PORTRAIT. Grégory Willems, chef d’entreprise devenu enseignant à 41 ans : la vocation malgré tout

Il était chef d’entreprise, il est désormais professeur d'éco-gestion en BTS : le nordiste Grégory Willems, âgé de 41 ans, fait aujourd’hui sa première rentrée en tant qu’enseignant titulaire du diplôme de l’Éducation nationale. Une reconversion à contre-sens, alors que le métier d'enseignant peine à faire naître de nouvelles vocations.

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"J’ai hâte de démarrer, j’ai des projets, des idées et je suis hyper heureux dans mon nouveau métier", s’exclame Grégory Willems, 41 ans, quand on lui demande comment il appréhende la rentrée scolaire. Dans quelques jours, cet ancien directeur commercial originaire du Nord entamera sa première année en tant qu’enseignant à temps plein, consécration d’une réorientation débutée en fin d’année 2019. 

D’abord vendeur à la FNAC, puis chef de rayon, directeur d’un magasin de téléphonie mobile, chef d’entreprise d’une boutique de bijoux en ligne et enfin, ces dix dernières années, directeur commercial dans une PME, Grégory Willems aura gravi de nombreux échelons avant d’abandonner ces statuts et le salaire qui va avec. "Dans les dernières années, j’ai vu évoluer les mentalités et ça m’a posé un problème en termes de valeurs. J’ai pris conscience qu’il fallait que l’humain soit au centre de mon projet professionnel", raconte-t-il. 

Une empathie débordante

Voilà pourquoi il s'est tourné, plein d’humilité, vers le métier qu’il voulait déjà exercer étant enfant : professeur. "Après toutes ces années, j’avais envie de transmettre aux autres générations ce que j’avais appris. Donc je me suis dit : ‘tu connais le monde du commerce, pourquoi pas devenir prof d’économie ?'".

Lui qui était détenteur d’un bac pro commerce et qui n’avait "jamais mis les pieds dans une fac ou un établissement post-bac" est donc retourné, à 39 ans, sur les bancs de l’école. "Une telle formation est primordiale pour exercer ce métier, sinon ce sont les étudiants qui en pâtissent. Je le referai dix fois", avance-t-il en déplorant la hausse des contractuels, qui peuvent être recrutés à partir d’un bac+2. 

Une telle formation est primordiale pour exercer ce métier, sinon ce sont les étudiants qui en pâtissent. Je le referai dix fois

Grégory Willems

Grâce au système de validation des acquis professionnels, Grégory Willems a d’abord pu obtenir la licence nécessaire pour intégrer un master Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF). Après avoir terminé 11ème sur 1 500 au concours national du ministère et suite à son année d’enseignant stagiaire, il est désormais titulaire d’un bac+5.

Un parcours original, surtout au moment où de nombreux enseignants décident de quitter l’Éducation nationale parce qu’ils ne supportent plus leurs conditions de travail. "Beaucoup de mes collègues disent que le métier a changé, mais je n’ai pas ce recul nécessaire pour m’en rendre compte", nuance Grégory Willems. 

Muté à plus de deux heures de son lieu de vie

Au lycée des Flandres à Hazebrouck, où il a enseigné pendant un an en tant que professeur stagiaire, cet habitant de La Chapelle-d’Armentières reconnaît l’efficacité de l’équipe administrative, le proviseur et l’inspecteur avec qui il a travaillé. Toutefois, le néo-professeur s’est fait un tout autre avis du ministère et du rectorat lorsqu’il a été affecté à son premier poste via le système de mobilité de l’Éducation nationale. 

"Je suis installé avec ma femme qui est infirmière, ma vie est construite", commence à raconter ce père de trois enfants : "J’ai fini 11ème à l’échelle nationale au concours et j’ai été titularisée dans l’Académie d’Amiens, à Abbeville, c’est-à-dire à plus de deux heures de chez moi, ce qui signifiait prendre un appartement la semaine. Quand j’ai eu la nouvelle le 9 mars, je suis tombé du grenier à la cave", dit-il, encore désarçonné.  

