À 21 ans, la championne de France junior sur route, originaire de Lambres-lez-Douai, va participer à son premier Paris-Roubaix femmes, sous le maillot de la Cofidis. Le long du parcours, elle pourra compter sur le soutien indéfectible de sa famille. Portrait.
C’est la mort dans l’âme qu’elle avait renoncé à la première édition du Paris-Roubaix, en octobre dernier. Victoire Berteau sortait tout juste d’une opération au poignet, après sa fracture du scaphoïde. “Une déception de ne pas être de la partie mais on s’y voit l’année prochaine”, annonçait la coureuse dans un post Instagram. Sept mois plus tard, la voilà aux portes de l’Enfer du Nord, prête à en découdre avec les pavés.
"Aujourd'hui, mon scaphoïde va très bien, l'os s'est consolidé, tous les signaux sont au vert." À quatre jours de l'épreuve, le moral de la jeune Nordiste est au beau fixe. Ce mercredi, quand on l'a joint par téléphone, elle rentrait de la Flèche Brabançonne avec ses coéquipières de l'équipe Cofidis. Ultime répétition avant la reine des classiques, qui se tiendra ce samedi 16 avril, pour sa deuxième édition.
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Samedi, la native de Lambres-lez-Douai fera figure de locale de l'étape. Elle sera la seule coureuse des Hauts-de-France à s'aligner sur ce Paris-Roubaix féminin (124 km entre Denain et Roubaix, avec 17 secteurs). "Les pavés, je les connais depuis toujours, lance la Nordiste, comme un atout en poche. Il y a certaines filles qui seront sûrement surprises par la dureté du parcours."
Très tôt, les pavés de Troisvilles
Victoire Berteau a six ans lorsqu'elle commence le vélo, après un court passage par la danse. "Ma mère m’a dit d’arrêter, j’étais un peu trop brusque, se rappelle-t-elle, avec sourire. Comme mon grand frère faisait du vélo dans un club près de chez moi, j’ai décidé de partir avec lui aux entraînements. Ca m’a tout de suite plu, j’ai commencé les compétitions, j’ai gagné et je ne voulais plus m’arrêter.”
Accroc au deux-roues, la jeune fille part rouler sur les terrains cabossés de sa région. "Mes parents habitaient pas loin du secteur Troisvilles à Inchy, raconte-t-elle. Alors quand on voulait se faire plaisir, on partait rouler là-bas avec une copine." Fendre l'air sur les routes du bassin minier, batailler avec les affres des pavés, rentrer éreintée, mais se sentir vivante. Son bonheur.
Fille ou garçon, elle s'en foutait, elle voulait battre tout le monde.
Caroline Berteau, mère de Victoire
Elle prend sa première licence au sein du petit club de Boué-Etreux, avant de rejoindre le VC Laon, dans l'Aisne, à l'âge de 12 ans. C'est là-bas qu'elle y fera ses armes, au cours des sorties exigeantes avec son entraîneur Alain Midelet. Dans sa catégorie minime, les compétitions sont encore mixtes, ce qui n'est pas pour déplaire à la jeune cycliste. "Je me souviens de courses où les gens lui disaient 'c'est bon t’es première des filles, tu peux ralentir', et elle leur répondait : 'je m’en fou, je veux battre les garçons !', raconte amusée Caroline Berteau. "Fille ou garçon, elle s’en foutait."
Championnat de France junior, le déclic
Très tôt, l'idée germe dans la tête de l'adolescente : devenir cycliste professionnelle. "En tant que parents, quand votre fille vous dit qu’elle veut se lancer dans le sport, c’est pas évident, raconte Caroline Berteau. On pense à l'avenir, et on se dit qu’a la moindre blessure, la carrière peut-être finie." L'inquiétude de la mère sera vite balayée par l'ambition de sa fille.
