Après Simone Veil, Martha Desrumaux sera-t-elle la prochaine femme à entrer au Panthéon ? Un collectif en caresse l'espoir, ravivant la mémoire de cette figure du mouvement ouvrier, féministe et résistante, des usines textiles du Nord au camp de concentration de Ravensbrück.
Le nom de Desrumaux est dans l'air du temps... Il sera donné en 2019 à un jardin public du XIIe arrondissement de Paris, et prochainement dans le Nord, sa terre natale, à un collège et à plusieurs rues. La ville de Lille, dont elle fut adjointe au maire entre 1945 et 1947, lui a attribué dès 2006 celui d'une allée du quartier populaire de Wazemmes.
Et voici qu'une campagne visant à "faire entrer le monde ouvrier au Panthéon" a été lancée depuis quelques mois. A la manoeuvre, une association lilloise "Les ami.e.s de Martha Desrumaux", animée par l'éditrice Laurence Dubois (Le Geai Bleu) et l'historien Pierre Outteryck, auteur d'un ouvrage de référence sur elle.
Une démarche officielle auprès du président de la République sera entreprise à l'automne, assurent-ils, "portée par une personnalité reconnue". Coïncidence : si Martha Desrumaux devait entrer au Panthéon, elle côtoierait dans la nécropole deux anciennes de Ravensbrück, Germaine Tillon et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Dans cet enfer, elle partageait d'ailleurs le même châlit que cette dernière... Elle y avait aussi mis en place la résistance interne.
Lili Leignel, 86 ans, déportée de Roubaix avec sa mère et ses deux frères en 1943, se souvient encore aujourd'hui de "Martha". "Elle était notre lumière, on tenait le coup grâce à elle. On crevait de faim et elle se démenait pour procurer aux enfants des biscuits, obtenus auprès des déportées polonaises ayant reçu des colis".
"Une sacrée gouaille !"
Desrumaux avait été arrêtée par la Gestapo en août 1941, après la grande grève de mai-juin 1941 dans le bassin minier, qu'elle avait co-organisée dans la clandestinité. Suivie par 100.000 mineurs mais durement réprimée par les nazis, "c'était la plus grande grève de l'Europe occupée", rappelle Pierre Outteryck. "C'était son fait d'armes, elle a su mobiliser les ouvriers en leur disant : "la misère et la peur règnent, il est temps que nous apprenions à relever la tête"."Bien d'autres combats ont jalonné le parcours de cette femme née en 1897 à Comines, à la frontière franco-belge, 6e enfant d'une famille de sept et qui, à la mort de son père alors qu'elle avait 9 ans, est envoyée comme domestique d'une maison bourgeoise. Elle s'enfuira rapidement, proclamant sa volonté de devenir ouvrière. A 12 ans, la voici engagée dans une usine textile de sa ville, à 13 ans elle s'encarte à la CGTU, à 15 aux Jeunesses socialistes.
La Grande Guerre la jette sur les routes de l'exode, direction Lyon, où elle organise sa première grève à 20 ans dans une usine textile. D'autres suivront, comme celle de Comines, où elle obtiendra que les ouvrières d'une fabrique de lin soient équipées de "galoches et de tablier en cuir, pour ne pas patauger dans l'eau et se préserver des projections d'huile bouillante", explique Pierre Outteryck.
Première femme élue au comité central du PCF, c'est elle qui viendra produire aux représentants du patronat les misérables fiches de paie des ouvrières du textile, lors des négociations des accords de Matignon en juin 1936. Elle s'engage encore dans des marches de la faim de chômeurs ou des actions de solidarité en faveur des enfants de la Guerre d'Espagne ou des mineurs lors de la grande grève de 1948.
Avec ça, "une sacrée gouaille !", relate Pierre Outteryck, qui l'a bien connue. Sa haute taille (1,75 m), son patois du Nord, sa manière "concrète" de s'adresser aux foules rendait le personnage "charismatique".
Morte en 1982, elle demeure pourtant "une oubliée de l'histoire, car c'était une ouvrière provinciale, qui n'a pas laissé d'écrit, pas une intellectuelle au sens littéraire du terme". Mais comme le dit Laurence Dubois, "elle avait pour mot d'ordre l'émancipation, et toute son action la rend aujourd'hui très moderne".
AFP le 03/08/2018 05:00:09