Après tous les efforts qu’impliquent la reprise d’études, j’ai pensé à démissionner parce que c’était inenvisageable d’aller travailler si loin. On vous fait comprendre qu’on se fiche de votre situation familiale.

Grégory Willems

À deux reprises, Grégory Willems a expliqué sa situation dans des recours - aussitôt rejetés. "Vous avez compris la passion qui m’anime", nous dit Grégory Willems, encore désabusé par cette expérience : "Après tous les efforts qu’impliquent la reprise d’études, j’ai pensé à démissionner parce que c’était inenvisageable d’aller travailler si loin. On vous fait comprendre qu’on se fiche de votre situation familiale". 

Des décisions "absurdes"

Après un stress de plusieurs mois, il apprend début juillet que sa troisième demande a été acceptée suite à une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Victime d’un accident lui causant un handicap momentané, il a ainsi pu rester dans l’Académie de Lille.

L’ancien chef d’entreprise retrouvera donc à la rentrée le lycée des Flandres d'Hazebrouck pour enseigner l’animation de réseau, la relation client à distance et la négociation en vente à des classes de BTS Négociation et digitalisation de la relation client (NDRC). Et il est ravi, comme le montre cet extrait de sujet télévisé, réalisé quelques jours après notre échange : 

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Quelques jours après notre échange, Grégory Willems a fait l'objet d'un reportage de l'équipe télévisé de France 3 Nord-Pas-de-Calais. Il y partage son enthousiasme. ©FTV / Cécilia Bres

Le voilà donc rassuré, mais toujours amer face à l’incohérence des choix ne valorisant  pas son expérience dans le monde de l’entreprise : "Le ministère m’a envoyé à deux heures pour enseigner des matières classiques en STMG, au lycée, alors que j’ai un profil clairement identifié pour des BTS en commerce. C’est complètement absurde", s’insurge-t-il en pointant également du doigt les "aberrations" de la mobilité : alors que des postes étaient vacants dans le lycée où il avait déjà enseigné et que lui, le proviseur et l’inspecteur souhaitaient qu’il reste. "Mais non, ce n’était pas possible. Vous avez une volonté de tous et au final, qui va souffrir ? Les professeurs et les élèves", assène-t-il.

On a l’impression qu’on est juste un numéro, un nouveau pion. L’Éducation nationale vous broie.

Grégory Willems

À cause de ces délais, Grégory Willems ne sera pas titulaire du poste au lycée des Flandres et devra postuler en cours d'année pour l'être. De quoi gâcher son enthousiasme : "Normalement quand vous rentrez dans une nouvelle entreprise, vous êtes accueilli à bras ouverts. Là on a l’impression que c’est l’inverse, qu’on est juste un numéro, un nouveau pion. L’Éducation nationale vous broie". Les mots sont durs pour parler de ce système qu’il juge "déjà caduque", comme bon nombre d’enseignants qui choisissent de démissionner.

En cause, comme souvent évoqué au sein d’une salle des professeurs à l’ambiance morose : la solitude, les salaires "déconnectés" de la réalité du marché - 1750 euros net par mois pour Grégory Willems, le manque de moyens, les exigences toujours plus importantes… 

Une profession déconseillée

"J’adore mon métier", tempère néanmoins le néo-titulaire, qui se projette volontiers : "Je prends tellement de plaisir à l’exercer que je me vois carrément faire mes vingt ans de carrière restante", indique-t-il. Mais quelque peu désillusionné par les spécificités, notamment de mobilité, il ajoute aussitôt qu’il n’irait pas jusqu’à le recommander : "C’est difficile de pousser un proche à devenir prof", avoue-t-il.

Un sentiment partagé par de nombreux professeurs, qui risque d’éteindre encore un peu plus l’envie d’enseigner des jeunes générations, à l’heure où le métier souffre déjà d’une baisse d’attractivité et d’une pénurie croissante, comme le rappelait Pap N’Diaye, ministre de l’Éducation, dans sa conférence de rentrée du 26 août.

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