Encadrement des tarifs de l'intérim à l'hôpital : "La loi Rist, c'est le marteau qui tape à côté du clou"

La loi Rist, qui prévoit de plafonner la rémunération des intérimaires de l'hôpital public, est entrée en application ce 3 avril. Ses effets sont pour l'instant limités dans les Hauts-de-France mais certains syndicats anticipent une "catastrophe" dans les territoires qui dépendent des intérimaires pour assurer la continuité des soins.

Ce 3 avril marque une nouvelle journée d'inquiétude pour l'hôpital public. La loi sur l'amélioration de l'accès aux soins dite loi Rist, du nom de la députée Renaissance qui l'a portée, vient d'entrer en vigueur. Elle prévoit notamment de plafonner la rémunération des professionnels de santé intérimaires.

Désormais, leur rémunération pour 24h sera plafonnée à 1390 maximum. Une mesure censée endiguer des dérives qui consternent la profession mais qui sont jugées largement minoritaires. Ainsi, pour des gardes de weekend, jours fériés ou vacances, le ministère a repéré des facturations montant à 2000, 3000 ou 6000 euros. 

La loi date de 2021 mais ce dossier sensible avait été reporté, l'exécutif craignant de l'appliquer au coeur de la crise du covid-19. Avec ce plafonnement, plusieurs syndicats alertent sur le risque d'accentuer la désertion de l'hôpital public. 

Des difficultés sont anticipées dans la région pour les prochaines semaines. Ainsi, à l'hôpital de Douai, la direction avance le chiffre de 10 à 20% de report d'opérations non-urgentes, sous l'effet cumulé de l'arrivée de la loi Rist et de la période de vacances scolaires.

A Saint-Omer, le service pédiatrie doit fermer plusieurs lits. Les urgences seront assurées mais les hospitalisations pourraient être déplacées vers Calais, Lens ou Dunkerque.

La loi Rist, une complication "temporaire" 

Selon Patrick Goldstein, conseiller médical du directeur général ARS des Hauts-de-France, les acteurs locaux de la santé ont pu s'organiser largement en amont pour éviter de rompre la continuité des soins. Aucune fermeture de service ne serait prévue à l'échelle de la région.

"La loi Rist n'est pas une surprise. Elle a été votée, elle a ses décrets d'application, la date était annoncée. Le monde hospitalier l'attendait, tout le monde était d'accord pour dire qu'il s'agissait d'encadrer l'intérim et de lui redonner une certaine forme de morale. Une vraie dérive s'était installée", plaide-t-il. 

Des difficultés avaient été envisagées en pédiatrie mais aussi en psychiatrie, en anesthésie-réanimation et aux urgences. "On a trouvé des solutions de renforts avec des médecins qui viennent prêter main-forte dans d'autres hôpitaux. C'est parfois des efforts de mutualisation. Si deux SMUR sont a une dizaine de kilomètres d'écart, ils ne peuvent pas être démédicalisés en même temps."

D'après le conseiller médical de l'ARS, les problèmes d'effectifs ne sont pas à attribuer à la loi Rist. "Aujourd'hui, on est au creux de la vague de l'impact du numerus clausus. En plus de ça, toute une génération de médecins part en retraite. Le recrutement s'est effondré et ça va durer encore trois ou quatre ans. La loi Rist ne fait que compliquer temporairement la situation. Il est probablement nécessaire de passer par cette période complexe."

Le véritable pari, c'est de faire revenir ces médecins vers les carrières hospitalières, qui méritent aussi une attention particulière. On a des indicateurs qui nous laissent espérer, des négociations sont en cours au niveau national.

Patrick Goldstein, conseiller médical à l'ARS

La hausse du plafond envisagé par le gouvernement - passé de 1170 euros à 1370 euros - a apaisé une partie des professionnels, estime l'ARS. "C'est en-dessous de ce qu'on voulait moraliser, mais certains intérimaires reviennent vers les établissements après l'annonce de la revalorisation" assure Patrick Goldstein. 

"Des répercussions catastrophiques sur l'hôpital"

Si l'ARS assure de l'adhésion des professionnels hospitaliers à l'esprit de la loi Rist, les syndicats en donnent un écho bien différent. 

Arnaud Chiche, médecin anesthésiste-réanimateur à Hénin-Beaumont et fondateur du collectif Santé en danger se dit, lui "sidéré" par la mise en application de la loi. "On prend une décision qu'on présente comme vertueuse pour éviter des écarts qui, je suis d'accord, ne sont pas éthiques mais qui a des répercussions catastrophiques sur l'hôpital. On plafonne les revenus, certes, mais surtout, on les diminue."

Cela aurait pu être vertueux si on avait annoncé la même chose, mais en donnant de meilleures conditions de travail aux médecins, aux infirmiers qui sont à l'hôpital, grâce à l'argent qu'on économise sur ce fameux intérim "cannibale". Mais ça, ce n'est dit nulle part.

Arnaud Chiche, collectif Santé en danger

Pour lui, le système hospitalier fait aujourd'hui un saut dans l'inconnu. "A court terme en avril, on fait de la déprogrammation chirurgicale en France, on ferme des lits... Et ça, ça va à l'encontre de la santé des Français et de l'intérêt général."

"On peut faire tout ce qu'on veut mais il manquera du monde"

Jean Létoquart, infirmier anesthésiste au SMUR de Lens et délégué syndical CGT estime pour sa part que la loi Rist, "c'est le marteau qui tape à côté du clou"

"Ce qui génère vraiment nos difficultés, c'est qu'on forme moins de médecins qu'il n'en part en retraite. Tant qu'on est en situation de pénurie, on peut faire tout ce qu'on veut mais il manquera du monde à la fin. Il manque 10 postes à Lens, autant à Divion, 5 à Hénin-Beaumont, une dizaine à Valenciennes..."

Pour lui, la rémunération n'est pas forcément le nerf de la guerre. "Beaucoup ramène tout à la question de la rémunération mais ce n'est pas que ça. Au SMUR de Lens, à peu près 80% du planning est tenu par des intérimaires. Mais ceux-là viendront encore demain, on le sait."

Ils sont venus nous dépanner dans des situations de crise, ils ont enduré des périodes où ils tenaient au tiers de l'effectif théorique et ce n'est pas l'argent qui les a fait tenir...

Jean Létoquart, délégué syndical CGT

Jean Létoquart estime que le grand avantage de l'intérim réside dans l'organisation du travail.  "On peut aménager son temps de travail, passer du temps avec sa famille... Les conditions de travail et le volume horaire sont une préoccupation. Moi vous savez, je pose mes congés tous les ans pour passer noël avec mes enfants et ils me sont refusés une année sur deux. Ça, quand on est intérimaire, ça n'arrive pas. "

Pour le délégué CGT, là où la loi Rist complique vraiment les choses, c'est la différence qu'elle crée entre le public et le privé. "Là, c'est un peu dégueulasse, passez-moi l'expression, parce que les règles du jeu ne sont plus les mêmes. Le privé, qui a une tarification à l'acte, n'a pas d'obligation de plafonner. On risque d'organiser un transfert de compétences liés à la rémunération."

Si l'ARS assure que des accords entre les deux secteurs doivent permettre de limiter la concurrence déloyale, les effets définitifs de la loi Rist sur l'hôpital public sont, à l'heure actuelle, impossibles à prévoir.

L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Hauts-de-France
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité