"Lorsqu’on laisse un criminel agir et recommencer, nous sommes tous en danger", elle est avocate spécialiste des cold cases

Cold case, une expression entrée dans le langage courant et rendue célèbre par la fameuse série policière du même nom. Corinne Herrmannn, avocate, experte des dossiers criminels non résolus, sériels ou complexes, se confie sur son métier et sa motivation. Elle travaille entre autres sur le dossier des "disparus de l'Isère". Rencontre.

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Corinne Herrmann, ce nom vous dit sans doute quelque chose. Vous l’avez peut-être vue ou entendue ces derniers jours dans le cadre d’un cold case, les "disparus de l’Isère". Elle est l’avocate de la famille de Nathalie Boyer, cette jeune adolescente retrouvée égorgée en 1988. L’affaire est revenue sur le devant de la scène à la suite de l’arrestation d’un suspect, 36 ans après. 

Comment Corinne Herrmann est-elle devenue une spécialiste reconnue des cold cases, autrement dit des affaires classées ? Elle explique : "Je suis tombée dedans par hasard. Ou plutôt, ces dossiers-là sont venus vers moi par hasard."

"Dans le premier cabinet où j’ai commencé à travailler (NDLR : en tant que juriste pénaliste), je me suis retrouvée sur des dossiers de défense de tueurs en série. Émile Louis, Pierre Chanal ou bien Francis Heaulme ; j’ai étudié, travaillé sur ces histoires anciennes. Toutes les problématiques que l’on a encore aujourd’hui, je les ai et je les connais depuis le début". C’est ainsi qu’elle a découvert la solitude des familles de victimes et qu’elle a ensuite décidé de les accompagner dans leur parcours de vérité et de justice.

En 1996, elle se met au service des familles de jeunes femmes handicapées disparues dans l’Yonne. Cela aboutira à l’arrestation d’Émile Louis et la découverte de deux corps de victimes. Depuis, elle n’a jamais arrêté, que ce soit dans le cabinet dans lequel elle a exercé ensuite, ou maintenant dans son cabinet SIA Avocats fondé en 2022 avec son associée Sonia Kanoun.

 

On ne les soulage pas, on les projette dans une autre souffrance.

Corinne Herrmann, avocate

à propos des familles de victimes

Corinne Herrmann le dit haut et fort : "J’ai une vraie colère qu’on n’ait pas envie de résoudre de telles affaires. Quand je vois les photos des victimes qui sont parties, l’injustice pour ces familles, mais aussi pour notre société... Lorsqu’on laisse un criminel agir et recommencer, nous sommes tous en danger, nos familles sont toutes en danger, c’est quelque chose que je ne peux pas comprendre."

Son travail est harassant. Lors de notre entretien téléphonique, elle avoue : "Je suis épuisée, mais c’est notre devoir, rendre justice, la justice démocratique censée nous protéger". Difficile aussi pour les familles de victimes qui espèrent des réponses : "On ne les soulage pas, on les projette dans une autre souffrance. Ils peuvent parfois entendre des phrases telles que : « Toi, tu as de la chance, tu as récupéré le corps de ta fille ». Vous voyez, c'est une autre phase de souffrance, d’attente à leurs interrogations, auront-ils les réponses ?"

Elle poursuit : "Après l’arrestation d’un suspect, il est légitime que ces familles sachent pourquoi il a fait ça, mais là aussi ce sont encore de nouvelles souffrances, il y a également celles liées à l’attente, au procès. Peut-être éprouvent-ils une sorte de soulagement au sortir du procès, mais la souffrance d’avoir perdu un être cher, ils l’auront toute leur vie."

Travail et diplomatie

Quelles sont les compétences essentielles pour réussir dans ce domaine ? "Je n’ai pas de baguette magique, c’est du travail, du travail, du travail… Pour représenter les familles de victimes, il faut avoir beaucoup de diplomatie, de pédagogie, il faut que l’on soit ensemble, même si dans l’attente, je joue le rôle de bouclier pour les protéger."

