Éducation aux médias : des élèves réalisent des vidéos pour Tik Tok, avec leurs enseignantes, et publient du contenu

À Tourcoing, des enseignantes ont décidé de ne plus vilipender Tik Tok, tout en étant conscientes des nombreuses questions posées par le réseau social chinois, notamment sur le respect de la vie privée et de l'image des jeunes. Elles proposent la création de vidéos pédagogiques à leurs élèves sur le réseau.

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Au collège Mendès-France de Tourcoing, dans le quartier de la Bourgogne, la professeure-documentaliste Emily Bouillon, en poste depuis dix ans dans l'établissement, anime des activités d'éducation aux médias depuis plusieurs années déjà, sous diverses formes : il y a la Gazette, un magazine imprimé réalisé par les élèves, et des émissions de radio et des vidéos, format abordé depuis trois ans, dans la classe média ou dans les clubs qui se déroulent hors des temps scolaires.

Cette année, huit élèves, toutes des filles, de la sixième à la troisième, se retrouvent tous les lundis après-midi pendant une heure pour préparer ensemble des vidéos à destination de Tik Tok. L'exercice consiste à réaliser des vidéos courtes, d'une durée de 1 à 2 minutes, au format vertical, qui expliquent une question d’actualité, à l'attention des élèves du collège.

L'idée c'était peut-être aussi de décortiquer ce réseau et de publier du contenu. Vulgariser l'actualité, pour que ce soit un contenu, un média pour les autres élèves du collège.

Emilie Bouillon, Education aux Médias

La petite équipe, accompagnée par leur professeure-documentaliste Emily Bouillon et son assistante Dounia Saber, ont créé un compte sur le réseau social, @actuspmf, où elles ont déjà posté une vidéo sur la prévention des risques auditifs.

@actuspmf Les risques auditifs, ça vous parle ? 👂 #prevention #Peaceandlobe #ara #journalisteenherbe ♬ Censor Beep Bleep (Version 3) [TV Television Censorship Bleep Out Censored] [Sound Effect] - Finnolia Sound Effects

L'enseignante s'explique : "Pourquoi Tik Tok ? Parce que c'est un réseau social qui est extrêmement utilisé par nos élèves. Au lieu de le décrier et de dire "attention Tik Tok !", et alors qu'il n'y a pas que des choses inintéressantes, l'idée c'était aussi de décortiquer ce réseau et de publier du contenu. Vulgariser l'actualité, pour que ce soit un contenu, un média pour les autres élèves du collège."

La réalisation des vidéos s'étale sur plusieurs semaines. En moyenne, trois séances sont dédiées à la recherche documentaire et à l'écriture et deux au tournage et au montage, sur smartphone exclusivement.

Pour des raisons de protection de l'image des mineurs, mais aussi pour ne pas se contenter de paroles en "face caméra" et être plus créatifs, les élèves n'apparaissent pas à l'image. Elles ont opté pour des animations en "stop motion" et des montages rythmés, à partir de dessins réalisés par leurs soins et en utilisant des figurines Playmobil. Un procédé inspiré de plusieurs médias qui l'utilisent pour faire de la vulgarisation, à l'instar du magazine Alternatives Économiques sur Tik Tok.

L'idée, c'est de ne pas diaboliser Tik Tok justement parce que c'est le média qui est le plus utilisé aujourd'hui par les adolescents. Mais de leur apprendre à s'en saisir de manière un peu plus intelligente et utile.

Emily Bouillon, professeure-documentaliste

Chancelline est en 4e, dans la classe média dont Mme Bouillon est professeure principale. Elle participe aussi à l'atelier vidéos Tik Tok du lundi. Tiktokeuse aguerrie, sa vision du réseau social préféré des 15-25 ans a pourtant évolué : "Ce qui est bien, c'est que le sujet, il est réfléchi. Parce que souvent, quand on voit un Tik Tok, c'est que quinze secondes. On s'imagine que c'est fait à la minute même. Mais en fait, il y a beaucoup de réflexion avant, et moi je ne le savais pas. Et le fait d'en faire justement au club, ça m'a aidé à savoir. Maintenant quand je regarde des vidéos, je regarde avec un nouvel œil et je me dis "waouh, il a bien travaillé" au lieu de "Ah, c'est nul !"."

