Nuit blanche pour régulariser les sans-papiers à Lille : "Nous, ça fait des années qu'on vit confinés"

Une nuit blanche était organisée Place de la République à Lille par le Comité des sans-papiers 59. Malgré la pluie, ils étaient une cinquantaine à veiller pour faire entendre leurs droits, demander leur régularisation ainsi que le retour en France de Mohammed Lakhel, un Algérien expulsé en 2019. 

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"Je préfère mourir que de repartir dans mon pays", s'exclame Tanina*, une Algérienne sans-papiers, arrivée en 2013 en France. Comme elle, des milliers des sans-papiers ont fait leur demande à Lille et sont en attente de régularisation. Une trentaine d'entre eux se sont donné rendez-vous ce mercredi 19 août sous une tonnelle et sous la pluie pour passer une nuit blanche et protester. "Je suis entrée en France en 2013 avec un visa d'installation. Je suis venue avec mon mari français, mais à notre arrivée, il m'a interdit de travailler et de continuer mes études. Je n'avais pas le droit de sortir et il voulait que je suive la religion musulmane alors que je ne suis pas croyante. On s'est séparé sept mois plus tard", raconte Tanina. Un délai de vie commune insuffisant aux yeux de la préfecture du Nord. 

"Après ma séparation, je me suis installée à Lille, j'ai fait une demande de titre de séjour. Pendant trois ans, ils m'ont donné des récépissés [document qui permet de séjourner régulièrement en France le temps de l'examen du dossier par la préfecture, ndlr], ce qui m'a permis de travailler et d'être salariée."

"La loi m'oblige à rester avec un mari violent"

Mais au bout de quatre ans, Tanina reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF). La préfecture du Nord lui indique qu'elle n'a pas respecté le délai de deux ans de vie commune avec son mari français, demandé pour régulariser sa situation. Tanina fait alors un recours au niveau du tribunal administratif mais la réponse est négative. "La loi m'oblige donc à rester avec un mari violent. Ce n'est pas possible !", s'indigne-t-elle. "J'ai intégré le Comité des sans-papiers où j'ai fait un deuxième recours en ayant une promesse d'embauche mais la réponse est restée négative. Depuis, je continue à lutter en espérant que mon dossier soit accepté."

Lutter, mais aussi vivre avec l'angoisse d'être arrêtée à tout moment. "Nous, ça fait des années qu'on est confinés. J'ai peur chaque instant de circuler librement et de me faire contrôler. En n'ayant pas de papier, si je me fais arrêter, je pars directement en centre de rétention administrative et peut-être en Algérie alors que j'ai toute ma vie ici."

Une crainte partagée par de nombreux sans-papiers. Selon le rapport 2018 de la Cimade, 23,9 % des interpellations menant à des placements en CRA se faisaient lors de contrôles de police sur la voie publique.

En trois mois, je passe du statut d'étudiante bien intégrée épousant totalement les valeurs françaises, au statut de délinquante.

Aïcha, Sénégalaise sans-papiers

Le centre de rétention administrative, Aïcha*, une Sénégalaise, a eu l'occasion d'en faire l'amère expérience. 

Diplômée d'un master en ressources humaines en France, son titre de séjour a expiré en novembre dernier. "J'étais en remplacement à un poste où j'ai ensuite eu une promesse d'embauche." Seulement, alors que ses employeurs contactent la préfecture pour régulariser sa situation, Aïcha est interpellée par la police et envoyée en centre de rétention administrative en février. 

"Ça faisait sept ans que j'étais en France, j'avais toujours été dans la régularité jusqu'à cette période. En trois mois, je passe du statut d'étudiante bien intégrée épousant totalement les valeurs françaises, au statut de délinquante. Imaginez le traumatisme ! Je demandais une serviette pour me changer, on me répondait que je n'étais pas dans un hôtel-trois étoiles."

J'aurais pu être la nouvelle Sibeth Ndiaye, mais on est en train de me retirer la possibilité de faire des choses pour ce pays.

