Résistance : des lycéens retracent la vie de Simone Caudmont, sauveuse de deux fillettes juives pendant la Seconde Guerre mondiale à Lille

Simone Caudmont fait partie de ces femmes que l'Histoire a oubliées. Cette censeure du lycée Fénelon (Lille) a pourtant aidé deux jeunes filles juives à se cacher dans l'établissement pendant la Shoah, sous le nez de la direction de l'école, proche du régime de Vichy. Pour commémorer cette Juste, deux générations de lycéens ont retracé sa vie, archive après archive.

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Dans le CDI du lycée Fénelon (Lille), des décennies d'archives et de photos noircies par l'âge sont étalées sur trois tables en bois. Autour, quatre jeunes filles - Sara, Clara, Lina et Léa - papotent et s'extasient en posant les yeux sur les clichés, qu'elles n'avaient pas encore vus pour certains. Si Léa et Lina sont toutes deux en terminale, leurs autres camarades ont quitté les bancs du lycée depuis un an. C'est donc un poil nostalgiques que Sara et Clara retombent sur leurs travaux d'archives, que la génération suivante a continué de constituer.

Il a deux ans, une quinzaine d'élèves du lycée Fénelon se sont inscrits au concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD), en proposant une création audiovisuelle autour d'un personnage devenu emblématique de cette école lilloise : Simone Caudmont, censeure oubliée du lycée et de l'histoire, qui s'est pourtant illustrée durant la Seconde Guerre mondiale en sauvant deux enfants juives de la déportation.

Un acte de courage et d'humanité qui, lui a valu le titre de Juste parmi les nations, en 1997 vingt ans après sa mort, et qui raisonne encore aujourd'hui alors que la France célèbre la Résistance.

Une plaque invisible

Une reconnaissance plus qu'honorifique, qui n'a malheureusement pas contribué à sortir la vie de Simone Caudmont de l'amnésie générale. Il faut attendre 2022 et l'arrivée du groupe de Sara et Clara, pour que cette censeure de profession émerge dans quelques consciences. Pourtant, Sara explique que le nom de cette femme - réputée pour sa fermeté - était d'ores et déjà affiché sur les murs de l'établissement scolaire depuis des années.

"Un jour on a entendu dire qu'une plaque existait dans le lycée, posée en son honneur il y a déjà longtemps. On s'est demandé où elle était, alors que ça faisait plus de deux ans qu'on passait devant littéralement tous les jours, sans la voir", raconte l'étudiante. En s'intéressant un peu plus à cette plaque commémorative - un carré de plastique transparent exposé dans la cour - les lycéens ont donc découvert Simone... Et ne l'ont plus quittée. Si leur objectif initial était simplement de lui offrir une nouvelle plaque plus visible, l'histoire de la Juste a fini par les happer, jusqu'à devenir le sujet principal de leur production, proposée au CNRD.

On s'est demandé où elle était, alors que ça faisait plus de deux ans qu'on passait devant littéralement tous les jours, sans la voir.

Sara, étudiante

"Et puis l'année dernière le thème du concours c'était justement résister à l'école. On avait une parfaite étude de cas à réaliser à travers elle, donc on a saisi l'occasion", relate Laurianne Richard, professeure d’histoire qui a copiloté les projets menés autour de Simone Caudmont.

L'entretien avec Renée Grudki-Strauss

Pour réaliser leur documentaire, les quinze élèves du groupe de Sara et Clara ont donc commencé leur enquête historique, retraçant le passé de leur héroïne photo par photo. "On est rentré dans les archives départementales, on a découvert énormément de choses, mais pas de photo de Simone. Par contre on est tombés sur les coordonnées d'une des filles qu'elle avait sauvées, Renée Strauss-Grudki, à qui on a pu rendre visite à Paris", raconte Clara, autant en ébullition que le jour de la découverte.

Les anciens élèves de terminale ont donc pu recueillir le vécu de cette témoin de l'antisémitisme sous le régime de Vichy (1940-1944) et de la vie de Simone Caudmont. Car la censeure ne possède pas de descendance : célibataire, sans enfants, plutôt solitaire... Difficile de collecter les souvenirs de personnes l'ayant connue. Le témoignage de Renée Strauss-Grudki, accordé quelques mois avant son décès, est donc d'autant plus précieux pour la quête de savoir des élèves de Fénelon.

"On a eu du mal à trouver des témoignages de personnes qui la connaissaient vraiment bien. On pensait que les deux petites filles qu'elle a sauvées l'ont bien connue, mais au final, pas tant que ça", révèle Sara, encore un peu déçue aujourd'hui, mais qui tempère : "Quand on a interviewé Renée Grudki, elle devait avoir 91 ans ou 92 ans. On était époustouflés par les détails dont elle se souvenait... Il y a des choses qui marquent et qui restent à vie." Comme le caractère de Simone...

Une femme engagée contre le régime de Vichy

Embauchée comme censeure de l'internat pour fille en 1930, Simone Caudmont a rapidement développé une réputation de femme crainte, à la rigueur et à la droiture exacerbée. Mais sous cette carapace, ses anciennes connaissances racontent une femme qui ferait tout pour le confort de ses élèves et qui s'opposait foncièrement au nazisme, contrairement à la directrice de l'école, proche du régime de Vichy.

