“La prochaine fois c’est une balle perdue ?” à Lille, commerçants et habitants inquiets après une fusillade à Wazemmes

Dans la rue Jules Guesde, des affrontements entre bandes se multiplient ces dernières semaines. Vendredi, une fusillade a même éclaté, faisant un blessé par balle. Les commerçants et les habitants témoignent de l’insécurité au quotidien. 

 

Jour de marché à Wazemmes. Il fait beau. Les halles et les étals du marché se concurrencent en promotions. Autour, les terrasses des bars sont pleines. Les habitants discutent avec les commerçants. Les commerçants trinquent avec les bobos. Un melting-pot emblématique de Wazemmes. Seuls quelques cris d’ivresse troublent parfois l’apparente quiétude. Pourtant, au marché, les discussions s’animent autour d’une “guerre des gangs” qui ferait rage dans le quartier. Au soir du mardi 25 mai, un coup de lame vient blesser un homme d’une vingtaine d’années, rue Jules Guesde. Le vendredi suivant, en fin d’après-midi, rebelote dans la même rue. Cette fois, un homme est grièvement blessé par balles, deux autres le sont par arme blanche. Sur le pavé, du sang et quelques cartouches de ce qui semble être un calibre 9mm. 

Pour Ali (le prénom a été changé, NDLR), commerçant historique de la rue, “c’est un problème qui s’envenime depuis 10 ans maintenant.” Dans l’après-midi de vendredi, il a vu la scène, “un guet-apens” selon lui où “des dizaines de jeunes” se sont réunis pour en découdre. “Tous les commerçants du quartier ont baissé leurs rideaux d’un coup. Il a fallu se protéger et protéger les clients. Il n’y avait plus personne dehors", raconte Ali. Les passants désertent au fil des faits divers qui s’accumulent. La rue Jules Guesde est une rue commerçante, où les clients potentiels se font rares désormais. Des grappes d’hommes y assurent des petits trafics. Et c’est mauvais pour le business légal. “Regardez la rue, il n’y a plus que des mecs dehors. On perd nos clients, ils ont peur” témoigne Ali. 

Un mélange de peur et de colère 

Son magasin fait face à un autre installé depuis 30 ans dans le quartier. La patronne, elle aussi, refuse de donner son nom. “Je ne veux pas de problème, notre commerce est ici et notre famille vit pas loin”, explique Monique. Depuis quelque temps, elle ferme systématiquement les deux stores de son magasin. Il faut être un habitué, ou déceler le panneau qui indique les horaires, pour savoir que ce magasin est bien ouvert. “On ferme ces stores sinon ils squattent devant. Il n’y a que la porte d’entrée qui est ouverte. A cause de ça, on a perdu une bonne partie de nos clients mais au moins on est en sécurité. Le magasin fournit beaucoup de restaurateurs, alors on fait de la livraison pour compenser”, explique la patronne. 

Un mélange de peur et de colère infuse dans les discours des commerçants. Parfois, ils sont installés depuis plusieurs générations dans la rue Jules Guesde. “Des anciens” comme dit Ali. Une vie de quartier construite autour de son commerce, de ses voisins, de ses clients. Pourtant, beaucoup ici songent à partir. “C’est plus vivable, bien sûr qu’on pense à déménager. On paye des taxes mais on a plus de clients alors comment on fait ? Et puis, si un jour ça empire ? La prochaine fois c’est quoi ? Une balle perdue pour un commerçant ?” s’interroge Ali. Pour eux, leur quartier a changé. “Quand il était petit, mon fils jouait devant le magasin dans la rue. Aujourd’hui, qui laisserait ses enfants jouer dehors dans cette ambiance ?” s’interroge Monique avant d’ajouter : “Partir ? Pour aller où ? De toutes façons, dans 5 ans maximum, je prends ma retraite.”

 

Un quartier coupé en deux  

En ce dimanche de printemps, le quartier de Wazemmes ressemble à un exemple réussi de mixité sociale. Des couples CSP+ baladent leurs bambins avant d’aller bruncher. Des habitants “historiques” saluent les habitués des cafés. Des étudiants profitent d’un dernier verre au soleil, après une nuit de fête. Une diversité qui se retrouve jusque sur l’enseigne des magasins. La boulangerie historique “L’Aziza” partage son trottoir avec des boutiques de téléphonie low-cost et des magasins de bouche plus ou moins chers. Un quartier en pleine mutation, “gentrification” pourrait-on dire. 

C’est ici et pour ça que Faustine, 28 ans et chargée de communication, s’est installée dans le quartier il y a plusieurs années. “Quand on entend des faits-divers, bien sûr que c’est inquiétant, mais il ne faudrait pas non plus tout résumer à ça. J’aime vivre ici. J’aime ce quartier et ce qu’il devient mais pour autant, il faut se donner les moyens de bien-vivre ensemble. Je ne sais pas, peut-être qu’il devrait y avoir plus de médiation sociale.” s’interroge Faustine. Pourtant, elle reconnaît éviter certaines zones bien identifiées, dont la rue Jules Guesde. “C’est vrai que je vais rarement jusque là-bas. J’évite aussi l’arrêt de métro Wazemmes le soir. Je suis une femme, il y a des bandes de mecs tout autour. Parfois, ils nous embêtent donc on ne se sent pas en sécurité.”

Le quartier semble se diviser en deux. La partie Wazemmes-Gambetta qui jouxte le boulevard Léon Gambetta. Et une autre partie, depuis la rue Jules Guesde et la rue d’Iéna. “Il y a une fracture à partir de là, le quartier est coupé en deux et les bobos se baladent peu là-bas” conclut Faustine. Un avis partagé par Ali. “On a même parfois l’impression qu’on vit dans une autre ville” confie le commerçant. Selon lui, “la rue Gambetta est nettoyée, entretenue, il y a des animations pour Noël. La nôtre, à deux pas, est sale et dégradée. Il y a un square juste derrière. C’est censé être un jardin pour enfants, c’est un jardin pour trafiquants.” En plus de son magasin, Monique est propriétaire d’un appartement rue Jules Guesde. Depuis des mois, elle n’arrive plus à le louer. “Les gens sont intéressés parce qu’ils pensent que c’est à Wazemmes mais côté Gambetta. Dès qu’ils s’aperçoivent que c’est rue Jules Guesde, ils se désistent. Pourtant, c’est un bon quartier, il fait bon vivre ici. C’est juste ce problème avec les bandes, ça gâche.” 

Ces commerçants se sentent aussi abandonnés par les services publics. “Moi, je demande clairement plus de présence de la police. Ils ne viennent que quand il y a des bagarres et des agressions. Il faudrait faire un travail de fond” réclame Monique. Ali, lui, va plus loin. “Parfois, j’ai même l’impression que la police laisse faire, que c’est une stratégie, comme le Vieux-Lille dans les années 1980. Ils laissent traîner la poudre jusqu’à ce que ça prenne feu.” 

 

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