La ville de Lille a demandé au tribunal administratif l’expulsion des occupants du parc Matisse. Elle fait valoir une situation d’insécurité et d’insalubrité. Toutefois, aucune solution d’hébergement n’est proposée aux personnes qui y vivent.
Au sein du parc Henri Matisse, une soixantaine de personnes en situation de grande précarité – parmi lesquelles des dizaines de migrants – vivent dans des abris de fortune. La ville de Lille a demandé au tribunal administratif l’évacuation de cet espace vert, situé entre la gare Lille Europe et le Vieux-Lille.
Elle souhaite une expulsion rapide des habitants. Une question “urgente”, de “sécurité” et de “salubrité” de l’espace public, selon Maître Pierre-Etienne Bodart, l’avocat de la commune.
Une question de "salubrité" et de "sécurité" pour la ville de Lille
Ce mardi 7 mai, devant le tribunal, il fait valoir les “conditions d'hygiène déplorables” du lieu de vie : “il n’y a pas de sanitaires, les déchets sont accumulés”. L’avocat parle également de risque d’incendie.
Surtout, Maître Bodart pointe “une augmentation de la population présente sur le site depuis février 2024”, “une connexion qui se fait entre la prostitution et les camps” ainsi que le signalement de “douze faits potentiellement répréhensibles, y compris un viol et des agressions”, entre février et avril.
Douze faits potentiellement répréhensibles, y compris un viol et des agressions, ont été signalés.
Maître Pierre-Etienne Bodartavocat de la ville de Lille
Selon les rapports de police, des plaintes auraient été déposées par des riverains. Cependant, aucune n’apparaît dans le dossier. “Et on ne sait pas si l’ensemble des faits évoqués sont vraiment commis par des occupants du camp !”, objecte Maître Julie Aubertin, venue représenter devant le tribunal trois personnes soudanaises qui vivent dans le parc Matisse. “Les personnes que je représente sont loin de l’image qu’on donne aux habitants de ce refuge”, assène l’avocate.
Une possible évacuation sans solution d'hébergement
Bénévole au sein d'une association d’aide aux réfugiés, Camille*, confirme : “ils restent vraiment dans leur campement et laissent les personnes tranquilles…” Elle est venue soutenir deux des occupants, qui assistent à l’audience.
À ses côtés, Mustafa, 31 ans, s’inquiète pour la suite. “Je n’ai pas envie de rester [dans le parc, ndlr], si je pouvais, j’irais ailleurs. Mais en cas d’expulsion, je n’ai nulle part où aller”, explique-t-il en anglais. “Je voudrais un logement… Mais si on ne nous propose pas d’hébergement, on va juste souffrir encore plus en cas d’expulsion.”
Ils restent vraiment dans leur campement et laissent les personnes tranquilles…
Camille*bénévole au sein d'une association d'aide aux exilés
Devant la juge des référés, Maître Aubertin souligne que “le camp existe depuis quelques années” et que “ce n’est pas la première tentative de démanteler ce camp, qui se reforme”. Pour l’avocate, “en essayant de démanteler les camps, on déplace seulement les personnes qui les occupent”. Pas d’urgence, donc, à expulser les personnes selon elle : l’avocate demande ainsi le rejet de la requête de la ville et un délai d’un mois en cas d’évacuation.
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Une ordonnance rendu mi-mai
Face à la ville, les migrants comme Mustafa, en pleine procédure Dublin, sont dépourvus. “C’est moi qui les ai prévenus [de la demande d’expulsion de la mairie, ndlr]”, affirme Camille*, de l’association d'aide aux personnes exilées.
Les personnes que je représente sont loin de l’image qu’on donne aux habitants de ce refuge.
maître Julie Aubertinavocate de trois personnes vivant dans le parc Matisse
Dans des pochettes de plastique, scotchées à des arbres aux abords du parc, une communication au sujet de la requête en référé a bien été faite.
Une affiche discrète où les termes juridiques ne facilitent pas la compréhension des concernés. “On demande à des populations précaires vulnérables, qui ne maîtrisent pas le français, de comprendre une affiche où on les qualifie ‘d’occupants sans droit ni titre’...”, déplore Maître Aubertin, à la suite de l’audience. Difficile, donc, de défendre leur campement du parc Matisse.
L’affaire est pour le moment mise en délibéré, le tribunal rendra son ordonnance en fin de semaine prochaine.
* Le prénom a été modifié.