Des falafels au potjevleesch : comment Bassem et Reem Ataya ont trouvé refuge dans la cuisine

Tous deux participent au Refugee Food Festival, l'événement qui permet à des réfugiés d'emprunter, le temps d'un repas, la cuisine d'une restaurant. Bassem Ataya et son épouse Reem viennent de Syrie. A travers la gastronomie et des souvenirs culinaires, ils nous racontent leur histoire.

C'est un appartement cosy, chaleureux, tout en haut d'un escalier qui sent bon. Au seuil de la porte, Bassem et Reem Ataya nous accueillent tout sourire. "Vous voulez un café ?", demande Reem, tandis que sa fille Mirah se faufile dans sa chambre. Non merci, c'est gentil. On ne sait pas encore qu'il s'agit d'une tradition syrienne : le café de bienvenue et le café de l'au revoir. On n'est pas si loin de la notre, de tradition; ne manque que la chicorée. 

Manger, boire : voilà ce dont nous allons parler. Bassem et Reem Ataya participent ensemble au Refugee Food Festival, et cuisineront ce jeudi soir dans le restaurant "Le café de la Fontaine", à Verlinghem. On reviendra sur le menu, mélange de cuisine syrienne et d'estaminets


Les rues de Damas


Entre joie de vivre et délicatesse, un premier souvenir culinaire éclate. Il se déroule dans les rues de Damas, il y a presque 30 ans. Bassem nous raconte qu'il a grandi là-bas, dans une grande maison. "Nous étions 12 frères et soeurs", explique-t-il. "Lors de la préparation des repas, c'était comme une ruche : chacun avait une tâche à accomplir pour aider ma mère. Comme j'étais le benjamin, j'étais toujours collé à elle. C'est là que j'ai découvert la cuisine, qui est devenue une passion", explique Bassem.

Il est alors à bonne école : sa mère est traiteur à domicile, son père produit différentes sortes de fromages. "Je me souviens surtout de sa recette de fateh [sorte de sandwich au fromage blanc], qu'on faisait au moment de l'Aïd." A ce moment-là, le jeune Bassem apprend à cuisiner en quantité. Plus âgé, il continuera à cuisiner pour toute sa famille, mais aussi les conjoints et les enfants... Les 100 convives prévus à Verlinghem jeudi soir ne l'effraient pas.

Pour autant, ce n'était pas sa profession. A Damas, lui travaillait en tant que directeur admninistratif d'un grand magazine, dans le marketing. Elle, Reem, enseignait à l'Institut français de Damas. C'est d'ailleurs sur les bancs de la fac, lors de cours d'Histoire et de littérature française, que les deux tourteraux se sont rencontrés. A ce moment-là, le Français est la langue de la culture. "Ca évoque tout de suite les Lumières, Sartre...", sourit Reem. Et puis tout a changé.


L'exil


2012. Cela fait un an que la guerre a éclaté en Syrie. Au départ, il y a les manifestations pacifistes, des opposants au régime de Bachar El-Assad. Puis la repression, violente. Les bombardements commencent. L'Etat Islamique s'empare de certaines régions. Le pays s'écroule. "Pendant ce temps, tout a augmenté, y compris la nourriture", enchaîne Reem. "Les régions agricoles étaient bombardées. Il n'y a plus de légumes. Les régions du Nord, où l'on élevait des moutons, sont assiégées par Daech. C'est le chaos."

Pour de multiples raisons, Reem, Bassem et leur petite fille de quelques mois ne peuvent plus vivre à Damas. Il faut fuir : d'abord en Egypte, puis en France, le Nord, Lambersart. "A l'Institut français de Damas, j'étais très amie avec Marianne, une collègue. C'est sa mère, Mme Garcia, qui nous accueillis en France et nous a hébergés pendant un an. C'est comme notre maman, elle fait partie de notre famille. C'est important pour Mirah [leur fille]", explique Reem, qui répète avec émotion à quel point ils sont reconnaissants envers cette Lambersartoise. 

