Les blettes de Picardie, ce sont ces oiseaux en bois façonnés depuis plus d'un siècle pour la chasse au gibier d'eau. Une passion qui se transmet encore à Saint-Valéry-sur-Somme, où quelques sculpteurs ont créé l'association Blettes de Somme.
Quand Claude Delory taille ses blettes, le monde pourrait s'arrêter de tourner. Mais attention, il ne s'agit pas ici de jardinage, car en baie de Somme, une blette désigne un oiseau sculpté utilisé pour la chasse.
Les canards et autres gibiers d'eau ont en effet un instinct grégaire très développé : ils se posent plus facilement sur un plan d'eau où l'un de leurs congénères est déjà présent. Ce comportement est connu de longue date par les chasseurs de la Somme qui utilisent donc un stratagème : poser une blette pour leurrer les volatiles.
Les blettes, une mémoire populaire
À l'époque où elle était utilitaire, les chasseurs faisaient blette de tous bois : roseau, liège, balsa, mais aussi flotteurs de filets récupérés sur les plages, tout était bon pour leurrer le gibier.
Aujourd'hui, le balsa est devenu cher, mais certains, comme Claude Delory, l'utilisent encore pour leurs collections personnelles, même s'il n'est plus question de chasser avec.
"Je fais ça pour refaire un jeu de blettes pour moi, dans la tradition que mon père et beaucoup de personnes faisaient à l'époque. Il y avait une dizaine de sculpteurs sur Saint-Valéry, dont Émile dit Millon qui a travaillé énormément chez mes parents et qui a transmis son savoir à mon père, se souvient Claude Delory. Millon a sculpté à partir de 1935."
Car les collectionneurs de blettes savent reconnaître le coup de ciseau des sculpteurs d'antan, bien avant que cet artisanat du peuple ne devienne objet de collection. "Là, c'est une blette de Dudule, il y en a très, très peu, s'émeut Claude Delory en saisissant une pièce sur son mur recouvert d'oiseaux. Il était berger en baie de Somme, il habitait Noyelles. Lorsque ses moutons étaient en baie, il les fabriquait dans sa petite cabane. La particularité de cette blette, c'est qu'elle est en deux parties. Elle est en tilleul, creusée à l'intérieur pour la rendre plus légère, pour quand ils allaient aux moutons."
"Quand je vois des gosses qui ne savent pas ce que c'est qu'un rouge-gorge, ça me détruit."
Daniel Houart, membre de l'association Blettes de Somme
Si le père de Claude Delory commence à sculpter en 1947, certaines pièces de la collection de son fils remontent au début du XXè siècle. "Sur les cartes postales de 1904, on en voit déjà. À cette époque, elles étaient noires parce que la nuit, tout est noir, or, on ne chassait que la nuit", ajoute le fin connaisseur.
"Aujourd'hui, on les met sur un meuble"
Claude Delory fait partie de l'association Blettes de Somme, créée il y a dix ans pour faire perdurer cette tradition. Il peut y retrouver son complice de longue date Daniel Houart, qui sculpte aussi des oiseaux.
"La vieille blette, ça vaut une certaine somme maintenant, en raison de sa rareté, souligne Daniel Houart. Les collectionneurs ne sont pas dupes, ils la reconnaissent de loin. Car il y a des faussaires aussi !"
Avec le temps et surtout l'arrivée du plastique, utilisé pour fabriquer les leurres de chasse actuels, la blette en bois s'est en effet transformée en objet d'art. "Aujourd'hui, on les met sur un meuble, une télé, renchérit Claude Delory. Elles sont assez rares alors, on a toujours peur de les abîmer : si vous allez à la chasse avec, vous ne voulez pas tirer dedans."
Ces sculptures restent aussi un moyen pour Daniel Houart de transmettre la connaissance des oiseaux : "On expose ensemble et on explique aux gens ce qu'il y a à apprendre sur les oiseaux et le bois. Les gens ignorent un peu les oiseaux, souvent, je leur demande quel oiseau c'est, ils ne savent pas. Quand je vois des gosses qui ne savent pas ce que c'est qu'un rouge-gorge, ça me détruit. Il y en a partout, des rouges-gorges !"
Avec une dizaine de membres et des centaines d'oiseaux, leur association continue à transmettre les savoirs d'une époque pas si lointaine où il était important de connaître la nature.
Avec Lucie Caillieret / FTV