Anne-Sophie Centis est kinésithérapeuthe à l'hôpital Jeanne de Flandre, à Lille. Aveugle depuis qu'elle a 20 ans, elle s'est battue pour poursuivre des études et une carrière, loin de tout fatalisme.
Anne-Sophie Centis, 37 ans, est une kiné hors-norme. Née avec un glaucome (maladie dégénérative du nerf optique qui amène vers une perte progressive de la vue) et une catharacte congénitale, elle perd la vue à l'âge de 20 ans, alors qu'elle venait d'entamer des études en kinésithérapie.
"C'était difficile d'imaginer un avenir sans vue", avoue celle qui mettra plusieurs mois ses études en pause, à cause de sa cecité, des chirurgies et des complications post-opératoires.
Pour la jeune femme, il y a eu quatre à cinq mois difficiles à gérer. "Quand on ouvre les yeux le matin, et qu'on est dans le néant, on a pas envie de se lever, explique Anne-Sophie Centis. Mais il y a un moment où on se dit 'ça suffit', on a le choix d'essayer d'avancer et de vivre au mieux avec ce handicap. C'est ce que j'ai essayé de faire."
Il y a un moment où on se dit "ça suffit", on a le choix d'essayer d'avancer et de vivre au mieux avec ce handicap. C'est ce que j'ai essayé de faire.
Pour reprendre ses études, elle a pris des cours de psycho-motricité, pour "apprendre à se servir d'une canne blanche et prendre des cours d'informatiques pour utiliser la synthèse vocale". Deux conditions indispensables pour sa reprise d'études à Paris. "Je me suis épanouie durant ces années même sans la vue, poursuit-elle. J'ai appris à revivre."
Une volonté de fer qui l'a aidée à déplacer des montagnes.
Un autre regard sur la kinésithérapie
Aujourd'hui, Anne-Sophie Centis compte 13 ans de carrière et travaille au service de réanimation pédiatrique de l'hôpital Jeanne de Flandre, à Lille. Dans son équipe, elle est une professionnelle reconnue et respectée de tous. Pourtant, son arrivée à été source d'inquiétude.
"On se posait des questions quant à l'organisation des soins, les transmissions, parce qu'à l'hôpital on a une culture de l'écrit, explique Valérie Demoulin, kinésithérapeute et collègue. Finalement, ça s'est très vite fait. Anne-Sophie, pour moi, ce n'est pas une kiné aveugle, c'est une collègue. Point."
Je considère que j'ai moins droit à l'erreur qu'une personne valide. Si j'en fais une, le raccourci sera fait tout de suite avec mon handicap.
"L'inconnu, la différence et la méconnaissance font peur, analyse-t-elle. J'ai dû remonter mes manches et faire mes preuves". Et l'impression d'être en constante probation semble perdurer, malgré tous les éloges effectués à son égard. "Je considère que j'ai moins droit à l'erreur qu'une personne valide. Si j'en fais une, le raccourci sera fait tout de suite avec mon handicap. J'ai la conviction que je dois être irreprochable pour justifier ma place."
Le service a pu s'adapter à tout ce qui pouvait être un frein à son indépendance totale du travail. Et maintenant, Anne-Sophie Centis connaît chaque recoin et chaque chambre sur le bout des doigts, et fait son travail de façon totalement autonome, notamment grâce à la synthèse vocale, qui mériterait toutefois quelques améliorations.
Un métier au-delà des regards
L'avantage du métier de kinésithérapeute, c'est que les soins passent beaucoup par les mains et le touché. Avec la perte d'un de ses sens, Anne-Sophie Centis a pu sur-développer ceux qui lui restaient. Elle arrive, par exemple, à savoir si un patient hypoventile seulement au contact de la poitrine.
"Qu'on soit handicapé ou non, aveugle ou non, si on a de l'empathie, on peut faire les métiers du soin, note Valérie Demoulin. Des fois, elle voit mieux avec ses mains que moi avec mes yeux."
Son intégration dans l'équipe, sa volonté et sa motivation ont même conduit Anne-Sophie à décider de reprendre un master en kinésithérapie pour devenir professeur en école dans les années à venir. Une preuve supplémentaire qu'on peut toujours voir loin, même sans la vue.