Lens, Desvres, Aniche ou Cambrai... Lors des élections législatives de 2022, les députés de ces 4 circonscriptions ont été élus avec moins de 500 voix d'écart sur leurs concurrents. À l'approche des législatives anticipées, focus sur ces territoires où tout peut basculer, d'un côté comme de l'autre.
Il y a trois jours, sur les réseaux sociaux, François Ruffin se félicitait d’avoir créé l’espoir à gauche avec l’officialisation d’un Nouveau Front Populaire, réunissant notamment les Insoumis, le PS, les écologistes et les communistes. Dans un message vidéo, il lançait alors un appel : en avant sur les "swing-circos". Comprendre "les terres où ça se joue ric-rac", selon les mots du député picard insoumis.
Une référence aux Etats américains – ou Swing states - également appelés états-pivots ou états-charnières. Lors des élections présidentielles américaines, ces Etats font pencher la balance du côté Républicain ou Démocrate. François Ruffin applique donc ce concept aux élections législatives anticipées à la suite de l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron.
Une campagne, c’est quasi militaire. Pour l’emporter, il y faut une stratégie : cibler en priorité les swing-circos, les terres où ça se joue ric-rac. Nous allons leur apporter des forces, une armée : vous, vos bras. Et de la logistique : vos sous.
François Ruffin, le 15 juin 2024 sur Instagram
Parmi les 33 circonscriptions que comptent le Nord et le Pas-de-Calais, plusieurs pourraient basculer dans les rangs d’un côté comme de l’autre de l’échiquier. Nous nous sommes basés sur les résultats des élections législatives de juin 2022 pour cibler les territoires où l’écart de voix entre les deux candidats en lice au soir du second tour est inférieur à 500 voix. "À quoi sert mon vote ?", se demandent régulièrement les électeurs. Dans ces 4 circonscriptions – 2 dans le Nord et 2 dans le Pas-de-Calais – les candidats le savent : chaque voix compte, peut-être encore plus qu’ailleurs.
Les rapports de force ont-ils changé depuis les dernières élections ? Qui sont les candidats ? Quelles stratégies pour quels résultats ? Tour d’horizon de ces 4 circonscriptions.
À Lens, 71 voix d’écart en 2022 : le RN veut aller "chercher les électeurs avec les dents"
En 2022 dans la 3ème circonscription du Pas-de-Calais, l’élection du communiste Jean-Marc Tellier s’était jouée à quelques voix près. Au soir du second tour, près de 6 électeurs sur 10 ne s’étaient pas déplacés pour aller voter. Avec 16 294 voix, l’ancien maire d’Avion devançait de 71 voix le candidat du RN et conseiller municipal d’opposition à Lens.
Bruno Clavet, qui avait déposé un recours pour faire annuler l’élection, en vain, prend aujourd’hui sa revanche. Le candidat de 35 ans se refuse toutefois à parler d’un match retour. "Je sais que beaucoup d’électeurs perçoivent cette élection de cette façon, moi non, lance-t-il. Je suis serein mais pas de triomphalisme trop tôt, l’expérience de 2022 m’a appris à rester méfiant. Mais si on transforme l’essai des européennes, il y a des chances de gagner".
Le 9 juin dernier dans la circonscription en effet, la liste de Jordan Bardella a obtenu 52,12% des suffrages exprimés... soit près de 10 000 voix de plus que les quatre partis du Nouveau Front Populaire réunis. "Ce n’est pas la même élection", rétorque le député communiste sortant. "C’est une élection locale et les habitants mesurent l’enjeu. Ils m’ont côtoyé et m’ont croisé pendant deux ans". Jean-Marc Tellier défend son bilan - "le pouvoir d’achat pour ne citer qu’un exemple et la grande campagne que j’ai mené pendant six mois" - et croit en son ancrage local : "13 maires dans la circonscription, 13 élus qui appellent à voter pour ma candidature", rappelle-t-il.
Pendant les 10 jours de campagne restant, Bruno Clavet et Jean-Marc Tellier vont adopter la même stratégie : le porte-à-porte, les marchés, le terrain. "Comme je l’ai toujours fait", conclut le député communiste sortant. De son côté, le candidat du RN affiche sa stratégie sans détour : "je vais aller chercher les électeurs avec les dents".
À Desvres, 56 voix d’écart en 2022 : Brigitte Bourguignon, ancienne ministre de Macron, y retourne face au RN
Elle avait été devancée par le Rassemblement national il y a deux ans, mais hors de question de ne pas rejouer le match en 2024. Brigitte Bourguignon croit en ses chances dans la 6ème circonscription du Pas-de-Calais qu’elle connaît bien. Élue sous l’étiquette du PS en 2012, elle rejoint Emmanuel Macron et devient députée sous la bannière de La République en Marche en 2017.
Mais en juin 2022, alors qu’elle occupe le poste de ministre de la Santé depuis un mois, c’est la douche froide. Brigitte Bourguignon perd sa circonscription à... 56 voix près. Christine Engrand, candidate du RN, l’emporte et accède au palais Bourbon.
