Avec 196.743 injections d'AstraZeneca au 15 mai, c'est le Nord qui détient le record de doses administrées de ce vaccin décrié en France. Le département est le plus peuplé du pays, certes. Mais de tels chiffres ne s'expliquent pas seulement par la démographie.
Le Nord est le département de France qui vaccine le plus à l’AstraZeneca. Au 15 mai 2021, 196.743 personnes avaient reçu une injection du vaccin. À titre de comparaison, Paris n'en compte que 173.890 pour une population quasiment équivalente (2.1 millions d'habitants contre 2.5 millions dans le Nord).
Alors, pourquoi autant de personnes de la région ont-elles reçu une dose de ce vaccin tant décrié ? Dans les centres de vaccination, "il est toujours aussi évité par les patients", rappelle Thierry Mraovic, médecin coordinateur au centre de vaccination Sportica, à Gravelines.
L'Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, de son côté, explique qu'il existe deux systèmes logistiques différents : "Il y a d'abord une répartition régionale des doses, ça se fait en fonction de la proportion de la population. Il n'y a pas plus de doses d'un vaccin spécifique envoyées dans la région". Ensuite, "le deuxième circuit, c'est à travers les médecins de ville, ce sont des commandes."
Une proximité entre patients et médecin traitant
Et la réponse se trouve peut-être là. Bertrand Demory, président de la Confédération des syndicats médicaux région Nord Pas-de-Calais met en avant "la proximité des médecins traitant avec leur population dans le Nord" qui permettrait à la patientelle d'accepter le vaccin AstraZeneca lorsque le docteur le conseille. "La prescription d'un médicament ou d'un vaccin se fait sur la base de la confiance entre le médecin et son patient", poursuit-il..
"La population est telle qu’on est vraiment leur référent en matière de santé, quelle que soit la question de santé, ajoute le médecin. La patientelle dans le Nord est plus proche de ses médecins car il y a une précarité de la santé dans cette région. C'est-à-dire qu'il y a une inégale répartition des centres de soin, du matériel. Alors, nous sommes leurs premiers interlocuteurs et ils nous écoutent."
Quand il y a moins accès aux grands centres de vaccination, ils vont sûrement se vacciner chez leur médecin traitant. Ils ont confiance en lui.
Si dans certaines zones, les centres de vaccination pullulent, dans d’autres, ce n'est pas le cas. "Quand il y a moins accès aux grands centres de vaccination, les habitants du Nord vont sûrement se vacciner chez leur médecin traitant. Ils ont confiance en lui."
"C'est surtout dans les centres de vaccination que les gens refusent parfois catégoriquement le vaccin AstraZeneca", ajoute Charles Charani, médecin responsable de deux centres de vaccination à Wasquehal et Villeneuve d'Ascq, qui dépendent du CPTS La Marque. Dans son bureau, c'est une autre histoire. "Dans le cabinet, nos patients nous ont fait confiance. On a fait beaucoup vacciner à l'AstraZeneca."
Plus de maladies chroniques et de suivis
Cette confiance est permise par des suivis plus importants que dans le reste de la France. Dans le département du Nord, la population et les plus de 55 ans (à qui le vaccin Astrazeneca est réservé) consultent davantage à cause des maladies chroniques, surreprésentées par rapport aux autres départements français. "Le Nord figure dans le top des maladies chroniques : pathologies cardiaques, diabètes, problèmes hépatiques mais aussi cancers, abonde Charles Charani. À cause du tabac, de l'alcool et des mines, entre autres."
"C'est aussi sur cette tranche d'âge-là qu'on a le plus d'impact, ajoute Bertrand Demory. Dans un échange individuel, on arrive à expliquer que le risque relatif du vaccin est bien inférieur au le risque de la maladie. La covid n’est pas qu’une simple grippe."
On a des patients qui ont des pathologies chroniques, qui ont une relation de longue date avec leur médecin et qui vont lui faire confiance quand il proposera l'AstraZeneca.
"Quand on veut faire un reportage sur la précarité en santé, on le fait dans notre région, précise-t-il. Quand on fait une émission sur la CMU, on la fait dans notre région, ce n'est pas sans raison". Les indicateurs sociaux et économiques de la région montrent que "les patients sont plus fragiles, donc plus proches de leur médecin."
En effet, les comorbidités sont statistiquement plus importantes dans le Nord et le Pas-de-Calais, la mortalité aussi. "Tant
chez les hommes que chez les femmes, la mortalité est supérieure de 20 % par rapport aux valeurs nationales", explique l'Agence régionale de santé dans son rapport Diagnostic territorialisé des Hauts-de-France de 2019.
Les pharmaciens ont récupéré les doses inutilisées
Du côté des pharmaciens, l'explication se trouverait aussi dans la récupération des doses d'AstraZeneca. "Dans le Nord, on a essayé de récupérer beaucoup de doses inutilisées d'AstraZeneca dans les centres hospitaliers, explique Jérôme Cattiaux, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France du Nord et du Pas-de-Calais (FSPF 59/62). Les pharmaciens d'officine ont pu prendre celles qui restaient, mais je ne sais pas si c'est le facteur majoritaire." Au niveau national, une pharmacie sur deux vaccine contre le Covid.
Dans le Nord, on a essayé de récupérer beaucoup de doses inutilisées d'AstraZeneca dans les centres hospitalier.
"On a une population de santé importante et il y a la proximité avec les habitants, une forme de territorialité aussi, précise-t-il. Étant donné qu'on est allé chercher beaucoup de doses que les hopitaux, ça a du augmenter les statistiques de vaccinations par AstraZeneca". La confiance envers son pharmacien joue, elle aussi, un rôle important.