Waleed Aboudipaa, 38 ans, a fondé la première école francophone de la bande de Gaza en 2016. Il y a quatre ans, il est venu reprendre ses études à l'Université de Lille. Mais ses échecs aux examens lui valent aujourd'hui une obligation de quitter le territoire. Ce père de famille dénonce une "injustice" et craint pour sa vie.
C'est l'une des rares voix francophones de la bande de Gaza. Waleed Aboudipaa a étudié puis enseigné le français à l'Université Al-Azhar pendant dix ans, avant de fonder la première école francophone de l'enclave palestinienne, à Rafah, en 2016, avec son association Tabassam Gaza. "Là-bas, on m'appelle le Français", raconte celui qui maîtrise parfaitement la langue de Molière.
Il y a quatre ans, ce père de trois enfants (actuellement réfugiés en Turquie avec leur mère) décide de s'installer dans le Nord pour y terminer ses études. Grâce à une bourse de l'ambassade française à Jérusalem, il s'inscrit dans un master de linguistique fondamentale à l'Université de Lille. "Pour la première fois de ma vie, je goûtais à la liberté, dit-il. C'était magnifique et bizarre à la fois."
Un manque de "sérieux" dans ses études selon la préfecture
Sauf que, le 15 juin dernier, Waleed déchante. Il reçoit par courrier une obligation de quitter le territoire français (OQTF), delivrée par la préfecture du Nord. La raison ? D'après le document que nous avons pu consulter, l'intéressé n'est "pas à même de justifier du réel et du sérieux des études poursuivies" en raison des "trois échecs consécutifs" lors de ses examens universitaires.
Le préfet ajoute : "il n'a été autorisé à séjourner en France que pour y suivre des études (...) son visa ne l'autorisait pas à s'installer durablement." Sa demande de renouvellement de titre de séjour a ainsi été refusée en juillet. Waleed se trouve actuellement en situation irrégulière sur le sol français.
Père et frère morts à Gaza
Ces déboires aux examens, l'universitaire veut s'en expliquer. Il avoue que sa première année a été compliquée en raison de l'exil. "Je sortais d'une vie où je voyais des morts presque tous les jours, indique celui qui, en 2014, a perdu son père, son frère et un neveu sous les bombes israëliennes. C'était un choc socio-culturel, j'avais besoin de temps pour comprendre et m'adapter au rythme."
En ce qui concerne les deux années suivantes pour lesquelles il est déclaré défaillant faute de s'être présenté à toutes les épreuves, il évoque des couacs "administratifs". "Pour la deuxième année, on m'avait demandé de repasser les matières que j'avais déjà validé l'année d'avant, avance-t-il. Alors je ne l'ai pas fait, je pensais que l'administration allait se rendre compte de la chose." Idem pour l'année 2022-2023.
Pour autant, les résultats qu'il a obtenu sur les épreuves passées cette dernière année ne révèlent pas d'un manque d'assiduité aux cours. Exemples avec ces notes que nous avons consulté sur son bulletin : 15/20 en "linguistique comparée", 16/20 en "aspects culturels de la tradition ou encore 12/20 en "langue vivante".
Renvoyé sous les bombes ?
Cette OQTF est une "injustice" pour Waleed. "Je suis choqué, confie-t-il. Comment faire quelque chose comme ça à quelqu’un qui croit aux principes de la République française ?" Il met cette décision en perspective avec l'inauguration, la semaine dernière, de la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts, par Emmanuel Macron. "Moi j'ai tout fait pour diffuser la langue française en Palestine..."
"On ne peut pas expulser quelqu'un dans un pays où des civils meurent tous les jours. C'est comme si on me condamnait à mort."
Waleed Aboudipaa, exilé Palestinien à Lille
Ultime crainte avec cette OQTF, elle pourrait conduire ce Gazoui à retourner sur un territoire en pleine guerre. "On ne peut pas expulser quelqu'un dans un pays où des civils meurent tous les jours, s'indigne-t-il. Me renvoyer là-bas, c'est comme si on me condamnait à mort." Pour rappel, depuis l'attaque du 7 octobre et la réplique de l'armée israëlienne, plus de 10.000 personnes ont été tuées à Gaza selon les autorités du Hamas.
Contactée, la préfecture, qui a donné un délai de 30 jours à M.Aboudipaa pour quitter le territoire, rappelle que la conjointe et les trois enfants de ce dernier résident en Turquie, "et non en Palestine". "Mais on ne peut aller nulle part avec un passeport Palestinien, balaye Waleed. Puis, ce que je veux, c'est vivre avec ma famille en France et profiter de la vie sans terrorisme, sans bombardement."
Pétition et soutiens
A l'aide d'une avocate, il compte faire annuler cette mesure puis déposer une demande d'asile en parallèle, qui peut être "traitée en procédure accélérée" précise la préfecture. Pour consolider son dossier, il a rassemblé depuis plusieurs jours "une cinquantaine" d'attestations de la part de ses proches, ex-employeurs ou de son club de football pour justifier d'une "bonne intégration" dans la société.
"Waleed est un bénévole très investi depuis son arrivée dans notre club en 2019, peut-on lire dans la lettre signée par Ait Hssaine Brahim, président du club de l'US Lille-moulins Carrel. Il est un élément fort et indispensable à l'équipe." Entraîneur chez les jeunes, "il fait preuve de route la pédagogie pour leur inculquer le sens du collectif avec bienveillance et optimisme". Une pétition a également été mise en ligne sur le site leslignesbougent.org, récoltant à ce jour près de 5000 signatures.