C'est à la demande d'un pasteur nommé Marcel Pasche et au nez de sa direction, que Simone accepte de cacher Renée Grudki-Strauss et Huguette Fuks au sein de l'établissement. "On ne connaît pas trop ses motivations", explique Ann-Laure Liéval, professeure d'histoire au lycée Fénelon. "Elle n'a pas laissé de journal donc c'est assez difficile de décrypter son engagement, sûrement basé sur de simples valeurs humanistes."

On ne connaît pas trop ses motivations. Elle n'a pas laissé de journal donc c'est assez difficile de décrypter son engagement, sûrement basé sur de simples valeurs humanistes.

Ann-Laure Liéval, professeure d'histoire au lycée Fénelon

En tout cas, dès novembre 1942, la censeure fait entrer Huguette et Renée, à peine âgées de 10 ans, au sein de l'école. Omettant évidemment de renseigner leur confession juive dans les dossiers administratifs.

Mais finalement, la future Juste n'a que très peu fréquenté les deux fillettes : "Elle n'était pas institutrice, c'était un agent administratif donc elle connaissait les élèves, mais elles n'avaient pas de relation propre." Au contraire, sous couverture, mieux valait ne pas se montrer ensemble. Sauf en cas de pépin avec l'administration : toujours, la censeure interférait pour ne pas éveiller de soupçons sur ses deux protégées... D'autant plus qu'un centre de la Gestapo n'était pas très loin.

"Des Allemands venaient souvent faire des contrôles de routine et rendre visite à la directrice", raconte Léa. "Mme Strauss nous expliquait qu'elle s'était déjà retrouvée nez à nez avec un soldat allemand en 1944. Elle a cru qu'il venait pour elle et que c'était la fin."

Vers une page Wikipédia ?

Sans le témoignage de Renée, ces souvenirs auraient pu être emportés et jamais retrouvés. Car lorsque Simone Caudmont prend sa retraite en 1962, elle quitte le lycée Fénelon en gardant ces actes de bravoure secrets, refusant toute distinction. "Elle n’avait pas forcément envie de recevoir un titre, elle a été très discrète sur ce qu'elle a fait pour Huguette et Renée", commente Lina. "Donc toutes nos recherches et notre travail c'est aussi pour lui rendre sa juste place."

Elle n’avait pas forcément envie de recevoir un titre, elle a été très discrète sur ce qu'elle a fait pour Huguette et Renée. Donc toutes nos recherches et notre travail c'est aussi pour lui rendre sa juste place.

Lina, élève de terminale

Le film ambitieusement produit par Sara, Clara et leur groupe s'inscrit donc dans cette visée. Mais faute de temps, le groupe de lycéens n'a finalement pas souhaité l'envoyer au CNRD, "pour ne pas le bâcler". À la place, elles et ils ont organisé une projection, suivie d'une cérémonie pour accrocher la nouvelle plaque, enfin arrivée au lycée Fénelon le 24 mai 2023.

Après avoir reçu le titre de Juste parmi les nations et suivant une multitude de cérémonies d'hommage, d'autres projets continuent de s'organiser autour de Simone Caudmont. Ses proches et sympathisants espèrent notamment pouvoir donner son nom à une rue ou à un parc dans le centre de Lille, "pour rester dans l'aire géographique où elle vivait". 

Les élèves du lycée Fénelon souhaitent également lui dédier une petite exposition et, surtout, une page sur Wikipedia. "D'ici la fin de l'année on espère", mentionne Lina. "Il y a une page de 3 kilomètres de conditions. On s'est dit, « ah ouais, en fait, ça va prendre plus de temps que prévu ». Mais on ramasse un maximum de documents et on tiendra bon."

Passage de relais

De cette expérience d'historiennes, les quatre jeunes filles regroupées dans leur CDI tirent beaucoup de leçons et de perspectives. Léa par exemple - qui a repris avec Lina et leur nouveau groupe les recherches sur Simone Caudmont - a remporté le fameux concours du CNRD le 14 mai dernier. En mars, la jeune fille s'est illustrée en écrivant une dissertation sur la résistance, dans laquelle elle a pu judicieusement intégrer des éléments sur la vie de Simone.

C'est enrichissant pour nous, mais c'est surtout super important pour le devoir de mémoire. Pour l'histoire, qui pourrait encore arriver encore aujourd'hui.

Clara, étudiante

Pour elle, cette victoire est entièrement liée aux recherches menées sur la Juste de Fénelon. "C'est une chance d'avoir travaillé sur elle, c'est ce qui a nourri ma dissertation et mon concours. Je pense que je ne l'oublierai jamais. Et si j'ai la possibilité de travailler sur elle plus tard, même pour aider les prochains élèves, je le ferai, parce que c'est quelqu'un qui m'a marquée ces dernières années."

Les trois autres étudiantes acquiescent. "Je trouve qu'on réalise encore plus les faits quand on travaille dessus, ça nous touche encore plus que lorsqu'on en parle en cours." Clara a les yeux qui brillent : "Ce n'est pas juste le travail d'une année qu'on finit par oublier. Je trouve ça génial que les nouveaux terminales reprennent le travail et ainsi de suite. C'est enrichissant pour nous, mais c'est surtout super important pour le devoir de mémoire. Pour l'histoire, qui pourrait arriver encore aujourd'hui."

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