce, de nourriture et de munitions.
L’usine des Dunes de Leffrinckoucke sert de point de ravitaillement pour les Français. Ils y perçoivent leur ration journalière "spéciale camp des Dunes" : 250g de cassoulet, 15g de pâté et 10cl de vin.
Le poète Louis Aragon est à Malo-Terminus avec son unité. "C’est un camp sans limite où les soldats courent de tranchée en tranchée… On porte des blessés vers le poste de Malo-Terminus, dans les bâtiments du casino, il en vient de partout, de Rosendaël qui a pris une sacrée dégelée, de l’arrière-pays comme de la plage".
A quelques kilomètres du littoral, un autre écrivain attend l’assaut des Allemands. Le lieutenant Julien Gracq (de son vrai nom Louis Poirier) est près de Bergues sur le périmètre de défense de la poche de Dunkerque. Le long du canal de la Colme, Français et Britanniques attendent l’arrivée des Allemands.
Les divisions allemandes qui viennent de Belgique réalisent la jonction avec celles qui viennent de la région de Cassel. Il ne reste plus rien du corridor défendu par les Alliés. Seul le camp retranché autour de Dunkerque échappe à la Wehrmacht.
Le général Janssen et ses hommes de la 12e division d’infanterie motorisée pensaient pouvoir embarquer rapidement pour l’Angleterre. La veille, ils sont arrivés de Lille, exténués, échappant de peu à l’encerclement. Pourtant le général Falgade et l’amiral Abrial, responsables de la défense de Dunkerque, demandent au général Janssen de se retrancher le long du périmètre du camp.
Les Français n’ont aucune troupe fraîche en état de combattre pour occuper le front de Bray-Dunes à Bergues en passant par Ghyvelde. La 12e Division va s’en charger. Les hommes du général Janssen ont dû abandonner leur artillerie lourde à l’entrée du périmètre sur ordre des Britanniques. Les canons de marine des batteries de Zuydcoote et Bray-Dunes sont orientés le plus possible vers la terre pour être utiles.
Des unités font le tour du matériel abandonné pour récupérer ce qui peut l’être. Le général Janssen et ses hommes, malgré la fatigue, se mettent en place le long des canaux. Il est temps... A 13h, Hondschoote et Killem tombent. Les véhicules abandonnés au bord des routes sont incendiés pour gêner la progression allemande.
Les avant-gardes ennemies commencent à tester les défenses alliées, les escarmouches se multiplient le long de la Colme autour de Bergues.
A Téteghem, le jeune Jacques Duquesne voit son premier soldat allemand, "un prisonnier, encadré par deux soldats français, qui ne semblaient pas aussi fiers de leur prise que je l’aurais cru… je courus vers la petite maison pour en informer les autres, notamment les femmes rassemblées dans l’étroite cuisine… Mon plaisir ne dura pas : elles me rappelèrent brutalement que les Allemands étaient tout près à Warhem".
A l’est de Dunkerque, aux abords du canal de Mardyck, les Allemands tentent un assaut avec de gros moyens. La 68e division d’infanterie tient ce front avec l’appui des canons de batteries côtières et de l’artillerie de campagne. Toute la journée les attaques sont repoussées. Le 225e régiment d’infanterie à Spycker inflige de lourdes pertes aux Allemands autour du château de l’Afgand.
Pendant que les combats s’intensifient autour du périmètre de Dunkerque, l’Opération Dynamo bat son plein. Grâce à l’armada des "Little Ships" et aux bâtiments militaires alliés, 54 000 hommes sont de nouveau évacués en cette journée.
Pour faciliter l’embarquement depuis les plages, de longues jetées de fortunes sont aménagées grâce à des carcasses de camions militaires avancées dans l’eau sur lesquels des planches sont fixées.
Le soldat Jean Beauvalot, originaire de Craywick, est hospitalisé au Sanatorium de Zuydcoote. Il a vu les soldats anglais attendre leur tour pour embarquer depuis les plages. "Je dois rendre honneur et hommage aux soldats du corps expéditionnaire anglais. Sur la plage de Malo, ils étaient alignés par groupes de 50 car il n’y avait que des petites barques. Les bateaux de transport se trouvaient en rade protégés par la marine de guerre".
"Quand ils étaient mitraillés, ils restaient toujours imperturbables et debout. Rester debout sous un mitraillage aérien vous savez, c’est quelque chose".
Avant de monter à bord, parfois les soldats démontent les pneus des véhicules abandonnés pour récupérer les chambres à air et en faire des bouées de sauvetage. Car l’artillerie allemande, les mines magnétiques et la Luftwaffe continuent de faire des ravages parmi les navires.
La tragédie de La Bourrasque
Ce 30 mai, vers 15h, un contre-torpilleur quitte le quai Félix Faure. Il s’agit de La Bourrasque, navire de 105m construit à Dunkerque en 1923. A bord, plus de 800 hommes. Beaucoup sont des marins originaires de Dunkerque comme le quartier-maître Louis Spitaels. Il a reçu l’ordre d’embarquer et laisse donc sa femme et ses deux enfants à Rosendaël.
Dès la sortie du port, La Bourrasque est prise à partie par des avions allemands qui mitraillent et bombardent mais finissent par abandonner la poursuite. A 17h, le navire est au large des côtes belges. L’artillerie allemande qui y est déployée commence à le viser.