En 2016, à 16 ans, Victoire Berteau devient championne de France cadette sur route. Dans la foulée, elle intègre le pôle France à Bourges. "A ce moment-là, je me suis dit 'en fait tu peux vivre de ton sport', se souvient la jeune coureuse. J’ai commencé à prendre confiance en moi et je suis dit que c'est maintenant ou jamais de montrer que j'avais le niveau." Sa carrière est lancée.
Les JO de Tokyo avec les bleues
Deux ans plus tard, elle remporte le championnat du monde de course à l'américaine (la Madison) sous les couleurs de l'Equipe de France. Une course sur piste gagnée avec sa compatriote Marie Le Net. La même année, elle remporte sur route Gand-Wevelgem juniors, une des manches de la Coupe des Nations juniors.
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À 19 ans, elle passe professionnelle chez l'équipe belge Doltcini-Van Eyck Sport et participe à des courses de l'UCI World Tour féminin. En 2020, elle est sélectionnée pour ses premiers mondiaux sur piste élites, à Berlin. Elle termine neuvième du scratch et douzième de la course aux points. Puis, en 2021, elle participe aux Jeux Olympiques de Tokyo, où elle finit 7ème de la poursuite par équipes.
Aujourd'hui, la Nordiste vie de son sport grâce à son engagement au sein de l'armée. La cycliste, toujours licenciée au VC Laon, a incorporé le bataillon de Joinville. Une fierté pour Victoire Berteau qui, dès le plus jeune âge, souhaitait devenir militaire.
"Ma famille ? Je leur dois beaucoup"
"C'est surtout grâce à mes parents que j'en suis arrivée là, assure Victoire Berteau. Ils font beaucoup de sacrifices, je leur dois beaucoup." Ces derniers sont agriculteurs, un métier chronophage qui se concilie difficilement avec le calendrier international de la jeune coureuse. Pour autant, la maman se déplace presque toujours sur les courses quand le papa reste pour s'occuper de la ferme.
Comme lors de ce championnat du monde en 2018, à Aigles, en Suisse. "Ma mère avait fait toute la route depuis le Nord pour venir me voir avec ma sœur", raconte Victoire Berteau. "On était venu en camping-car, on était resté toute la semaine sur le parking", confirme l'intéressée. Si ce jour-là c'était pour applaudir une victoire, la famille est parfois là pour soigner les plaies.
Parfois, notamment après toutes mes blessures en junior, je n'aurais pas su remonter la tête sans le soutien de ma famille.
Victoire Berteau, coureuse chez Cofidis
Dans une carrière, les hauts vont rarement sans les bas. Malgré son jeune âge, Victoire Berteau en sait quelques choses. Les blessures ont jalonné ses débuts dans le vélo. Deux fractures de la clavicules, deux fractures du scaphoïde, et des rendez-vous manqués à cause de cela. Comme en première année de junior, lorsqu'elle se casse la clavicule juste avant les mondiaux sur piste en Italie. "Ca a été dur pour elle de voir une remplaçante courir à sa place, se souvient sa mère. Mais ça l’a endurcit." "Parfois je n'aurais pas su remonter la tête sans le soutien de ma famille", souligne la jeune fille.
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Objectif top 20 au Paris-Roubaix
Ces coups durs ont continué de forger un caractère déjà bien trempé. "Avec Victoire, c’est noir ou blanc, il n'y a pas de gris, illustre sa mère. Je me rappelle de son premier jours d'école, quand je suis venu la chercher et que j'ai demandé à sa maîtresse comment ça s'était passé, elle a répondu : 'très bien, elle sait déjà bien dire non votre petite fille'".
Forte de cette opiniâtreté, Victoire Berteau tentera de décrocher une place dans le top 20 de la plus célèbre des classiques. "Paris-Roubaix, c’est la seule course avec ce sentiment de sauve-qui-peut, où tu ne peux rien faire, où tout le monde subit, note-t-elle. Et ça, j'adore."
Au bord de la route, elle pourra compter sur le soutien indéfectible de sa mère et de sa sœur. Et de son père ? "Il sera sûrement à la ferme, souffle la coureuse. Mais je sais qu'il me soutiendra de loin."