"Ma vie s’est arrêtée" : cinq étudiants étrangers demandent leur réinscription à l’Université de Lille

Suite à des refus d’inscription ou de redoublement, cinq étudiants étrangers inscrits à l’Université de Lille depuis plusieurs années se retrouvent sans affectation pour 2023-2024, et donc sans titre de séjour. Une situation critique dénoncée depuis plusieurs mois par le syndicat étudiant UNEF quand de son côté, l’Université de Lille indique avoir fait tout ce qui était en son pouvoir.

Tandis qu’en ce mois de décembre l’année 2023 s’achève bientôt, 5 étudiants étrangers auparavant inscrits à l’Université de Lille se voient toujours refuser leur réinscription ou redoublement. Menacés de perdre leur titre de séjour après des années à étudier dans la faculté lilloise, ils ont sollicité l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) pour leur venir en aide. “Chaque année, on recense des étudiants avec des problèmes d’inscription, que l’on essaie de régler au plus vite en négociant”, décrit Nikolaz Richard-Besche, secrétaire général du syndicat étudiant, qui comptabilisait une trentaine de dossiers en difficulté à la rentrée, dont 18 transmis à la présidence. 

Pour treize de ces personnes, des solutions ont pu être trouvées “au compte-goutte”, selon les mots de Nikolaz Richard-Besche. Mais le problème subsiste pour cinq étudiants. Il y a d’abord *Sanji, 30 ans, qui n’a pas pu tripler sa L3 : “Il ne me restait que 4 cours à valider pour avoir mon diplôme, c’était mon but ultime mais c’est resté lettre morte. J’ai fait toutes ces années à l’Université de Lille pour rien”, déplore cet étudiant sujet à des problèmes de santé et ayant transmis les documents le prouvant, qui ne mâche pas ses mots : “C’est un comportement inhumain.” À noter que depuis 2020, au-delà du deuxième redoublement, l’Université de Lille doit réunir une commission pour statuer. 

Des situations plus que critiques

Il y a également cette jeune maman qui, après trois ans de licence en sciences politiques, s’est vue refuser l’accès en M1. Ou encore cet étudiant en M1 informatique dont le deuxième redoublement a été rejeté, qui avait décidé de postuler à d’autres masters - entre dix et 16 -, sans succès, et qui se retrouve menacé d’expulsion du CROUS en plein hiver. 

Car pour ces étudiants, leur non-inscription revêt une dimension bien plus lourde de conséquences que la seule absence de poursuite d’études et d’obtention d’un diplôme.“Cela implique un refus de titre de séjour et un bouleversement de tout ce que j’avais”, témoigne *Sanji. Sans inscription à la faculté, pas de renouvellement de son titre de séjour, plus de possibilité de travailler comme il le faisait, plus de revenus. 

Aujourd’hui ma vie s’est arrêtée. Ma situation administrative est au point mort, c’est refus sur refus. Je ne peux rien faire. C’est catastrophique et j’ai du mal à comprendre.

Étudiant concerné

Des  sentiments d’incompréhension et de tristesse partagés par Ibrahim, étudiant tchadien en diplôme d'études en langue française (DELF), qui ne peut pas s’inscrire au niveau C1 comme il le voudrait depuis mars 2022. “J’ai perdu beaucoup de choses. Je suis toujours démoralisé. Je me vois sans avenir”, confie l’homme de 33 ans. Tous ces profils se retrouvent dans la même situation critique de précarité, ce qui inquiète le syndicat étudiant. “La faculté les connaît, ils étaient soit en licence, soit en master. Pourtant, elle les refuse quand même”, dénonce Line Marage, vice-présidente de l’UNEF Lille. 

Absence de compromis

Depuis la rentrée, plusieurs rassemblements et réunions ont eu lieu, notamment avec les étudiants non-inscrits, sans que la situation évolue. Nikolaz Richard-Besche, secrétaire général de l’UNEF et élu en Conseil de la Formation (CF) et Conseil de Vie Universitaire (CVU), regrette l’immobilisme de l’entité : “On nous dit que le dossier est traité, mais au bout de deux mois on se rend compte auprès des responsables de formation qu’ils n’ont pas été contactés par la présidence”, rapporte-t-il. 