Maintenant quand je regarde des vidéos, je regarde avec un nouvel œil et je me dis "waouh, il a bien travaillé" au lieu de "Ah, c'est nul !

Une élève

"On ne va pas faire un Tik Tok sur un sujet au hasard"

Pour l'enseignante, cet atelier Tik Tok, "c’est une heure toujours sympa, avec des élèves toujours engagés". Elle reconnaît qu'au collège, "c'est plus facile de monter des ateliers et des projets". Notamment parce que les élèves sont plus disposés et moins absorbés par les examens, selon elle. Le collège Mendes-France, établissement en REP+ (Réseau d'éducation prioritaire plus) bénéficie de moyens supplémentaires pour organiser diverses activités, notamment des projets d'éducation aux médias. En outre, les élèves ont créé une junior association pour financer l'achat des consommables pour la classe média. 

En ce moment, le groupe de filles travaille sur une vidéo sur les migrations liées au réchauffement climatique. Chacune a participé aux différentes étapes : recherche d'infos, écriture et création des visuels.

Avant le tournage, dans un mini-studio installé au sein du CDI du collège, un projecteur et un anneau lumineux éclairent une table blanche devant laquelle est positionné un smartphone sur trépied et sur laquelle sont disposés les petits personnages de plastique et de nombreuses images imprimées et découpées : des drapeaux et cartes de différents pays, des photos (libres de droit) montrant la sécheresse ou des incendies, des pictogrammes d'ouragan ou de flammes, des bulles avec des données chiffrées, etc., toutes réalisés par les élèves et qui serviront à la réalisation de la vidéo.

Les élèves et leurs encadrantes s'affairent dans une ambiance à la fois sérieuse et décontractée. La sérénité règne et les petites questions techniques, de cadrage ou d'éclairage, ne font pour autant pas monter la pression. "Je pense que ce n'est pas plus mal d'avoir beaucoup de filles, parce que c'est vrai que de manière générale, les filles ont tendance, en tout cas à cet âge-là, à moins manifester leur opinion. On voit que l'espace sonore est quand même beaucoup plus facilement pris par les garçons. Donc, ce n'est pas plus mal qu'elles s'emparent des supports médiatiques et qu'elles fassent entendre leur voix", analyse Dounia Saber, assistante pédagogique en CDD d'un an à Mendès-France. La jeune femme voulait devenir enseignante d'histoire-géographie, mais son expérience cette année l'a convertie : elle veut passer le concours de professeure-documentaliste.

L'expérience fait également naître des vocations chez les élèves. Léa, en classe de 4e, a déjà trouvé un stage pour l’an prochain, qu'elle effectuera à France Bleu Nord. Elle participe à la gazette du collège depuis la 6e. "Quand j’ai commencé, ça m’a donné envie et je me suis dit : c’est ça que je veux faire !", affirme-t-elle avec conviction. 

C'est incroyable de voir à quel point déjà elles choisissent toutes seules leur sujet. Elles construisent tout le Tik Tok à partir de ce sujet-là. Que ce soit le montage, les ressources qu'elles vont utiliser. Franchement, elles font tout de A à Z, et je suis hyper admirative. Je trouve ça cool.

Dounia Saber, assistante pédagogique

D'autres élèves de l'atelier Tik Tok participent par ailleurs à l'atelier web radio du collège, comme Alicia (en 6e) qui a récemment enregistré une chronique sur le manga One Piece et Inès (5e) qui a écrit "La minute écologie" du 22 mars, journée mondiale de l’eau, en donnant des conseils pour réduire sa consommation ("vider le fond des gourdes dans les plantes, couper l’eau quand on se lave les dents ou les mains, ..."). Deux sessions de 45 minutes chaque semaine permettent d'enregistrer une émission de 10 à 15 minutes, diffusée toutes les quinzaines sur les haut-parleurs de l'établissement, en place du quart d'heure de lecture quotidien. 

Prochaine étape pour Emily Bouillon : amener la classe média à Paris et visiter plusieurs rédactions nationales, puis proposer aux écoliers du quartier des ateliers d'éducation aux médias animés par les collégiens.

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