Comme souvent, il a suffit d'une rencontre pour déclencher une tempête dans le cœur de Christophe Thilliez, professeur de technologie. En 2016, dans son collège, il croise la route de la maman du skipper dunkerquois Thomas Ruyant. Depuis, il a créé une option Vendée Globe pour des élèves avec qui il partage sa passion pour le Vendée Globe, lui qui n'a pourtant pas le pied marin.
Des professeurs passionnés, nous en avons tous croisé. Certains, se souviendront toute leur vie de leur rencontre avec Christophe Thilliez. L'homme est professeur de technologies au Collège Sacré-Coeur à Saint-Pol-sur-Mer, près de Dunkerque. Cité qui a vu Thomas Ruyant se former à la voile et devenir le grand marin des courses en solitaire et sans assistance.
Option Vendée Globe 2024
Depuis 3 ans, quelques élèves suivent l'option Vendée Globe imaginée par ce professeur heureux de partager sa passion. À raison de 2 heures par semaine, le jeudi entre 15h et 17h, ils ont suivi d'abord les préparatifs de la course, du bateau. Un Imoca qu'ils ont même reproduit en version miniature.
Ils ont commencé en 6e. Aujourd'hui, ils sont en 4ème ou 3ème, ils ont 13 ou 14 ans. "Ce n'est pas un cours de techno, il n'y a pas d'objectifs à atteindre, de notes. Mais je vois toutes les valeurs qui se dégagent de ce projet, qui a le soutien total de ma direction". Si ces deux heures figurent bien dans son emploi du temps, il avoue ne pas le compter pour ce qui est devenu une passion pour lui, le Vendée Globe et les aventures de Thomas Ruyant.
Support pédagogique
Car la Course est un formidable support pédagogique. "En mathématiques, au lieu de calculer la surface d'un triangle, on peut calculer celle d'une voile", rigole Christophe Thilliez.
Dans les faits, il pratique avec ses élèves toutes les matières : la géographie avec le parcours, la SVT en travaillant sur l'eau, la science avec les vitesses des bateaux, l'éducation civique à travers les valeurs véhiculées par les skippers... le français à travers les interviews de membres du staff ou des organisateurs... Et même l'ornithologie avec le premier Albatros croisé par le Dunkerquois !
Le professeur raconte : "Ils ont conçu des bateaux miniatures, des lettres adhésives, des banderoles. On fait aussi de la techno, forcément c'est un cours, mais avec une ambiance différente. On a aucun mal à les motiver, et parfois, on improvise selon leurs idées".
Surtout, Christophe Thillliez est "convaincu qu'on peut aller chercher l'élève par un autre biais [NDLR : que les cours]. L'effet est immédiat, ça crée des motivations. Pas forcément des vocations, même si une ancienne élève, il y a 2 ans, a fait le Tour de France à la voile..."
Tout le collège impliqué
Tout le collège vit au rythme de la course depuis le départ des Sables-d'Olonne en Vendée. D'abord, les élèves de l'option actualisent le classement de la course à chaque récréation.
Et puis, à chacun de ses cours, devant les 16 classes de l'établissement et ses 450 élèves, Christophe Thilliez affiche, sur le tableau numérique, la carte en temps réel des positions des Imoca. Et forcément, celui de Thomas Ruyant. La discussion s'engage alors, "selon les classes, ça va prendre 5 à 10 minutes, ils ont plein de questions. C'est une manière différente d'enseigner. J'arrive à raccrocher des élèves qui ne participent jamais, ne serait-ce que s'exprimer à l'oral, ils se prennent au jeu et ils progressent !", raconte le professeur.
"Il a été 2 ou 3e pendant quelques jours. Là, il est dans les mers du sud. Il arrive face à une énorme dépression, une tempête. Il a fait le pari de passer au nord, il est rétrogradé à la 5e place... mais les autres vont finir par faire pareil", explique-t-il ce lundi 2 décembre 2024.
Supporter numéro 1 de Thomas Ruyant
Depuis qu'il a rencontré Thomas Ruyant et sa maman, Christophe Thilliez a aussi pris la tête du groupe Facebook des supporters du skipper. Admiratif du sportif, mais aussi de ses engagements qu'il tente de transmettre à ses élèves. "Sur ses voiles, déjà avec le Souffle du Nord, il a des messages. Cette année, son bateau s'appelle Vulnérable. C'est un mot que je prononce peu habituellement et cette année, on l'a beaucoup employé ce mot vulnérable, il a du sens pour tout le monde. Même la première de la classe, elle est vulnérable", complète-t-il.
Et il confie "J'aime suivre Thomas, avec ses messages. Et puis, ça me fait bouger aussi. Je vais vers l'autre, je rencontre des chefs d'entreprise, des supporters".
Surtout ce qu'il retient, c'est qu'avec Thomas Ruyant les élèves réalisent "qu'on a le droit de rêver, d'essayer. L'exploit sportif, je ne vois pas ce qu'il y a de plus dur à faire. Thomas lui-même rappelle qu'au collège, il n'était pas le premier. Et aujourd'hui, il dirige une entreprise de 30 personnes !". Cette entreprise dont il est président est TR Racing, la Team qui l'aide à développer son bateau pour les courses au large.
Sur le site de TR Racing, on peut lire : "Nous sommes tous vulnérables sur une planète vulnérable. Assumée et bien entourée, la vulnérabilité est porteuse de force, de richesse et de beauté. Elle fait naître des superpouvoirs et la possibilité de grands changements !". Le bateau de Thomas Ruyant est "le premier à ne pas porter une marque commerciale, ni même une association ou une cause… Mais un simple mot pour interpeller les consciences : VULNERABLE".
Les Sables d'Olonne
Dès le début de l'option Vendée Globe au collège, Christophe Thilliez savait qu'il irait au départ de la course, avec ses élèves, le 10 novembre 2024 aux Sables d'Olonne. Trois ans de cours du jeudi pour être parmi les milliers de spectateurs à arpenter les pontons.
Sur place, les élèves ont joué les journalistes à interroger marins et entourages. Ils ont arpenté les pontons à la recherche d'autographes, assisté au départ des Imoca dans le chenal et eu même la chance de croiser leur favori. Christophe Thilliez plaisante : "on a un contact privilégié avec "Thomas, il nous repère bien".
Après la course
Christophe Thilliez n'a pas fini de rêver. Il espère bien faire venir au collège de Saint-Pol-sur-Mer le skipper "quand il aura atterri", rigole-t-il. Et puis, l'aventure continuera quoiqu"il en soit. Notamment, avec un stage de voile pour les élèves de l'option en juin, sur la base de voile de Gravelines.
Mais pas pour le professeur de techno qui se contentera d'accompagner les jeunes "je suis incapable d'aller sur l'eau. Le peu que j'ai tenté, ça s'est mal passé. Je n'ai pas tenu 30 minutes sur un monocoque, je suis tombé à l'eau ! Je n'ose pas imaginer une nuit en mer..." Alors 80... pour faire le Tour du monde... il se contente du plaisir de suivre Thomas "il est rayonnant sur son bateau". On peut être capitaine, sans monter à bord.