Un Lillois est à l’origine d’une pétition massivement signée par le secteur des crèches privées. Elle dénonce un projet de décret visant à remplacer 40% des titulaires de CAP Accompagnement Éducatif Petite Enfance. Un coup de massue pour un secteur déjà sous tension qui pourrait voir ses crèches fermer une à une.
En quelques jours, la pétition “Je soutiens ma crèche” a réuni plusieurs milliers de signatures. Créée lundi 13 janvier 2025, elle en comptait plus de 6 000 six jours plus tard. Derrière cette initiative, un collectif du même nom et un Lillois fondateur d’un réseau de micro-crèches, Jimmy Dacquin, qui souhaitent dénoncer le projet de décret “réorganisant la politique d'accueil de la petite enfance”.
Portée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et portée à la connaissance des professionnels en décembre, la proposition concerne les crèches et micro-crèches privées. Elle cristallise les inquiétudes de tout un secteur, des gestionnaires aux employés, en passant par les parents.
Y figure notamment l'obligation, d'ici à 2026, de remplacer au moins 40% des effectifs titulaires de CAP Accompagnement Éducatif Petite Enfance (AEPE), formés en 2 ans après la 3ᵉ, par des diplômés d’État d’auxiliaires de puériculture ou d’Éducateurs de Jeunes Enfants, en niveau bac+2 minimum.
Un CAP dénigré
Entre le manque de formations et le court délai, la proposition est jugée “ubuesque”. D’autant que 15 000 salariés actuellement en poste risquent de perdre leur emploi, estime une deuxième pétition sur le sujet, créée sur fond de désaccord entre fédérations et qui cumule près de 4 000 signatures. En parallèle, pour répondre à la demande et pallier les départs à la retraite, 30 000 auxiliaires ou éducateurs devraient être formés d'ici à 2027, estime une récente étude de marché.
“Je vais virer mes salariés et les remplacer par des personnes qui n’existent pas ?”, s’interroge Jimmy Dacquin, à la tête du réseau de micro-crèches Ô P’tit Mômes et de la franchise du même nom, qui compte 240 établissements en France, dont une grande partie en zone rurale. “Nous n’avons déjà pas les professionnels suffisants. L’administration demande 40% mais ne les produit pas. C’est le serpent qui se mord la queue”, dénonce-t-il.
Nous n’avons déjà pas les professionnels suffisants. L’administration demande 40% mais ne les produit pas. C’est le serpent qui se mord la queue.
Jimmy DacquinCo-auteur de la pétition
Amandine Saelen, coordinatrice du réseau nordiste de micro-crèches Tambourin & Castagnettes, notamment chargée de la partie RH, abonde : “Le recrutement est très compliqué. Pour une annonce d’auxiliaire, quatre fois sur cinq, ce sont des personnes en CAP qui postulent. Mais on les reçoit quand même et elles peuvent très bien cocher toutes les cases.”
Menace sur les crèches privées
Quand on lui demande si Amandine Saelen pense ce décret applicable, elle répond aussitôt par la négative : “C’est la fin des crèches. Des familles se retrouveront sans mode de garde”, prévient-elle. En effet, sans le taux de recrutement nécessaire atteint, Jimmy Dacquin se verra contraint de fermer des établissements : “Une réglementation comme ça, c’est le coup de massue.”
C’est la fin des crèches. Des familles se retrouveront sans mode de garde.
Amandine SaelenCoordinatrice d'un réseau nordiste de micro-crèche
Actuellement, dans son réseau, 80% de ses salariés sont des CAP, contre 20% d’auxiliaire ou d’éducateur. “Le diplôme ne fait pas tout !”, s’insurge Jimmy Dacquin, soulignant plutôt “la vocation, l’investissement au quotidien et le contact avec les enfants”. D’autant que de plus en plus de personnes en reconversion passent par le CAP et qu’une fois dans l’entreprise, tous les salariés bénéficient de la même formation, quel que soit leur diplôme.
“Je trouve cela discriminant pour les CAP”, déplore également Amandine Saelen : “Ce sont des personnes davantage formées dans l’animation et les activités, là où les auxiliaires sont plus sur la santé. Tous les professionnels sont complémentaires”, estime la coordinatrice de 32 ans qui s’interroge sur leur futur : “Que va-t-on leur proposer demain ? Ça fait peur pour l’avenir professionnel. On se pose beaucoup de questions et il y a une pression sur les épaules de tout le monde."
Manque d’attractivité, le nœud du problème
Une autre prérogative du décret prévoit que les salariés disposant d’un CAP AEPE ne pourront accueillir seuls que trois enfants, tandis que les assistantes maternelles à domicile ou en maison d’assistantes maternelles peuvent en accueillir jusqu’à six. Pourtant, les premiers ont 400 heures de formation, contre 120 heures pour les seconds.
Le chef de file de la pétition, soutenue par la Fédération française des Entreprises de Crèches et de la Fédération des Services à la Personne et de Proximité (Fedesap), dénonce des mesures “hors sol et sans aucune concertation”. Le tout dans un contexte social déjà compliqué pour le secteur qui fait face à un manque d’attractivité bien ancrée. “Ce qui semble avoir échappé aux administratifs, c'est que le métier d’assistante maternelle est en recul”, note avec ironie Jimmy Dacquin.
👶📣Je soutiens ma crèche ! 🙌
— Fédération Française des Entreprises de Crèches (@Ent_de_Creches) January 17, 2025
Les crèches et micro-crèches jouent un rôle crucial dans notre société, mais elles traversent une période de grands défis. Soutenons-les ensemble !
👉 Signez la pétition ici : https://t.co/yrSq2khmPD via @ChangeFrance
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Une crise de la vocation et des difficultés de recrutement notamment dues aux conditions de travail, aux salaires et au manque de reconnaissance. Le fondateur du réseau Ô P’tit Mômes pointe du doigt des plafonds salariaux à 10 euros de l’heure qui “n’ont pas été revalorisés depuis 2013 malgré l’inflation”. Problématique à laquelle vient s’ajouter le contexte politique : “Nous n’avons plus de gouvernement dédié pour communiquer, nous n’avons pas les contours du Haut-commissariat à l’enfance qui devrait être créé.”
Opération crèches mortes
Malgré cela, Jimmy Dacquin tient à souligner la motivation des professionnels de la petite enfance dans leur travail au quotidien. “Arrêtons de toujours dire que tout va mal et que la maison brûle. Ce n'est pas notre quotidien à nous et ça ne va pas arranger la crise parce que qui veut entrer dans une maison qui brûle ? Personne.” Vingt ans après le monopole du public, le secteur privé est en effet soumis à un sentiment de méfiance, notamment suite à la publication du livre-enquête “Les Ogres” de Victor Castanet, en 2024.
J’ai espoir que l’on soit reçu avec le sourire et que l’on fasse avancer les choses.
Jimmy DacquinFondateur d'un réseau de micro-crèches
Face à ces nombreuses difficultés, une opération “Crèche morte” est d’ores et déjà prévue le 3 février prochain. L’accueil des enfants sera toutefois maintenu, afin de “montrer le mécontentement” et sensibiliser à la menace qui pèse sur les micro-crèches. “J’ai espoir que l’on soit reçu avec le sourire et que l’on fasse avancer les choses”, indique Jimmy Dacquin.
Selon l’Observatoire national de la petite enfance (Onape) dans son dernier rapport, le taux d’accueil des enfants de moins de 3 ans en crèche était de 60,3 places pour 100 enfants en 2024, contre 59,4 places en 2021.