De son côté, l’Université, contactée par téléphone, assure que les composantes correspondantes ou les formations approchantes ont été saisies, voire le service d’orientation pour se tourner vers d’autres parcours. “Nous sommes conscients des difficultés, mais lorsque l’on regarde le dossier pédagogique, on se dit que la faculté n’est pas forcément faite pour eux. Il leur faudrait probablement un contexte plus encadrant”, avance Esther Dehoux, vice-présidente en charge du premier cycle de l’Université. Elle fait part de parcours avec des triplements qui s'additionnent à des années auparavant déjà triplées ou quintuplées. 

Si on savait qu’un étudiant avait des difficultés ponctuelles pendant une année, on l’aurait autorisé. Mais les difficultés sont là depuis des années.

Esther Dehoux, vice-présidente en charge du premier cycle de l’Université

Pour l’Université, même le fait de n’être qu’à un an de l’obtention d’un diplôme ne constitue pas un argument assez fort. La vice-présidente en charge du premier cycle l’illustre par les étudiants acceptés tardivement l’année dernière : “J’ai suivi ces étudiants et la réussite est à peu près égale à zéro. Ils ne sont pas venus. Ce n’est ni tout blanc ni tout noir”, rapporte Esther Dehoux en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas de la seule explication. 

Situation sociale particulière

L’Université et l’UNEF Lille s’accordent toutes deux sur une sélectivité de plus en plus forte, notamment depuis l’entrée en vigueur en 2017 de la réforme imposant la sélection en M1, avance Nikolaz Richard-Besche. Pour lui, ces étudiants, salariés et aux “conditions de vie détériorées” sont toutefois plus exposés à la sélection et en pâtissent davantage. 

En face, Esther Dehoux s’appuie quant à elle sur un principe “d’équité et d’égalité” dans le traitement des étudiants, qu’elle tient à respecter. Elle donne l’exemple de l’inscription en M1 sur la nouvelle plateforme MonMaster, où il faut notamment demander plus de deux mentions dans cinq établissements. “Il y a des conditions et parfois ils n’y répondaient pas. C’est une situation ingérable. Il faudrait qu’on les accepte alors que d’autres candidats qui répondent aux conditions n’ont pas été pris ?”, s’enquiert-elle. Pour Line Marage, vice-présidente de l’UNEF Lille, la présidence ne souhaite pas “ouvrir la brèche” qui consiste à inscrire des personnes par le biais de la mobilisation.

On ne met pas de la sélection pour de la sélection. On fait tout ce que l’on peut, on vient de voter plus de places pour l’année prochaine.

Esther Dehoux

Un autre point, et pas des moindres, concerne les filières dites “en tension”, comme la psychologie, le droit et les sciences politiques. “C’est un problème que l’on a”, reconnaît la vice-présidente, qui fait état d’un “décalage” entre le nombre de demandes et les places effectives, avec des capacités non proportionnées. D’après des chiffres de l’Université de Lille connus depuis ce jeudi 14 décembre, 1.836 places en Master 1 étaient pourtant vacantes au 12 décembre. “De la place, il y en a dans certaines formations, réagit Esther Dehoux, “mais ce n’est pas là où il y a de la demande”.  

Accumulation de facteurs défavorables

L’Université de Lille fait état d’un manque de moyens important. D’abord financier, avec des subventions pas à la hauteur des 80.000 étudiants. Ensuite, dans les filières en tension, en termes d’enseignants et de salles. “Nous n’avons pas les moyens de recruter et on les mettrait où ?”, souligne Esther Dehoux. 

Un “ensemble de choses” et des arguments que connaît l’UNEF, consciente de ces difficultés, mais qui estime toutefois que la faculté “se cache derrière l’application de réformes nationales” dans le cas de situations précises telles que celles-là. Pour le syndicat, c’est à se demander s’il n’y aurait pas une politique globale à l’encontre des étudiants étrangers, ce que nie en bloc l’Université. 

À ce stade, la mobilisation continue donc pour ces étudiants étrangers, avec l’UNEF prête à rogner sur un de ses principes : le fait de réussir à les inscrire dans les parcours universitaires qu’ils souhaitent. “On est dans l’urgence d’une inscription administrative. Même une inscription dans une licence en L1 conviendrait, bien que les personnes, sans nationalité française, ne puissent pas passer par Parcoursup”, explique Nikolaz Richard-Besche. En réponse à cette possibilité, Esther Dehoux indique : “Nous sommes sensibles à la question des titres de séjour, mais si on les inscrit n’importe où, pour la préfecture, ça ne va pas régler la situation.”

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