Au deuxième jour du procès, la personnalité de Christine P. était au cœur des débats. Victime de violences conjugales, elle est décrite comme une mère "débordée, dépassée".
Elle fait partie des six accusés, mais comparaît libre. Contrairement aux quatre personnes dans le box, Christine P. n’est pas jugée pour des faits de torture sur son fils Yanis.
Aujourd'hui âgée de 21 ans, elle est accusée de violences sur ses deux fils, des faits antérieurs au calvaire vécu pendant 15 jours par Yanis à Auberchicourt durant lequel il a failli mourir. Pour ces faits, la mère de famille est mise en examen pour non-assistance et non-dénonciation de mauvais traitement.
Emmitouflée dans son blouson noir, Christine P. est installée au premier rang du public de la grande salle des assises du Nord. Seule. Devant la cour, les jurés et le public, elle écoute l’enquêtrice de personnalité dépeindre son portrait.
Une enfance "peu heureuse"
Troisième d’une fratrie de quatre, elle a grandi à Dechy. Christine P. dépeint "une enfance peu heureuse, un père alcoolique et des violences de celui-ci envers sa mère et elle-même", avance l’enquêtrice. Des violences réfutées par ses frères et sa sœur Sylvie, venue témoigner. "Oui, notre père était alcoolique mais n’était pas violent à l’égard de son épouse et de ses enfants", assure-t-elle. "Maman me tirait les cheveux et me donnait des baffes. Papa m’a donné une fois des coups de ceinture", assurera plus tard Christine P. à la barre, en sanglots.
Maman me tirait les cheveux et me donnait des baffes. Papa m’a donné une fois des coups de ceinture
Christine P. , mère de Yanis
Au collège, la jeune femme intègre une classe de SEGPA à cause de "difficultés certaines pour l’appréhension et l’apprentissage", décrit l’enquêtrice. Elle y rencontre Coraline R. et Sébastien B., couple aujourd’hui mis en examen pour torture et actes de barbarie sur Yanis. A l’âge de 16 ans, la jeune femme "timide, introvertie, peureuse", fait la connaissance de Jeremy M., la vingtaine. Un ami d’une copine, avec lequel elle va nouer une relation sentimentale.
Lui habite en foyer d’accueil à Douai, elle est domiciliée chez ses parents. Les rencontres ont lieu la journée, avant qu'elle ne se décide à quitter le domicile familial pour s’installer avec lui. "Il était gentil, j’aimais bien son physique, explique aujourd'hui Christine P. Au départ, on rigolait plutôt bien".
Les violences à répétition du père de ses enfants
Mais très vite, les violences s’installent. Jeremy M. "va l’éloigner de sa famille, lui imposer des tenues vestimentaires", égraine l’enquêtrice de personnalité. Il la frappe, une fois, puis deux. En 2012, Christine P. tombe pourtant enceinte mais les coups continuent de pleuvoir. Une première plainte est déposée, son compagnon devra porter un bracelet électronique. Quelques mois plus tard, Ivan, leur premier enfant, vient au monde.
Rien ne change pour autant. Christine P. effectue plusieurs dépôts de plaintes qui donnent lieu à des condamnations, mais finit toujours par se remettre en couple avec lui. "Combien de fois je lui ai tendu la main ? Combien de fois j’ai mis ses affaires dans le coffre de ma voiture pour la ramener chez mes parents ?", rappellera d’ailleurs sa grande sœur Sylvie à la barre, sans succès.
Yanis, un enfant non désiré ?
Entre la naissance d’Ivan et l’arrivée de son deuxième enfant, Christine P. a recours à deux reprises à des interruptions volontaires de grossesse. Mais en mars 2016, elle donne naissance à Yanis. "Un enfant non-désiré ?", demande l’un des avocats de la défense. "Oui", répond timidement Christine P.
Difficile ensuite pour elle de gérer seule ses deux garçons pendant que son compagnon est au travail, ou devant la console. "Elle était un peu dépassée parfois, mais c’était une bonne mère", assure sa grande sœur. Son plus grand fils, âgé de 5 ans, s’est calmé depuis qu’il est entré à l’école. Yanis, lui, est un petit garçon "assez agité", "turbulent", parfois "casse-cou". Malgré les difficultés, les services sociaux qui l’ont suivie décrivent une maman "fragile, qui se sent dévalorisée et incapable" mais une maman "aimante, qui joue avec ses enfants mais a du mal à se faire respecter".
"J’avais des sentiments pour Sébastien B."
Seule, avec 250 euros pour nourrir et habiller ses enfants, Christine P. ne voit plus beaucoup sa famille, n’a plus d’amis. En avril 2018, son compagnon est incarcéré pour de nouveaux faits de violences conjugales. Elle "revit" alors, selon son entourage. La mère de famille prend de nouveau soin d’elle, prend du poids, se maquille, retourne chez le coiffeur. Elle renoue également avec sa famille, et ses anciens amis. Parmi eux, Coraline R., sa copine rencontrée au collège, et son compagnon Sébastien B.
Fin octobre 2018, après deux années passées dans le Lot-et-Garonne, Caroline R., Sébastien B. et leurs cinq filles reviennent s’installer dans le Nord. Précisément à Auberchicourt, dans une petite maison mitoyenne située à "40 minutes de bus" de chez Christine P. Elle est présente au déménagement, renoue contact avec eux. Les liens se recréent, à tel point que Coraline est nommée "marraine de cœur" de son fils Yanis.
Dans le même temps, Christine P. et Sébastien B. ont une première relation sexuelle. Selon la mère de Yanis, il lui avait fait "une déclaration d’amour". qu'elle avait dans un premier temps refusé, avant de voir naître "des sentiments". Le 5 décembre, Christine P. confie Yanis au couple d'Auberchicourt. Pourquoi déposer son enfant de 2 ans et demi chez son amant ? Interrogée, l’accusée reste mutique.
Un travail après la détention
Durant le séjour de 13 jours à Auberchicourt, Yanis a été frappé, violenté, ligoté, utilisé comme un "ballon de football". Un déchaînement de violence auquel sa mère n’a pas assisté. Le 18 décembre, après avoir revu son fils, elle emmène Yanis aux urgences de Douai sur les conseils de son frère. Le bambin, entre la vie et la mort, est transféré au CHU de Lille et placé dans un coma artificiel. Sa mère, ainsi que cinq autres personnes, sont interpellées.
Placée en détention provisoire à la prison de Sequedin, Christine P. vit difficilement la détention. Elle est rapidement transférée à la maison d’arrêt de Valenciennes avant d’être libérée et placée sous contrôle judiciaire en mai 2021, dans l’attente de son procès. Deux ans et demi derrière les barreaux, une période durant laquelle la mère de Yanis n’a reçu que deux visites.
Hébergée chez des connaissances, Christine P. a aujourd’hui trouvé un emploi et vient d’emménager dans un appartement le 1er décembre dernier. Elle n’a "pas beaucoup d’amis" et ne fait "plus confiance aux gens". Après l’audition de plusieurs témoins, Christine P. a été appelée à la barre. "Souhaitez-vous récupérer un jour vos enfants ?", lui a demandé la présidente. "Oui, a répondu l’accusée. Mais je sais que ça ne sera pas possible". Elle encourt 7 ans de réclusion criminelle.