Ce 17 mai marque la journée de lutte contre l'homophobie, et également contre la transphobie. Encore mal connue, la transidentité est un sujet qui génère de nombreux fantasmes, et voit circuler beaucoup de fausses informations. En voici 3, passées à la loupe du vrai ou faux.
"Je fais ma transition pour devenir un garçon. Au collège, ça me trottait déjà dans la tête, et j'ai osé en parler en décembre 2021. Je suis arrivé au lycée avec une apparence de fille et en janvier, j'ai coupé mes cheveux, j'ai changé de style... J'ai eu beaucoup de questions, j'ai répondu, j'ai expliqué. Au début, j'ai vécu du harcèlement, c'était compliqué, mais maintenant la plupart des gens de la classe m'appellent par mon prénom masculin. Mais l'administration du lycée ne le "sait" pas, je ne peux pas changer d'identité avant 18 ans. Quand on fait l’appel, c’est mon "deadname" qui est cité, et je dois répondre, mais en même temps je n’en ai pas envie, parce que ce n’est pas moi qu’on appelle. C’est dur."
Des progrès, mais encore de la route à faire, c'est ce qui ressort du témoignage de Tom, jeune garçon transgenre scolarisé dans un lycée professionnel d'Anzin. Ce 17 mai, c'est la journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie. Une journée de visibilisation et d'actions encore très nécessaire à l'heure actuelle : selon le ministère de l'Intérieur, en 2021, les crimes et délits LGBT-phobes ont fait un bond de +28%. Une augmentation constante depuis 2016. La transidentité, plus encore que l'homosexualité, est toujours l'objet d'idées reçues et de fausses informations
"La transidentité est une maladie ou un trouble psychiatrique"
Si la transidentité a en effet été considérée comme une maladie pendant des décennies, l'avancée des connaissances sur le sujet et une meilleure prise en compte des personnes concernées ont permis une redéfinition et une catégorisation différente. Appelée d'abord "transsexualisme", la transidentité a progressivement été décorrélée de la notion de sexualité pour s'ancrer dans celle du genre. Le terme a ensuite évolué vers "trouble de l'identité de genre", puis "dysphorie de genre", encore jugé très pathologisant. Le terme préféré des milieux médicaux spécialisés est aujourd'hui "incongruence de genre", les milieux associatifs popularisent peu à peu l'expression "affirmation de genre", qui met la lumière sur le choix fait par la personne trans.
La France a été l'un des tout premiers pays à retirer la transidentité de la liste des maladies psychiatriques, en 2010, sous l'impulsion de Roselyne Bachelot. L'Organisation Mondiale de la Santé, elle, a franchi le pas en 2019. Ces virages sémantiques et législatifs entérinent une réalité : la transidentité n'est évidemment pas contagieuse, cette condition ne détériore en rien l'organisme et n'a donc aucune raison d'être classifiée comme maladive. Ce parcours de déstigmatisation a été similaire dans le cas de l'homosexualité, qui a dû attendre 1992 pour n'être plus considérée en France comme une pathologie psychiatrique.
"Le problème qui existe encore à l'heure actuelle, c'est l'Assurance Maladie qui continue d'imposer un certificat signé d'un psychiatre pour la prise en charge à 100% comme Affection Longue Durée (ALD). Ça veut concrètement dire que la sécurité sociale a encore un protocole psychiatrisant. (...) Nous estimons que l'on doit arriver à l'autodétermination éclairée des personnes trans. La transidentité relève de l'ordre de l'intime, du ressenti, et non pas d'un diagnostic, c'est ce qui est important, souligne Béatrice Denaes, présidente de l'association Trans-Santé France. Il y a tout de même une grande souffrance personnelle tant que l'on n'est pas soi-même. Le traitement n'implique pas de souffrance, au contraire, il nous aide à nous affirmer progressivement et c'est un énorme soulagement."
