Nord : Avec ceux qui bravent le couvre-feu pour "ne pas renoncer au samedi soir" et qui se sentent "un peu coupables"

Depuis des semaines, le samedi soir, c'est chez soi. Si les Nordistes échappent, pour le moment, à un confinement le week-end (contrairement au Pas-de-Calais et au Dunkerquois), ils doivent toujours respecter le couvre-feu de 18h à 6h. Mais le samedi dans la nuit, des ombres se détachent.  

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On en a marre de respecter les règles, c’est trop long”, se justifie Julie*, une trentenaire emmitouflée dans une parka noire. Il est 22h30 ce samedi de fin février, les rues de Croix sont vides et glaciales. Bien après 18h, l’heure du couvre-feu, un silence de plomb a enveloppé la ville coincée entre Tourcoing et Lille. Un silence si épais qu’on entend même les pas feutrés de la trentenaire et de son mari sur le trottoir.

Le couple vient de sortir d’un immeuble. Ils ont dîné chez des amis et comptent rentrer chez eux, à quelques centaines de mètres. Leur programme : emprunter les petites rues, éviter le centre-ville, avec cette “sensation désagréable d’être hors-la-loi”. Depuis l’instauration du couvre-feu à 20h le 15 décembre, avancé à 18h mi-janvier, ces Croisiens ont renoncé à leurs samedis soirs, jusqu’à ce soir-là. 

Objectif : rester invisible

C’est la première fois que je sors dîner depuis des mois, et ça fait vraiment du bien !” confie l’employée de magasin. Avant de “retrouver leurs amis, de rire et de penser à autre chose”, la jeune femme explique avoir choisi des vêtements sombres et des chaussures plates. L’objectif : “rester invisible sur la route du retour”. 

Nous avons moins d’un kilomètre à faire à pied, alors on prie pour ne croiser personne, je ne suis pas tranquille”, sourit nerveusement la jeune femme sous son masque, avant de mettre fin à la conversation, et de s’éloigner rapidement. 

On a beaucoup parlé des étudiants qui font des fêtes, mais nous aussi, on n'a pas envie d'arrêter de vivre

Un habitant de Croix

Un peu plus loin, c’est un couple de quinquagénaires qui rentrent eux aussi, après un “apéritif qui a un peu duré”. L’homme au béret gris tient un sac de course. “J’avais ramené une bonne bouteille, et une quiche”, explique-t-il. “On a 100 mètres à faire, et c’est vrai qu’on privilégie nos amis les plus proches géographiquement”, se justifie-t-il. “On a beaucoup parlé des étudiants qui font des fêtes, mais nous aussi, on n'a pas envie d'arrêter de vivre !”, s’exclame-t-il avant de repartir tranquillement avec sa femme. 

Le samedi suivant, cette fois à Lille, en début d'après-midi, Sophia, une jeune femme actuellement en alternance, se prépare à rejoindre des amis pour fêter l’anniversaire d’un ami. Elle veut s’y rendre bien avant le couvre-feu, afin d’y passer toute la soirée.  “Au 1er confinement, j’étais ultra-flippée. Je ne voyais personne” explique la jeune femme. “Puis il y a eu le relâchement de l’été, le 2e confinement, et maintenant le couvre-feu : j’en ai marre, c’est trop long, alors je sors”, ajoute-t-elle comme une évidence. 

La technique, c’est de s’installer à l’avant pour ne pas attirer l’attention

Sophia, lilloise

Mais partir bien avant le couvre-feu pour ne pas “se faire prendre, et payer une amende de 135 euros” n’est pas forcément une habitude, explique-t-elle, qui habite près de la Citadelle à Lille. “Généralement je pars plutôt avant 18h, ou entre 18h et 20h”, un créneau pendant lequel “il n’y a quasi-aucun contrôle, trop de Lillois sortent à peine du boulot”. 

Pour le retour, contrairement à “la majorité de ses amis qui restent sur place jusqu’à 6h”, la jeune femme rentre chez elle, “jamais à pied, mais en Uber. La technique, c’est de s’installer à l’avant pour ne pas attirer l’attention”, ajoute-t-elle, "je ne me suis jamais fait contrôler”. 

C'est trop triste de rester chez moi tous les soirs

Raphaël, étudiant

Raphaël habite lui dans les rues piétonnes du centre-ville. Le jeune homme de 25 ans, encore étudiant, déclare se rendre régulièrement chez “un pote de cours qui habite à 5 minutes à pied” le soir pour “boire un verre ou regarder un match de foot". “C’est trop triste de rester chez moi tous les soirs”, avance le jeune homme qui vit quasiment seul, sa colocataire n'étant presque jamais là. 

Je ne fais de mal à personne”, analyse-t-il :  “Je ne croise que de rares livreurs et des SDFs, je passe par de petites rues, je rejoins un ami que je vois toute la journée, et jusqu’à présent, je ne suis jamais tombé sur la police.”

Il était 1h30, et une voiture de police s'est arrêtée à notre niveau

Elsa, la vingtaine

La police, Elsa*, la vingtaine, l’a rencontrée un soir où elle rentrait, en plein couvre-feu. “Il était 1h30 du matin, c’était le mois dernier. Je rentrais avec un ami, et nous avons fait l’erreur de passer par une grande place”, explique la jeune femme qui vit seule dans le centre-ville. “Une voiture de police s’est arrêtée à notre niveau, et deux semaines plus tard, j’ai reçu l’amende de 135 euros”, regrette la Lilloise, pour qui une “telle somme représente un sacré coup dans mon budget!”. 

L’étudiante n’a pour autant pas renoncé à ses samedis soirs. Elle estime “faire très attention et rester dormir sur place” dès qu’elle le peut. “Ne voir personne, ce n’est pas possible. Je l’ai fait pendant le confinement, et habitant seule, cela a vraiment été très dur”, souffle-t-elle. “Malgré tout, on se sent un peu coupable”, ajoute-t-elle. “On ne fait pas de grande fête, on se voit en petit comité, et je le reconnais, en faisant comme cela, je n’ai pas l’impression de prendre des risques”. 

Rester en huis clos à cinq tous les jours, ce n’est pas vivable à long terme

Johanna, la quarantaine

Johanna*, la quarantaine, n’a pas non plus renoncé aux repas et aux fêtes le week-end. Cette cadre dans l’industrie et mère de trois enfants détaille ses deux techniques pour passer, malgré le confinement, un samedi soir avec des amis : “Soit on arrive chez eux avant le couvre-feu, et on reste dormir sur place, à 5. Les enfants ont l’impression de camper, ça les amuse, et même si on ne dort pas très bien, ça en vaut la chandelle”, détaille-t-elle en souriant. “Soit on loue à plusieurs un lieu pour faire la fête, c’est vrai que cela a un coût, mais comme nous sortons moins souvent, qu’on se partage toutes les dépenses avec nos amis, nous nous y retrouvons.” 

Pour la quadragénaire qui ne se voit pas renoncer à sa vie sociale , “rester en huis clos à cinq tous les jours, ce n’est pas vivable à long terme. Et le long terme, après un an de crise sanitaire, on y est."

* les prénoms ont été modifiés. 

 

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