L'ESJ Lille souffle sa centième bougie ce samedi 9 novembre 2024. L'école de journalisme lilloise, une institution dans les Hauts-de-France. Au sein de ses murs, un siècle d'histoire s'est écrit. Découverte de cet établissement qui enseigne un métier aussi décrié que rêvé.
Rue Gauthier-de-Châtillon, non loin de Sciences Po Lille, siège une institution du journalisme : l'ESJ Lille. Cent ans que cette école enseigne le journalisme. Pour l'occasion, samedi 9 novembre, l'établissement organise dans ses locaux le "journalivre", des tables rondes et des jeux à travers la ville. Plongée dans l'histoire d'une école qui a formé plus de 5000 journalistes en un siècle d'existence.
S'il y a bien une école dans le paysage lillois qui a formé les plus grands aussi bien sur les ondes, dans les gazettes ou à la télévision, c'est l'ESJ Lille. L'institution s'inscrit comme la plus ancienne des écoles de journalisme reconnues par la profession en France. En un siècle, elle a connu de nombreuses évolutions. Mais les mêmes missions l'ont toujours animée : celles de recueillir, vérifier des faits, être témoin sans être militant tout en respectant une déontologie.
Du tabloïd aux réseaux sociaux
Du tabloïd des années 30 aux vidéos qu'on trouve aujourd'hui sur les réseaux sociaux, l'école de journalisme de Lille a su être une sorte de laboratoire du métier. L'ESJ Lille raconte 100 ans de journalisme, un ouvrage sous la direction d'Éric Maitrot et Nicolas Crestel, met en lumière au travers de 176 pages un établissement emblématique de Lille.
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"La première promotion qui intègre l'ESJ Lille début novembre 1924 compte trois étudiants, Ils étaient à l'université catholique, boulevard Vauban. Le fondateur se nomme Paul Verschave", conte le livre dès ses premières lignes. Nicolas Crestel, l'un des directeurs de l'ouvrage, l'assure : "Ce n’est pas seulement un livre pour les anciens, mais pour le grand public." Au travers de sept chapitres : "le journalisme s'apprend", "l'image" ou encore "la Maison ESJ", le livre relate cent ans de formation journalistique.
"En 1956, l'ESJ Lille est reconnue par la profession. Il faut attendre 1969 pour que l'État fasse de même. Dans les années 60, l'école quitte le giron de l'université catholique et devient une association loi 1901. En 1982, l'un des premiers ordinateurs portables, le Scrib, fait son entrée dans l'école. En première ligne du côté technique, l'établissement agit également contre l'entre-soi. Dès 2008, l'école lance la prépa égalité des chances, réservée aux boursiers, afin d'élargir la palette d'élèves aspirants journalistes et de contribuer à la représenter la diversité de la société dans les médias. Puis en 2015, j'ai eu la chance de participer au lancement de l'Académie ESJ, un parcours post-bac d'initiation au journalisme", retrace Nicolas Crestel. L’ESJ Lille propose différentes formations : licence professionnelle de proximité, licence professionnelle de sport, parcours pour des étudiants internationaux, etc.
L'ESJ, en première ligne du côté technique, l'établissement agit également contre l'entre-soi.
Nicolas Crestel, diplômé de la 78e promotion de l'ESJ LIlle
"J'ai pu me frotter au terrain assez vite"
On se demande parfois comment se fabrique l'information. L'ESJ Lille connaît ces secrets. Par le prisme de l'école, quiconque découvre l'histoire de la presse. "Le journaliste a un rôle à jouer dans une démocratie pour informer les citoyens. Il doit être sérieux sans se prendre trop au sérieux", confie d'un ton enthousiaste Nicolas Crestel.
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Le journaliste nordiste se revoit encore sur les bancs de l'ESJ Lille, 22 ans auparavant. Le meilleur souvenir de Nicolas Crestel : "En 2002, au début de la crise migratoire sur les côtes de la Manche avec la spécialité radio, nous nous sommes rendus à Calais 3 à 4 jours. J'ai pu me frotter au terrain assez vite et avoir des témoignages très touchants de migrants."