"La transidentité est une mode, portée par les réseaux sociaux"
La parole des personnes transgenres s'est progressivement libérée, en même temps que celle d'autres minorités, entraînant l'apparition de la question dans la sphère médiatique, sociétale et politique. Pourtant, la transidentité existe depuis plusieurs millénaires, comme l'ont montré les travaux de divers historiens. Dans plusieurs cultures natives américaines, les personnes transgenres étaient hautement respectées, considérées comme bénies des dieux. L'historienne Lexie, spécialiste de la question, donne un autre exemple issu de la culture Zulu : "Chez les Zulu, dans l’actuelle Afrique du Sud, les personnes trans étaient en lien avec le monde spirituel, le mystique et aussi le monde guerrier. C’est de l’analyse mais on peut se dire que, comme la binarité a été et est toujours majoritaire, ce qui en sort était considéré comme un signe d’exception, au sens de merveilleux, et non pas comme une erreur comme ça peut être le cas aujourd’hui."
Plus proche, Béatrice Denaes, à 66 ans, cite sa propre expérience. "Quand j'avais 5 ans, on était dans les années 60, je savais que quelque chose clochait en moi, et pourtant il n'y avait ni réseau social, ni "lobby LGBT". Je rêvais d'être avec les filles, d'être comme elles, d'être elles en fait. Simplement à cette époque, on n'écoutait pas les enfants. Je me suis renfermée sur moi-même, coupée de la société. C'est une réalité, nous n'avons pas attendu les réseaux sociaux, et ce n'était à l'époque pas plus une mode, et pas plus une maladie."
La notion d'effet de mode induit également une notion de popularité, de confort, assez loin de l'expérience de vie des personnes transgenres. Jusqu'en 2016 encore, les personnes transgenres souhaitant finaliser un changement d'état civil devaient accepter une stérilisation forcée. Des témoignages, articles de presse ou rapports officiels comme celui du Défenseur des droits attestent du parcours social difficile des personnes transgenres, qui subissent discriminations et agression. Une étude américaine menée par la fondation pour la prévention du suicide a montré que la population transgenre est, pour ces raisons, très touchée par le risque suicidaire : 46% des hommes trans et 42% des femmes trans ont déjà tenté de mettre fin à leurs jours. A Lille, le 15 décembre 2020, une jeune adolescente transgenre, Luna, scolarisée au lycée Fénelon, s'est donné la mort après avoir été rejetée par son entourage.
"Les enfants trans subissent des traitements hormonaux et des opérations chirurgicales"
Les menaces sur les enfants sont particulièrement utilisées par la propagande LGBT-phobe. Les mêmes mouvements qui ont autrefois fait le rapprochement inique entre homosexualité et pédophilie parlent aujourd'hui de la transidentité comme d'une mutilation infantile.
Ces accusations méconnaissent le droit français et les procédures médicales en application. Les enfants qui se déclarent précocement transgenres - cela n'est pas rare - peuvent entreprendre un suivi pédopsy et amorcer progressivement ce que l'on appelle une "transition sociale", être accepté par son entourage dans le genre que l'on a choisi. A l'apparition de la puberté, les pré-adolescents peuvent éventuellement bénéficier de bloqueurs de puberté, qui retardent l'apparition de ce que l'on appelle les "caractères sexuels secondaires". Ce traitement est justement censé permettre aux jeunes transgenres de mûrir leur décision, puisque les effets en sont réversibles.
Il y a une grande différence avec les traitements hormonaux de transition, qui modifient les choses en profondeur. Tout comme les opérations chirurgicales de réassignation, elles ne sont pas pratiquées en France avant la majorité. De rares exceptions existent à partir de 15 ans, si des situations d'extrême détresse psychologique sont détectées et avec un accord parental.
"Les gens qui affirment que l'on opère des enfants viennent profiter d'une méconnaissance de la population et faire peur, regrette Béatrice Denaes. On veut simplement vivre notre vie normalement, comme chaque citoyen, notre principal souci c'est d'être respecté dans notre différence, notre diversité. Certains parlent d'une déconstruction de la société, je parle simplement d'une évolution."