Jusqu'ici, le cerf avait été épargné par les chasseurs car il était devenu l'emblème de la forêt. Les associations locales regrettent sa disparition.
C'est l'histoire d'un cerf, tellement vieux qu'il perd ses bois et ne peut plus se défendre, mais si intelligent qu'il parvient tout de même à se mettre à l'abri du danger. Tout commence en septembre dernier, en pleine période de brame dans la forêt de Mormal. Les cerfs sont à cran et se disputent les biches. Eole, le plus vieux d'entre eux, le sait : sans ses bois, tombés dans l'année, il ne parviendrait plus à survivre à un combat contre un jeune cerf. Alors, il parvient à trouver une faille dans la clôture d'une parcelle et s'y réfugie avec trois biches pendant plusieurs jours. Les autres mâles de la forêt sont inlassablement attirés par les femelles, mais sans jamais trouver l'entrée de la parcelle. Sans violence, cette fois, Eole a encore gagné. C'est la dernière rumeur échangée sur ce cerf emblématique dans le petit village de Locquignol, au cœur de la forêt de Mormal. Sauf qu'en ce mois de septembre, son brame résonnait pour la dernière fois.
Ce mercredi 13 décembre, Eole a été abattu lors d'une partie de chasse. Alors à l'évocation de son nom, hérité d'un personnage de la mythologie grecque, ces récits d'intelligence et de bravoure ressortent. "J'entendais son brame, reconnaissable parmi les autres, depuis 12 ans au moins" assure Jean-François Hogne, président de l'association Mormal Patrimoine. "Lorsqu'il était plus jeune, il était craint de tous les autres cerfs, c'était le plus fort de la forêt. Il était imposant, plus de 190 kilos. Alors avec le temps, tous les usagers de la forêt se sont accordés pour l'épargner et le laisser vieillir en paix." En effet, ces dernières semaines, Eole était passé plusieurs fois dans le viseur des chasseurs, sans qu'il ne soit jamais tiré. "Il était reconnaissable car il avait perdu presque tous ses bois. C'est un phénomène très rare" insiste Jean-François Hogne.
Un cerf capable d'exploits, au point de réconcilier tous les usagers de la forêt. "À l’époque, les chasseurs tiraient de trop jeunes cerfs. Nous les avions alertés sur les dangers de cette pratique dans la seule forêt de la région peuplée de cerfs. Il fallait laisser le temps aux animaux de se reproduire. Donc nous avions convenu que les cerfs devaient vieillir assez longtemps avant d'être abattu. Et Eole a été épargné pour cela, c'était le symbole de ce pacte que nous avions passé entre nous" raconte Jean-François Hogne.
Sauf qu'en ce mercredi 13 décembre, au matin, un chasseur a appuyé sur la gâchette et Eole s'en est allé. Au cœur de la polémique, la consigne d'épargner le cerf : non donnée par le directeur de chasse ou mal comprise par les chasseurs. Rien d'illégal en tout cas. Eole a été chassé sur un ensemble de parcelle qui appartient à l'Office National des Forêts. Ses agents doivent désormais prélever la mâchoire de l'animal pour des analyses afin de déterminer son âge précis. "Ce qui est sûr c'est qu'il était très vieux. On sait qu’il commençait même à avoir des difficultés pour se nourrir” analyse Elise Michaud, responsable de la communication de l’ONF pour les Hauts-de-France. “Ailleurs, avec cet âge avancé, il aurait été attaqué par des loups ou d'autres cerfs et n'aurait pas survécu si longtemps" rationalise la spécialiste. “Sa disparition est dans l’ordre des choses, on aurait aimé le voir un an de plus, mais c'est ainsi. Nous étions d'accord pour qu'il soit épargné et nous avions diffusé des messages auprès des chasseurs. Mais il n’y a aucun scandale, le chasseur qui a tiré n'a rien fait d'illégal.”
Selon l’ONF, une quarantaine de grands cerfs continuent de peupler la forêt de Mormal.