Il y a quatre ans, la mort fait irruption dans la famille d'Hélène Decherf. Son fils Jean, qui allait fêter quelques jours plus tard ses 20 ans, tombe d'une grue lors d'un week-end de cohésion au Portugal. À la suite de ce drame, Hélène a écrit un livre, créé une association et monté une pièce de théâtre pour alerter sur les comportements à risques.
Non, cela n’arrive pas qu’aux autres, c’est pour cela qu’Hélène a écrit son histoire, celle de sa famille et de Jean. Mon zèbre s’est tué (EdiLivre) est le point de départ d’une nouvelle vie, une vie sans Jean. Un livre bouleversant, véritable hymne à la jeunesse qui a toujours besoin d’aller plus vite, plus loin.
On y découvre également l’amitié profonde, inconditionnelle et bien sûr, une réflexion sur la mort violente, brutale, inattendue. Ce livre est également le déclencheur, quelques mois plus tard, d'une association Un instant, Une vie qui a pour vocation la prévention des comportements à risques chez les jeunes.
Le 8 mars 2020, un coup de téléphone bouleverse la vie de cette famille du Nord. Jean, 19 ans, tombe d’une grue lors d’un week-end de cohésion avec son équipe de rugby à Lisbonne. Il perd la vie alors qu’il allait fêter ses 20 ans quatre jours plus tard. Pourquoi a-t-il eu envie de monter sur cette grue pour prendre une photo de la ville la nuit, d’où est venue cette quête d’adrénaline, l’envie de se lancer ce défi ? Rencontre avec Hélène Decherf, sa maman, qui a fait de cette tragédie une force pour sensibiliser les jeunes.
Comment aurions-nous réagi face à ce drame qui a fracassé une famille en quelques secondes ? Aurions-nous eu la force de continuer à vivre, voire survivre ?
La première question que j’ai posée à Hélène est tout simplement : "Aujourd’hui, comment allez-vous ?"
"Ça va plutôt bien, j’ai une vie bien remplie, dans l’action, une famille et un métier que j’aime, et puis nous sommes au printemps, cette saison du renouveau avec la nature qui se réveille…". (NDLR : l'entretien téléphonique a eu lieu en avril 2024)
Comme me l’explique Hélène, sa famille se porte plutôt bien également. Certes ils ont dû redessiner leur cellule familiale, l’étoile à cinq branches est passée à 4, mais ils sont forts, soudés, et n’oublient pas la cinquième branche, Jean, qu’ils imaginent et sentent toujours près d’eux. "C’est le lot de tous ceux qui vivent un deuil violent, nous devons nous reconstruire différemment".
Donner du sens à la mort de son fils
Dans les jours qui ont suivi le décès de Jean, la France se retrouve confinée en raison du Covid 19. Hélène, qui est formatrice en entreprise, est donc à la maison. Elle ne comprend pas, ne s’explique pas ce geste insensé de son fils. Comment se fait-il qu’il ait eu besoin de relever un tel défi ? Elle a besoin de comprendre ce qui s’est passé, et surtout, de donner du sens à la mort de son fils.
Elle se met à écrire et publie un livre Mon zèbre s’est tué. C'est le début de l’aventure Un instant, une vie, l’association créée par Hélène quelques mois plus tard et de la pièce de théâtre Adrénaline qui raconte l’histoire de Jean. Nous sommes alors en 2021.
La pièce est écrite à quatre mains. Hélène qui, pour le plaisir fait du théâtre, a pris contact avec Jacky Matte, un metteur en scène avec qui elle a déjà travaillé. À deux, ils dessinent ce qui va devenir l’histoire de Jean racontée par Jean. Ce monologue de 35 minutes est magnifiquement interprété par le comédien Simon Herlin. Il est accompagné, souligné, par un pianiste, Mathis de Ruyver (il était le professeur de piano de Jean). N’oublions pas Jérémy Scherpereel qui est le régisseur général de la pièce.
"Jacky est brillantissime, il révèle le beau dans chaque situation. Cette pièce révèle que Jean aimait la vie. Et Simon est magnifique dans son interprétation, les émotions qu’il dégage".
Les premières représentations ont lieu lors du dernier trimestre 2021. Entre couvre-feu, périodes de confinement, la petite équipe a réussi à jouer, échanger : "Ce qui est incroyable, c’est que beaucoup de choses se sont faites facilement dans ce monde confiné, il y a eu tellement de feux qui passaient au vert dans cette période pourtant rouge".
Mon deuil est très particulier, dans Adrénaline, je vois et j’entends Jean. J’ai pris beaucoup de libertés par rapport à lui, je ne sais pas ce qu’il en dit là-haut…
Hélène Decherf
Plus de 12 000 jeunes ont vu Adrénaline
Après chaque représentation, un moment d’échanges est organisé avec le public "Ce qui me nourrit, mon carburant, c’est vraiment le retour des jeunes après avoir découvert ce témoignage qui est fort et qui les touche. Ça les bouscule, ils prennent conscience que les accidents, ça n’arrive pas qu’aux autres".
Comme me le dit Hélène, il existe beaucoup de jeunes qui, à un moment donné, prennent des risques. Certains ont une bonne étoile au-dessus de leur tête et il ne se passe rien. Mais les chemins ne sont pas forcément toujours droits, il y a des obstacles. Cette pièce est un véritable coup de poing, et son objectif de prévenir et parler des comportements à risques est pleinement atteint.
Surtout quand on regarde les chiffres. 35% des ados estiment qu'il faut prendre des risques pour devenir adulte, 59% recherchent avant tout à éprouver des sensations fortes.