Les deux femmes vont de nouveau s’affronter dans cette très vaste circonscription rurale située entre Boulogne-sur-Mer, Calais, Saint-Omer et Béthune. "Quand on perd à 56 voix, on se pose des questions, avoue Brigitte Bourguignon. Surtout quand vous gagnez à plus de 60% une année avant (elle avait remporté l'élection législative partielle de 2021 suite à la démission de son suppléant lorsqu’elle était ministre de l’Autonomie, NDLR). Je n’ai pas eu de front républicain entre les deux tours. J’espère que cette fois, ça ne va pas être le cas".
Un match entre le RN et la majorité présidentielle, dans lequel le Nouveau Front Populaire compte s’immiscer. L’alliance de gauche a désigné Aurore Pageaud, membre des jeunes socialistes et diplômée de Sciences Po.
Aux européennes du 9 juin dernier, la liste de Jordan Bardella est très largement arrivée en tête dans la circonscription et a recueilli 16 700 voix de plus que la liste de la majorité présidentielle. "Bardella est Bardella, madame Engrand est madame Engrand", rétorque Brigitte Bourguignon, qui affirme avoir le soutien de nombreux élus du territoire et d'habitants qui s'étaient abstenus il y a deux ans. À l’heure où nous publions cet article, Christine Engrand n'a pas répondu à nos sollicitations.
Dans le Douaisis, 213 voix d’écart en 2022 : "il se passe quelque chose pour battre l’extrême droite"
Représentés par un député communiste pendant plus de 30 ans, les habitants de la 16ème circonscription du Nord ont plébiscité le Rassemblement national aux législatives de 2022. Matthieu Marchio a été élu d’une courte tête sur le député sortant, Alain Bruneel.
Le maire de Lewarde a décidé d’y retourner, sous la candidature du Nouveau Front Populaire. "Je peux le battre, assure-t-il, car il y a quelque chose qui se passe pour battre l’extrême droite. Le Front Populaire, c’est plus large que les partis politiques. Ce sont aussi les syndicalistes, les citoyennes et les citoyens épris de justice et de solidarité qui s’engagent".
Il assure bénéficier d’une "forte mobilisation" autour de sa candidature, de la part de quidams mais également d’élus du territoire ; "une quinzaine devrait appeler à faire barrage au RN cette semaine", affirme Alain Bruneel.
Dans cette circonscription pourtant, qui regroupe notamment les communes d’Aniche, de Lallaing et de Sin-le-Noble, la tâche va être rude. Le RN a récolté 50,33% des suffrages exprimés lors des élections européennes du 9 juin 2024, soit plus du double des voix des quatre partis de gauche. "Je pense que le vote qui s’est exprimé aux européennes est un vote d’adhésion sur nos idées, avance Matthieu Marchio. J’appelle les gens qui nous ont fait confiance à se mobiliser en masse. Avant d’ajouter. En 2022, j’étais conseiller municipal d’opposition à Somain. Aujourd’hui, les gens mettent un visage sur l’étiquette RN localement".
Le député sortant, mobilisé sur le terrain "dès l’annonce de la dissolution", s’interroge ouvertement sur cette nouvelle candidature d’Alain Bruneel, maire communiste de Lewarde. "J’ai un peu de mal à comprendre pourquoi Monsieur Bruneel y retourne mis à part une volonté de revanche, s’interroge-t-il. Il recherche une place, c’est tout. Je trouve ça regrettable".
Dans le Cambrésis, 443 voix d’écart en 2022 : le RN face au président de l’agglomération
Il y a deux ans, le député sortant Guy Bricout s’était sauvé de justesse en remportant le scrutin avec 50,58% des suffrages exprimés face à la candidate d’extrême droite Mélanie Disdier. Pour ces législatives anticipées, le premier affilié au groupe LIOT à l’Assemblée nationale n’a pas souhaité se représenter. Quant à la seconde, élue députée européenne sur la liste de Jordan Bardella le 9 juin dernier, elle a passé le flambeau à Alexandre Dufosset.
À 25 ans, il est l’actuel chef de cabinet de Sébastien Chenu, vice-président RN de l’Assemblée nationale et député de la circonscription de Denain. Également conseiller régional des Hauts-de-France, Alexandre Dufosset sait que la dynamique est dans le camp du parti d’extrême droite. Dans la 18ème circonscription du Nord, la liste de Jordan Bardella a recueilli 51,96% aux élections européennes, soit près de 23 000 voix. "Faites-nous confiance, nous pouvons y arriver mais nous devons nous mobiliser, rien n'est acquis", a écrit le candidat sur les réseaux sociaux. Contacté, Alexandre Dufosset n’a pas répondu à nos sollicitations à l’heure où nous publions cet article.
Le jeune candidat affrontera notamment Benoît Maréchal. Le professeur d’histoire-géo et membre de la CGT a été investi par le Nouveau Front Populaire. Autre candidat, Nicolas Siegler. Le président de l’agglomération de Cambrai et vice-président du département du Nord dans la majorité de droite se présente sans étiquette. "Je suis gaulliste. Avec mon suppléant (Frédéric Bricout, maire divers droite de Caudry, NDLR), nous sommes soutenus par les maires, les conseillers départementaux et régionaux, la société civile", assure-t-il.
L’ancrage local comme boussole, il revendique une "candidature du territoire" et assure pouvoir créer la surprise. Même face à la vague RN des européennes ? "Je veux faire comprendre aux 23 000 électeurs qui ont voté pour l’extrême droite qu’il n’y a pas de fatalité. La politique peut répondre aux enjeux du quotidien et aux enjeux d’avenir du territoire".