Un défi fou et audacieux a été pensé par un aéronaute français, Jean-Pierre Blanchard, il y a presque 240 ans. Celui de réaliser une traversée maritime par la voie des airs à bord d’un ballon. Accompagné de John Jeffries, un physicien américain, Blanchard va ainsi traverser la Manche. Mais cet exploit ne sera pas une sinécure pour ces deux pionniers, au terme d'un voyage épique de deux heures, cet événement sera salué par le roi en personne.
Il y a presque deux cent quarante ans, le 07 janvier 1785, un étrange objet volant atterrit en forêt de Guînes, près de Calais. À son bord, deux hommes viennent de réaliser la toute première traversée aérienne de la Manche.
Traversée de la Manche
Parti du château de Douvres (Royaume-Uni), un intrépide inventeur, Jean-Pierre Blanchard a réalisé cet exploit avec un ballon gonflé à l'hydrogène, accompagné de son ami, John Jeffries, mécène. "Jean-Pierre Blanchard s'est arrangé pour trouver, en quelque sorte, un sponsor et celui de cette époque est John Jeffries, un américain, au service de l'armée britannique," rapporte, Éric Buy, Maire de Guînes. Ce survol de la Manche, très périlleux, a duré un peu plus de deux heures.
"Lorsque le ballon part très rapidement, il va perdre de la hauteur, poursuit Éric Buy. Il va dangereusement frôler les eaux." La solution ? Faire du lest ! Les deux aérostiers jettent par-dessus bord tout ce qu'ils peuvent. "À l’époque, ils sont bien couverts, ils vont se déshabiller, se débarrasser de leurs manteaux et les jeter à la mer." La reprise d'altitude du ballon leur évite d’utiliser leur dernière ressource, qui serait de couper la nacelle. Les deux aéronautes sont parvenus à s’en sortir miraculeusement.
"À un moment donné, un courant ascendant va faire remonter la nacelle, qui va passer les côtes françaises. En s'accrochant aux branches, ils vont faire freiner le ballon et le descendre en forêt domaniale de Guînes." Un an plus tard, Jean-Pierre Blanchard reviendra ici même inaugurer la colonne, célébrant cet exploit.
Dans la ville, le musée municipal, actuellement fermé, conserve de nombreux souvenirs de cet audacieux autodidacte et de sa première traversée de la Manche. "La nacelle était restée sur Guînes après l'exploit en 1785 et attribuée au musée de Calais, mais à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, dans les incendies de Calais nord, le musée a brûlé et la nacelle a de ce fait disparu," regrette le maire de la ville. Un morceau d'étoffe du ballon a été précieusement préservé.
La ville n’a jamais oublié l’aéronaute et sa fameuse traversée, dont elle a célébré le centenaire puis le bicentenaire en 1985. "Il fallait être particulièrement hardi et courageux pour traverser la manche," conclut Éric Buy.
Nouvelle ascension
À Lille aussi, Jean-Pierre Blanchard a marqué les mémoires, comme en témoignent ces deux tableaux de Louis Watteau, conservés au musée de l'Hospice-Comtesse. Sept mois seulement après sa traversée de la Manche, l'aéronaute avait offert un autre envol, son quatorzième, à une population lilloise subjuguée. "Le tout Lille est là ! Sur cette toile, nous pouvons constater toutes les strates sociales, observe Juliette Singer, directrice du musée de l'Hospice-Comtesse. Les plus aisés ont pu s'offrir une place assise, à six livres. Autour, le grand public est venu en masse observer la scène."
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Quelques jours plus tard, Blanchard et son mécène, le journaliste Pâris de Lépinard, reviendront à Lille en carrosse, après avoir parcouru, en ballon, plus de cinq cent kilomètres. "Auréolé du succès de la traversée de la Manche, Blanchard va être invité à Gand, à Francfort, jusqu'aux États-Unis. Il va y avoir des aérostats et des ballons, sur tout ce que nous pouvons imaginer, que ce soit sur des vêtements, des chapeaux, de la vaisselle, c'est quelque chose qui devient populaire," conclut la directrice du Musée.
De cette "Blanchardmania" du 18ᵉ siècle, il ne reste plus que quelques vestiges aujourd'hui, dont cette fameuse colonne, à Guînes que la ville aimerait voir un jour restaurée.