Le mot d'ordre de l'école : permettre aux élèves de s'insérer professionnellement dans les plus grands médias français.
"C’est un lieu où l'on essaye d'éveiller la curiosité des élèves"
RTL, France Télévisions ou encore Le Monde, "la force de l'ESJ Lille, c'est de ne pas être à Paris. Pendant cent ans, elle a toujours développé cette particularité. C'est un héritage à faire perdurer", présente Nicolas Crestel.
Briques rouges, jolies arabesques architecturales, l'ESJ Lille se loge depuis 1981 dans un ancien bâtiment de la faculté de médecine, construit en 1893. Aujourd'hui, quand on est étudiant en master à l'école de journalisme de Lille, on démarre aux alentours de 9h du matin. On badge, puis on est plongé dans un cours théorique dans le grand amphithéâtre sur la sociologie des médias ou le journalisme en zones de conflits.
Dans cet auditorium des médaillons des plus illustres physiciens-chimistes comme Foucault ou Arago. "Cela rappelle aux étudiants les marqueurs forts de notre métier : prudence, vérification et esprit critique. C’est un lieu où l'on essaye d'éveiller la curiosité des élèves", dépeint Pierre Savary, directeur de l'ESJ Lille.
C’est un lieu où l'on essaye d'éveiller la curiosité des élèves.
Pierre Savary, directeur de l'ESJ Lille
Une matinée instructive passée, les étudiants enchaînent avec la pause déjeuner. Certains prennent un café dans la cour de l'école et d'autres se défient au baby-foot. L'ESJ Lille véhicule une "ambiance familiale" confieraient de nombreux anciens de l'institution.
La pause est finie. Retour en cours. Cet après-midi place à la pratique. "Le terrain, quelque chose d'important depuis longtemps pour l'école", certifie Pierre Savary. Des étudiants en master 2 spécialisation TV se sont essayés à l'exercice du reportage avec leur professeur Quentin Fichet, journaliste à TF1.
"Donner des séquences fortes en images. Tentez, n'ayez pas peur de rater. On ne vous reprochera jamais d’avoir essayé quelque chose", lance le formateur. Le professionnel de l'image aiguille les étudiants sur les pistes d'amélioration de leur travail. "J’ai été élève, j’ai un peu vieilli et maintenant, je suis professeur ici. C'est le supplément d'âme qui me tient le plus à cœur dans cette école, c’est la transmission. Cette école ouvre toutes les portes", dit-il chaleureusement.
L’ESJ, c'était éloigné pour moi, mais c'est un nom que j'ai toujours retenu.
Mona Bru, étudiante en M2 spécialité radio à l'ESJ Lille
Si pour la télévision, l'heure est au visionnage de sujets, dans le studio radio, c'est l'effervescence. Au programme en cette fin d'après-midi : flashs radio sur les élections américaines. Mona Bru casque audio vissé sur les oreilles débite son texte. "L’ESJ, c'était éloigné pour moi, mais c'est un nom que j'ai toujours retenu", avoue l'étudiante ayant passé de nombreux concours aux écoles reconnues par la profession.
L'étudiante vient du Cantal. La première fois qu'elle passe devant l'ESJ Lille, elle est intimidée. "Au début, je ne comprenais pas ce que je faisais ici", s'amuse-t-elle. L'école de journalisme, un banc d'essai avant de passer sur les ondes les plus écoutées du pays. "On passe tellement de temps ici que ça devient un peu comme notre maison", ajoute l'étudiante.
Les enseignements sont terminés. La nuit tombe. Les étudiants doivent encore plancher sur des travaux d'école. Rendez-vous à la bibliothèque, lieu architectural emblématique de l'ESJ Lille. Fonds spécialisés sur la presse des dernières décennies, "c’est un souvenir de l’histoire et du patrimoine de notre profession", commente Pierre Savary. Au sous-sol de l'école se trouve "la cave aux canards", dans celle-ci une collection d'anciens titres de presse.
