Au royaume du cinéma belge, elle est indéniablement une tête couronnée ! Jacqueline Pierreux, première productrice indépendante de cinéma chez vos voisins, raconte ses mémoires dans "La dame qui osa le cinéma belge". À 90 ans, elle a traversé le siècle et l'écran.
Jacqueline Pierreux arrive à petits pas, vous accueille avec un grand sourire, et affiche crânement son âge en bandoulière : "J’ai nonante !". 90 ans et combien d’heures passées dans les salles obscures ? Nous la rencontrons au FIFF, le Festival International du Film Francophone de Namur, où quelques jours par an, cette bruxelloise retrouve sa famille de cœur, celle du 7e art.
Née dans une famille ouvrière à Braine-le-Comte à l’été 1933 "l’année où Hitler s’est imposé en Allemagne", sa vie croise douloureusement la grande histoire, elle est encore enfant lorsque son père meurt à Buchenwald comme prisonnier politique. L’instinct de survie est insufflé avec force par la mère de Jacqueline, ce sera direction Londres pour la famille, un îlot libre face à la guerre.
L’internat, et une petite fille qui se souvient encore de ses longues traversées en bus et en solitaire dans la capitale britannique : "j’étais déjà débrouillarde !"
La vie est parfois tout sauf une ligne droite
Nous lui demandons quel est le premier film dont elle se souvient. Elle plonge dans sa mémoire et sourit. "J’étais chez les Ursulines, j’avais cinq ans, les religieuses avaient choisi 'Le chant de Bernadette' avec Jennifer Jones. Elles adoraient ! Plus tard, il y aura aussi les Capra, et surtout Monsieur Smith au Sénat'".
L’exode, l’exil, le grand écran et les films qui impriment la rétine dès l’enfance. Comme par effraction le cinéma entre dans la vie de Jacqueline pour n’en plus jamais sortir.
Un premier travail comme secrétaire dans un magasin qui importait du matériel scolaire, puis la curiosité dévorante, dès l’ouverture de l’Insas la célèbre école de cinéma en 1962, à Bruxelles.
Tempête sous un crâne !
Virage à 180 degrés, la jeune secrétaire se lance dans l’aventure pour entrer dans le cursus réalisation production, ce travail de l’ombre qu’elle chérira. "On lit, on prépare, on tourne, on monte et ça sort !" Les années 60, un mariage derrière elle, la Cinémathèque pour deuxième maison, où l’on dévore trois films par jours, tout reste à construire et la vie s’accélère. Elle confie "le cinéma à tout envahi, et il peut emplir toute une vie. Il est peut-être plus beau".
Les rencontres, André Delvaux, Benoît Lamy, des nuits blanches à monter les financements des films, les premières productions "Home sweet home", Le maître de musique nommé aux Oscars, La promesse des frères Dardenne, Kirikou et la sorcière, conseillère sur Toto le Héros … La liste est longue.
Sa plus grande fierté ? Elle réfléchit. Le maître de musique, ce n’était pas tout à fait ma tasse de thé, mais je voulais que le public aime l’Opéra, les Oscars sont un accident !
Les apparitions de Jacqueline Pierreux dans ses salles de cinéma se font plus rares. Les films, désormais, elle les découvre ou redécouvre toujours avec gourmandise, mais plutôt en solitaire dans le salon de son appartement. Cette pionnière en son pays suit avec attention le phénomène #Metoo : "on évolue, c’est formidable, mais pas encore gagné !".