Aïcha, Sénégalaise sans-papier

L'expérience est traumatisante. Pourtant, selon ce même rapport de la Cimade, seulement 40 % des personnes passées par un CRA sont finalement éloignées.
 
L'association de défense des droits des personnes migrantes pointe du doigt "l'impact extrêmement fort de la privation de liberté sur les personnes. Le recul du respect de leur droit, même les plus fondamentaux, apparaît donc de plus en plus disproportionné avec l'objectif des pouvoirs publics."

Aïcha finit par sortir, mais sa promesse d'embauche est tombée à l'eau tout comme sa perspective de régularisation. "Personne n'avait répondu aux critères de l'offre d'abord mise en ligne par Pôle emploi. Mon employeur m'avait donc positionnée. Mais il cherchait quelqu'un dans l'immédiat et je me suis retrouvée enfermée dans le CRA au moment où j'aurais dû commencer" regrette-t-elle.  

En couple avec un Français depuis maintenant trois ans, elle aurait pu régulariser sa situation en se mariant avec son conjoint. "Je ne voulais pas me marier pour être dans la régularité. Je me disais, je viens de finir mes études, je vais chercher un emploi avant d'officialiser ma relation. Je voulais être totalement autonome avant de me marier".

Seulement 20 demandes de régularisations possibles par an

Après avoir passé six mois à ne plus vouloir sortir à la suite de son passage en centre de rétention, gérer son avenir comme elle l'entend lui paraît de moins en moins évident. "J'aurais pu être la nouvelle Sibeth Ndiaye [ex-porte parole du gouvernement, ndlr], mais on est en train de me retirer la possibilité de faire des choses pour ce pays."

Pour ces deux femmes, comme pour les autres sans-papiers, la situation se corse au fur et à mesure que les démarches administratives s'enlisent. Tous les trois mois, le Comité des sans-papiers peut déposer 5 nouveaux dossiers de réexamen au séjour.

Mais depuis janvier, la préfecture du Nord "a un nouveau règlement intérieur. On ne peut plus déposer de deuxième dossier si le premier est refusé. C'est une véritable condamnation pour nous, les sans-papiers. On nous enlève la possibilité d'évoluer et pour 20 demandes déposées par an, 2 à 3 seulement sont acceptées".

La préfecture du Nord indique elle avoir délivré "2 100 premiers titres de séjour entre le 1et janvier 2020 et le 30 juin et renouvellés 10 643 titres pou 244 refus. Sur la même période le nombre de décisions relevant de l'admission exceptionnel au séjour est de 230."

Elle reconnaît que la Codrese, une commission créée localement, a modifié son réglement intérieur au 1er janvier, mais que "celui-ci a été adapté à la crise sanitaire pour permettre à chaque association de maintenir le nombre de dossiers présentés."

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées. 
Une manifestation pour demander le retour de Mohammed Lakhel
En plus de demander une accélération de l'étude des demandes de régularisation, le Comité des sans-papiers 59 s'était réuni pour revendiquer le retour de Mohammed Lakhel en France.

Ce jardinier roubaisien, très intégré dans la vie associative de sa commune, avait été arrêté le 6 août 2019 puis placé en centre de rétention. Quelques jours plus tard, malgré la mobilisation de ses proches et de personnalités politiques, une promesse d'embauche de l'association du Jardin du Trichon, il avait été expulsé en Algérie

Selon la préfecture, après le rejet de sa demande d'asile en 2013 et 2014, il a fait l'objet de trois obligations de quitter le territoire français (OQTF) en 2015, 2017 et février 2019, celle-ci "confirmée au fond par le tribunal administratif de Lille".

Si sa promesse d'embauche est toujours d'actualité, elle est conditionnée à son retour en France. Seulement, Mohammed Lakhel est sous le coup d'une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans prise par le préfet, à compter du jour de son expulsion.

"Par voie de presse, le préfet s'était engagé à réexaminer le dossier", selon le Comité de sans-papiers 59 qui, depuis, n'a pas eu de nouvelles. 
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