Je sais qu’on peut y arriver. Même 20 ans après, ces personnalités perverses ont laissé des traces, des signatures.

Corinne Herrmann, avocate

Lorsque l’on regarde toutes ces affaires sensibles et dramatiques, on se demande comment elle gère le stress émotionnel qui en découle : "Je ne gère pas, c’est une façon de vivre, d’être… Mon support, c’est je sais qu’on peut le faire, qu’on peut y arriver. Même 20 ans après, ces personnalités perverses ont laissé des traces, des signatures... Je gère par mon optimisme, ma confiance dans ce que tout le monde peut faire."

1er mars 2022, création du pôle Cold Case

Corinne Herrmann fait partie de ceux qui ont souhaité la création d’un pôle dédié à ces affaires et le réclamait déjà en 2008. Ce pôle, qui existe enfin aujourd’hui, se trouve à Nanterre au sein du tribunal judiciaire : "Déjà en 2008, dans mon livre Un tueur peut en cacher un autre, je demandais la création d’un pôle enquête spécialisé. C’est le seul outil qui peut repérer les tueurs en série."

Ce pôle, unique en son genre en France, regroupe toutes les enquêtes, les témoignages, les scellés des affaires non élucidées. Mais il faut savoir que toutes les affaires non résolues ne sont pas des cold cases. Pour être traité par le pôle de Nanterre, il faut que l'acte commis constitue un crime : meurtre, assassinat, viol, actes de torture et de barbarie, mais aussi enlèvements et séquestrations et que les faits remontent à plus de 18 mois. Un pôle qui se révèle, deux ans après sa création, totalement indispensable dans le traitement de ces affaires.

Il n’y a pas beaucoup de dossiers qui résistent à une bonne enquête, même des années après.

Corinne Herrmann, avocate

 

Le temps qui passe, un allié ?

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, "le temps peut être un atout pour différentes raisons. En premier lieu, les familles n’ont cessé de penser, réfléchir, émettre des idées sur ce qui a pu arriver à leur proche. De plus, la personne qui a commis ce type de crime, ce type d’auteur, comme on ne l’a pas arrêté, il va recommencer. Ils recommencent souvent. Il n’y a pas beaucoup de dossiers qui résistent à une bonne enquête, même des années après. Au lieu d’aller directement sur ce que cette personne a fait, on doit regarder ce qu’elle a fait dans sa vie, c’est plus facile après de remonter, d’interroger sur des faits qui sont signés, qui lui ressemblent".

Les archives des médias régionaux ont beaucoup d’importance dans le travail de Corinne Herrmann et dans ses enquêtes : "Si vous saviez comme les archives des radios, télés, de la presse écrite avec les photos, ont un rôle essentiel dans mon travail ! Par exemple, quand je regarde un sujet local de l’époque des faits, réalisé par France 3 en région, je peux vous dire que non seulement les commentaires des journalistes étaient souvent justes, mais en plus, vous croisez le regard des familles à l’époque où le drame, la disparition, a eu lieu, et cela vous motive encore plus."

Elle me cite l’exemple de la famille de Nathalie Boyer, dossier sur lequel elle travaille actuellement, qu’elle a découvert dans le cadre d’un appel à témoins lancé sur la chaîne régionale à l’époque, où elle a croisé le regard des parents et de la sœur de Nathalie qui avait sept ans. Elle ne pourra jamais l'oublier.

durée de la vidéo : 00h13mn00s
Marie Sicaud reçoit Corinne Herrmann une avocate qui ne lâche rien ©France Télévisions

>>> Pour revoir l'émission avec Corinne Herrmann, cliquez sur l'image

Les étapes clés dans la réouverture d’un cold case 

"Il faut convaincre des non-professionnels du crime, qui sont professionnels de la Justice. Les magistrats, vous le savez, doivent instruire à charge, mais aussi à décharge. Toute ma carrière, j'ai transmis tous les éléments en ma possession, au magistrat, au juge. Ma responsabilité, c’est de transmettre."