"Mon deuil est très particulier, dans Adrénaline, je vois et j’entends Jean. J’ai pris beaucoup de libertés par rapport à lui, je ne sais pas ce qu’il en dit là-haut…".
Vers la résilience
À ces âges-là (16/25 ans), les jeunes sont en pleine construction de leur identité, ils veulent sortir du cadre. L’équipe, pour les besoins des débats/rencontres, a échangé avec des professionnels de santé. Il s’avère que le développement du cerveau joue aussi un rôle capital dans ces comportements à risques : "Pour schématiser, il y a le cerveau reptilien, celui qui régule les besoins fondamentaux et qui aide le jeune à quitter le nid, à prendre son envol. Puis vient le cerveau limbique, là c’est l’émotion, la mémorisation, la prise de décision. Dans son processus de développement pour arriver à maturation, il va plus vite que les deux autres, c’est là que le jeune peut ressentir le besoin de prendre des risques. Enfin, le néocortex, qui est le siège du raisonnement, mais qui n’a pas encore appris à appréhender les risques".
À ceci, il convient d’ajouter les soirées parfois arrosées auxquelles les jeunes sont exposés, l’envie d’appartenir à un groupe. Quand Hélène demande aux jeunes qui viennent voir la pièce : "Qui pense avoir déjà pris un risque dangereux, mortel ?", la moitié de l’assistance lève la main. À cette autre question : "Dans votre entourage, voyez-vous quelqu’un qui pourrait prendre de tels risques ?", là aussi, un tiers, voire la moitié de l’assistance lève la main.
Percevoir ce qu’il a fait et qui lui paraissait anodin m’aide à accepter. C’est la compréhension qui fait qu’on peut avancer vers la résilience.
Hélène Decherf
>>> Voir ou revoir l'émission avec Hélène Decherf en cliquant sur l'image
"Cette pièce est un excellent outil de prévention, les retours que nous recevons nous motivent à continuer. Par exemple, un jour, un jeune après le débat est venu me voir, il m’a dit : « Je n’appelle pas souvent ma maman, voire jamais, je vais l’appeler ce soir, lui dire que je l’aime ». D’autres me disent qu’ils ont compris que se mettre en danger, c’est mettre en danger tout leur entourage. Pour quelques secondes d’adrénaline égoïstes, ils mettent en péril toutes les personnes qui les aiment. Car après tout, c’est quoi la responsabilité de rester vivant ?"
Ces 12 000 jeunes qu’Hélène a croisés lui ont permis de comprendre ce qui s’est passé dans la tête de Jean. "Percevoir ce qu’il a fait et qui lui paraissait anodin m’aide à accepter. C’est la compréhension qui fait qu’on peut avancer vers la résilience".
En réalité, même un enfant aimé, bien construit, dans un environnement propice au développement, avec qui on a parlé des comportements à risques peut quand même ressentir cette envie de montrer qu’il est capable de…
Hélène Decherf
Témoignages de parents, de familles
Hélène a aussi rencontré des familles qui ont vécu un drame dans des circonstances différentes, mais toujours lié à la prise de risques. C’est le cas de Philippe qui l’a contactée après avoir lu son livre (quelques semaines après le décès de son fils lui aussi). Il a compris beaucoup de choses et a sollicité l’équipe pour venir jouer Adrénaline dans le lycée de Boulogne-sur-Mer où son fils était scolarisé (en décembre 2022).
Témoignage également d’une maman, qui a perdu son fils aîné décédé en Italie. Il y a aussi ces familles qui la contactent, leur enfant est resté vivant après ces prises de risques, mais avec des séquelles terribles.
"En réalité, même un enfant aimé, bien construit, dans un environnement propice au développement, avec qui on a parlé des comportements à risques tels que l’alcool, la drogue, peut quand même ressentir cette envie de montrer qu’il est capable de…"
Voilà trois années qu’Hélène à travers l’association Un instant, Une vie se donne cette mission d’alerter, de prévenir ces comportements à risques. L’équipe vient de signer pour une quatrième année, mais il faudrait aller encore plus loin, décupler leurs actions.
"Dans l’idéal, il faudrait que tous les lycées, toutes les écoles supérieures puissent aborder ce thème. La pièce est un excellent outil, mais est-ce que la prévention peut être faite autrement ? Il faudrait que je me pose pour y réfléchir, il y a encore beaucoup à faire !".
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C’est difficile de mettre des mots sur ce besoin d’expériences inédites, de recherche de hauteur, de vitesse, d’aventure… Confronter les jeunes, et les moins jeunes qui vont voir la pièce, à "l’amour du risque", répondre à des questions telles que : "Comment savoir si je mets en danger, qu’est-ce que réussir sa vie ?"
Adrénaline est parfois proposé en spectacle public (en dehors des écoles), mais ce ne sera pas le cas dans le Nord prochainement. En effet, après une année de travail colossal de la part d’Hélène, ils sont en attente de la confirmation d’une programmation à Paris. Mais le 29 août 2024, ils entament bel et bien leur quatrième année de diffusion de la pièce auprès des étudiants et des lycéens, avec de nombreuses dates prévues dans les Hauts-de-France.
Naturellement le mot de la fin revient à Hélène : "Quand je croise tous ces jeunes, qui me parlent, m’expliquent leur vie, qui sans doute en me voyant après la pièce comprennent encore plus les conséquences des comportements à risques, ils me donnent envie de continuer. Je le fais aussi pour mon enfant, pour garder la tête haute, la vie n’est pas finie…".
(Article déjà publié sous une autre forme le 14 avril 2024)