Installés entre les imposantes étagères de la bibliothèque, se trouvent des étudiants à l'Académie ESJ Lille. En troisième année de licence, ils préparent les concours aux écoles de journalisme. "C’est extrêmement inspirant d’être dans ce lieu. Cela me pousse à bien travailler pour intégrer le milieu du journalisme", livre Isalyne Defour, étudiante.
Des journalistes célèbres
Des noms résonnent dans les têtes des étudiants lorsqu'ils franchissent le pas de l'ESJ Lille : Luc Bronner du Monde, Edwy Plenel de Mediapart, Sonia Devillers, présentatrice de la matinale de France Inter, Parick Cohen ou encore Jean-Pierre Pernaud de TF1.
Parmi celles et ceux qui ont réalisé leur rêve de devenir journalistes, ce sont bien Céline Rousseaux (77ᵉ promotion) et Virna Sacchi (73ᵉ promotion), respectivement présentatrices du JT du midi et du soir de France 3 Hauts-de-France. Elles racontent leur passage à l'ESJ Lille.
Céline Rousseaux, 77ᵉ promotion de l'ESJ Lille
"L'école me paraissait inaccessible, car il s'agit de l'une des meilleures formations de France. Il y avait beaucoup de candidats pour seulement 60 places. Plus l'année de préparation du concours avançait, plus je me disais que je n'aurais jamais l'ESJ Lille. Il fallait s'intéresser à tout : au sport, au cinéma, avoir une bonne culture générale. Au final, j'ai passé six écoles à l'écrit et je les ai toutes eus. Après l'oral, lorsque j'ai su que j'étais prise à Lille, j'y suis allée, car c'était une des meilleures. Je voulais travailler assez vite. J'ai pris beaucoup de plaisir avec les cours de télévision. L'école de journalisme ce n'est pas que le travail. Ce sont aussi les soirées le jeudi où des camarades donnaient des concerts. Il reste toujours un fil entre élèves. Même si on ne se voit pas pendant vingt ans, on est toujours ravis de se retrouver sur le terrain."
Virna Sacchi, diplômée de la 73e promotion de l'ESJ Lille
"Quand on pense journalisme, on a en tête investigation. Lorsqu'on arrive dans une école de journalisme, on se rend compte que notre travail, c'est aussi du grand reportage, mais au coin de la rue. À l'ESJ, on commence vraiment par la presse locale et régionale. C'est plus compliqué de rendre intéressant un article sur une petite commune du Pas-de-Calais que sur l'élection américaine. L'école a perduré dans le temps grâce aux valeurs des gens qui ont fait l'école. C'est un lieu qui nous ramène les pieds sur terre et à la vraie vie dans une certaine simplicité loin de l'esprit élitiste parisien. Ce qui m'anime au quotidien et que j'ai appris à l'école, c'est le besoin de vérité et aller au-delà de la parole officielle."
Les citoyens, aujourd'hui, attendent les journalistes sur la compréhension du nouveau monde. Celui-ci serait en partie sous le signe de l'intelligence artificielle. Pierre Savary, directeur de l'ESJ Lille garantit une formation permettant à ses étudiants de "comprendre et savoir utiliser cette nouvelle technologie." "Elle est présente à l’intérieur des médias, on ne peut pas l’ignorer. Les journalistes doivent s’adapter", insiste-t-il.
À l'heure du tout numérique des images générées par l'intelligence artificielle circulent en nombre. C'est aussi le cas de contenus informationnels affluant sur les réseaux sociaux. "Tout le monde diffuse de l’information, mais tout le monde n’est pas journaliste. Aujourd'hui, plus que jamais notre école enseigne ce qu'est une démarche journalistique", explique le directeur de l'ESJ Lille.
Et pour éviter à ses élèves de se voir reprocher d'être déconnectés du terrain, Pierre Savary leur rappelle ce principe de base : "Acheter une paire de bottes et aller sur le terrain plutôt que de se contenter d'interroger des institutionnels."
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Pour ceux qui souhaitent percer les secrets de l'institution centenaire, l'ESJ Lille ouvre ses portes ce samedi 9 novembre. Au programme : salon du livre, tables rondes et jeux interactifs dans la ville.