"Prenons les témoins, lorsque par exemple quelqu’un se manifeste, m’appelle dans le cadre d’un dossier. Je dois bien sûr vérifier l’authenticité du témoignage, mais je suis intraitable là-dessus, les témoignages doivent être transmis au juge. Il n’y a que lui qui puisse entendre les témoins. Je laisse toujours la chance à la justice de pouvoir établir la vérité. La première difficulté est qu’il faut qu’on m’écoute, et parfois, je vais assez loin pour me faire entendre." (rires).

Le travail de Corinne Herrmann se fait également en parfaite collaboration avec les forces de l’ordre, les enquêteurs. Elle qui enseignait aussi la criminologie, il y a quelques années, a déclaré dans l’école de gendarmerie où elle intervenait : "Dans dix ans, vous travaillerez sur des dossiers anciens. Ils m’ont tous regardé avec de grands yeux, mais c’est le cas aujourd’hui !"

Elle aide aussi à former les experts, les techniciens de l’identification criminelle à se préparer à s’exprimer en cour d’assises : "Nous avons d’excellents experts en France. S’ils sont brillants sur le terrain, il est important de leur expliquer, de leur apprendre, ce que nous, nous voyons de notre côté en cour d’assises."

Parfois, quand on a la conviction qu’il est utile de rouvrir un dossier, mais que l’on essuie un refus, le seul moyen de le faire, c’est la médiatisation.

Corinne Herrmann, avocate

Corinne Herrmann reconnaît aussi que les avancées techniques et scientifiques sont un plus pour les cold cases, mais qu’aujourd’hui encore, il faut parfois se battre pour faire rouvrir un dossier : "Vous savez, parfois, quand on a la conviction qu’il est utile de rouvrir un dossier, mais que l’on essuie un refus, le seul moyen de le faire, c’est la médiatisation. Il y a un vrai engagement de la presse auprès des familles, elle peut aider à faire remonter des témoignages. Certes, les médias ont leurs travers, leurs défauts, mais je les remercie tous les jours. Grâce à eux, nous avons réussi à faire rouvrir des cold cases."

Rien n’est facile et tous les dossiers ne sont pas résolus. Parfois, des scellés ont été ouverts et sont donc inutilisables, ou ils ont été perdus, mais Corinne Herrmann veut y croire. Choisit-elle les dossiers qu’elle traite ? "Il y a des personnes qui viennent me voir, qui se disent : « Corinne peut le faire », d’autres qui n’osent pas ou qui ont peur des honoraires. Le seul choix vis-à-vis d’eux que je puisse faire est un choix de communication, de compréhension entre eux et moi. Il faut que je puisse communiquer avec elles. Bien sûr, il faut que je gagne ma vie, mais pour cela, je traite aussi d’autres affaires que celles-ci, mais il faut qu’elles entrent dans mon domaine de compétences, car je ne fais que ce que je sais faire."

Il y a une fiche contact sur le site internet de son cabinet, mais elle incite toutes les personnes qui veulent témoigner dans le cadre d’un cold case à écrire directement au pôle de Nanterre à l’adresse suivante : temoignages.coldcase.tj-nanterre@justice.fr

Quels sont les conseils que Corinne Herrmann donnerait à un jeune ou un futur avocat ? "Un avocat doit être novateur, créatif. Pour exercer sur ces affaires sensibles, il faut apprendre à se blinder. Faire des stages partout, dans tous les métiers relatifs aux affaires que l’on gère, les experts, les enquêteurs, les médecins légistes, les pompiers, les psychologues, psychiatres. Car je dis toujours, si on veut faire un métier, même s’il n’existe pas, on le fait".      

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