Dunkerque : après 25 ans d'attente, les victimes de l'amiante vont déposer leur propre dossier de preuves

Plus de 2000 victimes de l'amiante se tiennent prêtes à se ranger derrière une citation directe, une procédure judiciaire qui leur permet de rassembler eux-mêmes les preuves. Ils espèrent réveiller un feuilleton judiciaire qui dure depuis 25 ans, et n'a abouti à aucune condamnation d'ampleur.

Dunkerque, Saint-Quentin, Amiens, Saint-Gobin, Jussieu... Cela fait maintenant 25 ans que la première plainte a été déposée, et ils sont désormais plusieurs milliers à se reconnaître victimes de l'amiante, ou proches de victimes. Entre 1965 et 1995, cette fibre mortelle est reponsable du décès de 35 000 Français. En 2005, un rapport d'information du Sénat estime que, dans les vingt années à venir, le nombre de morts supplémentaires de l'amiante pourrait atteindre 100 000 personnes. En 2019, Santé Publique France enquête, et relance l'alerte : l'amiante, véritable bombe à retardement, est en train d'exploser. A cette date, 1100 nouveaux cas de mésothéliome pleural se déclarent chaque année en France, contre 800 à la fin des années 1990. 

Pourtant, le scandale de l'amiante n'a pas eu droit à son grand procès médiatique, à l'image de celui qui a été mené dans l'affaire du Médiator. Bien que d'ampleur nationale, l'affaire a été séquencée en plusieurs procès de moindre ampleur, chaque fois ciblés sur la responsabilité de l'employeur. La plupart se sont soldés par des non-lieux. "La chancellerie ne voulait visiblement pas qu'on mette en cause les responsabilités nationales. En particulier au niveau des administrations, de la direction générale de la santé et de la direction générale du travail" estime Michel Parigot, président du Comité Anti-Amiante Jussieu et chercheur au CNRS.

Un lobby de l'amiante redoutablement efficace

"On vise un organisme de lobbying des industriels de l'amiante, auquel ont participé des industriels, des scientifiques, et des responsables d'administrations et de ministères. Cet organisme, le Comité Permanent Amiante (CPA), a exercé de 1982 à 1996. Cette structure informelle a fait les politiques publiques en matière d'amiante, et son objectif était qu'on continue à l'utiliser, alors qu'on en connaissait les danger" poursuit-il. En France, les premiers rapports sur la dangerosité de l'amiante remontent en effet à 1906, lorsque Denis Auribault, un inspecteur du travail, constate la forte mortalité des ouvriers dans les usines qui tissent cette fibre. Dès 1945, l'amiante est reconnu comme source de maladies professionnelles. Pourtant, il ne sera interdit en France qu'en 1997. "Ils se sont opposés à toute interdiction, et même à toute mesure de prévention qui serait allée à l'encontre des intérêts des industriels, dénonce Michel Parigot. Cet organisme porte la responsabilité de dizaines de milliers de morts."

Le rapport du Sénat est largement arrivé aux mêmes conclusions concernant le rôle majeur joué par ce comité permanent, consacrant toute une partie de son rapport à un Etat français "anesthésié par le lobby de l'amiante". "En exploitant les incertitudes scientifiques, au demeurant de moins en moins nombreuses au fil du temps, le CPA a réussi à insinuer le doute sur l'importance du risque de l'exposition à l'amiante et ainsi à retarder au maximum l'interdiction de l'usage de l'amiante en France" tranche la mission d'information.

"Ça supposait de faire le travail nous-mêmes, et on l'a fait"

C'est pour cela que les victimes de l'amiante ont décidé de dynamiter le mur d'indifférence érigé face à eux : le 23 octobre, ils déposeront publiquement une citation directe auprès du tribunal de Paris, dans le cadre d'une procédure pénale. C'est en janvier 2019 qu'ils annonçaient se consacrer à cette nouvelle procédure judiciaire. "Usuellement, en matière délictuelle et criminelle, il y a une enquête menée par le parquet ou un juge d'instruction, censée amener tous les éléments avant de mettre les responsables en examen. Dans ce cas-là, c'est la Justice elle-même qui cherche les preuves, et c'est le procureur qui poursuit. L'autre possibilité, c'est la citation directe. On court-circuite tout ce mécanisme : on désigne des responsables nommément, et c'est nous qui devons amener les preuves. Normalement, on ne l'utilise que pour des affaires très simples, très évidentes. Mais ici, l'instruction dure depuis 25 ans et ne nous mène nulle part. (...) Ça supposait de faire le travail nous-mêmes, et on l'a fait. On a trouvé des preuves qui n'avaient jamais été présentées."

Les responsables sur lesquels des preuves ont pu être récoltées seront cités à comparaître au tribunal, une citation qui les forcera à se présenter au tribunal, ou à se faire représenter par un avocat. Pour le moment, Michel Parigot se refuse à donner les noms de futurs mis en cause, qui n'ont pas encore été notifiés de leur citation à comparaître. Plus de 2000 personnes, du côté des victimes, se tiennent prêt à se joindre à cette action juridique collective.

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