A ce moment-là, une violente explosion secoue La Bourrasque. Louis Spitaels témoigne. "Est-ce une mine, une bombe, une torpille ? Jamais je ne le sus. Je me précipite sur le pont qui est jonché de cadavres, les officiers interviennent pour maintenir l’ordre. Le bateau a été gravement touché. Déjà, il s’enfonce lentement dans les flots en oscillant sur tribord. Des soldats, pris de panique, se jettent à l’eau, sac au dos, ils coulent à pic. Des ordres fusent de toutes parts. Celui de se mettre des deux côté pour essayer de rétablir l’équilibre gravement menacé est donné en vain".
C’est une mine magnétique qui a heurté le bateau. Les canons allemands touchent également le navire en train de couler : "Soudain, je me sens violemment projeté à la surface et je me retrouve nageant au milieu des sacs de marins, de valises, de débris de bois de toutes sortes, perdant le sang par les oreilles et par le nez. Je suis témoin de scènes atroces qui restent gravées dans ma mémoire. Un marin du Bataillon de Côte : le matelot Cosic, nageait et soutenait un camarade, bien que ce dernier lui demandait de le lâcher, il le maintint quand même à la surface. Ils disparurent tous deux dans les flots. Partout ce n’était que cris et plaintes" (Pierre Verove - Extrait du Nord-Maritime du 29 septembre 1942).
Heureusement un autre navire, Le Branlebas, suit de près La Bourrasque. Il recueille 52 naufragés mais sous le feu allemand, il doit continuer sa route.
30 mai 1940 - Dunkerque
— ECPAD (@ecpa_d) March 16, 2020
Soldats et marins rescapés du naufrage du torpilleur la Bourrasque, entré en collision avec une mine lors de l'évacuation des troupes franco-britanniques et hissés à bord du Branle-bas qui s'est porté à leur secours.
Réf: MARINE 667-13960
©ECPAD/Défense pic.twitter.com/RnFaG8wYLx
Joseph Kessel, écrivain et grand reporter, a rejoint Dunkerque en ce mois de mai 1940. Dans L’Heure des Châtiments, il raconte le sauvetage : "A bord du Branlebas un projectile a éclaté en l’air, fauché 25 hommes. – On se fout de la souffrance, dit l’un des matelots qui a la jambe tranchée. Comment va le bateau ? Comment vont les copains ? Et un autre, qui a 17 ans, l’épine dorsale traversée, le ventre atteint, trouve en lui la force de monter à son poste de combat".
Deux chalutiers anglais arrivent moins d’une heure après le naufrage et sauvent plus de 200 personnes. C’est sur l’un de ces deux chalutiers que Louis Spitaels réussi à monter pour être emmené à Douvres. Une cinquantaine de soldats restent juchés sur la coque du contre-torpilleur qui s’est complétement retourné. Seuls 13 seront secourus à 7h, le lendemain... 500 hommes ont disparu dans ce naufrage. L’épave de La Bourrasque gît toujours, 25 mètres sous la surface, au large d’Ostende.
Ce 30 mai, neuf autres navires militaires sont coulés et 3 autres endommagés.
Les troupes françaises encerclées à Lille luttent toujours
Pendant ce temps, autour de Lille, les attaques allemandes s’intensifient, notamment à Loos, Lomme et Lambersart.
Retranchés dans des usines ou des pâtés de maisons, les Français résistent. D’après l’historien Yves Le Manner, les combats se déroulent parfois à la grenade, maison par maison.
Les Allemands prennent les rues en enfilade avec leur artillerie de campagne. Lille a été déclarée ville ouverte par les autorités pour éviter la destruction, c’est pourtant bien le premier "Hexenkessel" ("chaudron") comme disent les Allemands de la Seconde Guerre Mondiale.
Le soir, le général allemand Waeger demande au général Molinié de se rendre. Les Allemands menacent de bombarder massivement Lille avec leur aviation si les Français ne déposent pas les armes. James Fleury, le maire d’Haubourdin, fait savoir au général Moliné que la population soutient son armée : “Si vous estimez que la prolongation de la lutte jusqu'à épuisement des munitions vous est imposée par l'honneur militaire, toute la population sera derrière vous”.
Des milliers de civils restent terrés dans les caves au milieu des combats qui continuent. Sur les rives de la Deûle, les tirailleurs tunisiens tiennent toujours les deux derniers ponts. Des blindés allemands sont repoussés à coup de canons anti-chars.
De Gaulle échoue à Abbeville
Durant la nuit, les Allemands ont amené des renforts sur les hauteurs du Mont Caubert près d’Abbeville.
Les canons de 88 et de 105mm attendent les chars français. De Gaulle lance ses blindés dans un assaut frontal.
L’artillerie allemande parvient à repousser les attaques. De 17h à 21h, des avions français et britanniques tentent de neutraliser les canons allemands. Plusieurs pièces sont détruites mais les chars échouent à quelques encablures des dernières batteries allemandes solidement installées au sommet du Mont Caubert.
Comme lors de la bataille d’Arras, les canons anti-aériens allemands utilisés comme armes anti-chars vont permettre de neutraliser les blindages les plus épais.
92 des 137 chars français engagés ont été détruits en 3 jours. De Gaulle a perdu 800 hommes.
En face, les Allemands ont 2300 soldats tués, blessés ou faits prisonniers, mais ils ont préservé une petite tête de pont sur la Somme. Celle-ci servira de base de départ au général Rommel pour s’enfoncer vers le sud de la France dans quelques jours. Après avoir participé à l’encerclement de Lille, celui-ci a déjà pris la direction de la Somme avec sa Panzerdivision...
► La suite de notre série demain avec la journée du 31 mai 1940. Vous pouvez relire les épisodes précédents dans le récapitulatif ci-dessous :