Après quelques mois, le couple obtient le statut de réfugié. Ils parlent tous deux parfaitement Français, plus facile pour se faire à cette nouvelle vie. Ensemble, ils décident de rester à Lambersart, dans un quartier qu'ils aiment. Plus que le quartier, c'est de la région toute entière qu'ils sont tombés amoureux. "J'adore le Nord", sourit Reem, qui trouve des similitudes avec la Syrie qu'elle a connu plus jeune. "Ici, les gens sont gourmands comme nous", plaisante-t-elle. "Des plats un peu gras et en grande quantité, comme chez nous", renchérit Bassem. "On a été très bien accueillis. Nous n'avons pas ressenti de racisme. Les gens sont simples, pas superficiels. Même d'un point de vue administratif, ça s'est très bien passé avec la Préfecture, la mairie. Tout le monde se salue", énumère Reem, spontanément.


La honte


Mais même ici, loin de la guerre, tout n'a pas été facile. Il y a d'abord ce sentiment paradoxal et persistant de honte, d'avoir réchappé au pire, tandis que les proches sont toujours en zone de guerre. Les cauchemars sont quotidiens. Certains détails insupportables ; "Il y a des choses qui me font penser à ma soeur : je ne peux pas les voir. Ce qu'elle aime manger... Je ne peux plus", tremble Reem avant de changer de sujet. Car il faut avancer, coûte que coûte.

Comme frappée par la fatalité, en arrivant en France, la jeune femme a également eu des problèmes de santé. Cette nouvelle épreuve va toutefois leur permettre de faire de nouvelles belles rencontres. Soignée par Dinah, une infirmière, Reem va faire la connaissance de sa soeur, Agathe Josson. Agathe cuisine au "Café de la Fontaine", à Verlinghem. Entre eux, le courant passe tout de suite. "On l'a rencontrée à l'occasion d'une soirée caritative qu'elle voulait organiser pour la Syrie et les réfugiés", explique Reem. "Depuis est née une vraie amitié, avec toute la famille Josson d'ailleurs."


Cuisine du futur


C'est là qu'ils prépareront un repas, forcément exceptionnel, jeudi soir. Un repas "syro-ch'ti", plaisantent les deux. "Avec entrée, plat et dessert bien sûr." Au menu, de beaux mélanges : falafels de houmous et betterave, baba ganousch (sorte de caviar d'aubergine), accompagné de grenade et pesto de coriandre.

Suiveront des "kebbeh à la ch'ti", boulettes de boulgour fourrées à la viande, avec des pignons de pin. La pomme de terre remplacera la viande en version végétarienne. Et puis des labné (fromage essoré) à la menthe. "Le tout servi avec des frites belges, bien sûr !", sourit Bassem. Pour le dessert, ce sera un mhalabia, un flan à la fleur d'oranger. "Mais ça, ce sera surtout Agathe, qui est très forte en patisserie et préparera aussi des macarons à la pistache.

Reem est enthousiaste. Tout autant que Bassem, qui trahit son impatience. D'ailleurs, il a déjà commencé à "s'entraîner" pour maîtriser les temps de préparation. On sent tout le coeur qu'ils comptent mettre à l'ouvrage. Peut-être parce que derrière cette soirée se cachent aussi d'autres enjeux. Déjà, l'envie partagée avec les organisateurs de changer le regard que peuvent avoir les gens sur les réfugiés. Et, pour Bassem et Reem, les prémices d'un grand projet. "Notre rêve, c'est d'ouvrir un restaurant. Pourquoi pas avenue de Dunkerque ! Ce serait un petit restaurant, accessible, pourquoi pas associatif.

On leur imagine déjà un avenir radieux. Leur complicité et leur sourire fait fondre, comme le coeur d'un moelleux au chocolat. Eux sont plutôt ratatouille, blanquette de veau "et moules-frites, ça c'est génial les moules-frites". On imagine aussi Mirah se glisser en cuisine pour chipper un biscuit pendant que les clients arrivent. A 5 ans, la petite fille va à l'école et corrige parfois son père sur son Français. "Elle revient de l'école avec des expressions du Nord et nous les explique", sourit Bassem. 

On quitte la famille, il est l'heure de passer à table. Mais avant de partir, cette fois, on n'échappera pas au "café de l'au revoir". Le temps pour Reem de conclure, en regardant son mari : "C'est l'amour, notre épice secrète. La solution à beaucoup de problèmes. Peut-être qu'avec ça, on pourra peut-être revoir la Syrie, un jour."


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