Ce vendredi 19 mai, le tribunal correctionnel de Paris a rejeté une citation directe déposée par plus de 2000 personnes. La procédure devait aboutir à un procès pénal dans le désormais célèbre scandale de l'amiante. Pierre Pluta, ancien ouvrier sur les chantiers navals de Dunkerque et président de l'ARDEVA, ne comprend pas cette décision.
Leur combat a bientôt 25 ans. La justice a rejeté ce vendredi une citation directe déposée par près de 2000 personnes, victimes ou ayants droit, afin d'engager un procès pénal dans le scandale de l'amiante.
Les juges l'ont invalidée cer trop imprécise selon eux. Ils estiment, en outre, que les victimes doivent apporter les preuves d'un crime ou d'un délit dans cette procédure.
Les victimes et proches de victimes accusent quatorze "responsables nationaux", réunis dans le "Comité permanent amiante", d'avoir oeuvré au report de l'interdiction de l'amiante en France. Parmi eux, on trouvait des scientifiques, industriels, médecins et hauts fonctionnaires.
L'usage de la fibre cancérogène est définitivement interdit le 1er janvier 1997, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait reconnu vingt ans plus tôt que la substance pouvait favoriser l'apparition de cancers.
"La catastrophe sanitaire était annoncée"
"C'est incompréhensible. On nous demande des précisions alors que c'est à la justice de mener ce travail", réagit Pierre Pluta. En 1996, il a fondé l'ARDEVA (Association régionale de défense des victimes de l'amiante), basée à Dunkerque, dans le Nord. "Le parquet s'oppose à ce que les victimes aient des explications sur les véritables raisons pour lesquelles l'amiante a continué à être utilisée, et cela alors que la catastrophe sanitaire était annoncée", s'agace-t-il.
Dans ce combat, Pierre Pluta fait partie des meubles. Aujourd'hui âgé de 77 ans, l'ancien ouvrier a passé vingt-cinq années de sa vie sur les chantiers navals de Dunkerque, où il était ajusteur-mécanien. "Le chantier a fermé en 1988 et dans le cadre de ma reconversion, il m'a été demandé de faire un contrôle pulmonaire", se remémore Pierre Pluta.
L'ouvrier se rend chez le pneumologue. "Monsieur, vous avez travaillé dans l'amiante", lui lance alors le médecin. "Je ne savais pas ce que c'était. Puis il m'apprend que je suis atteint d'asbestose". La maladie se contracte après une exposition prolongée à l'amiante, qui se mêlait au quotidien des travailleurs sur le chantier naval de Dunkerque. "Je me suis souvenu que des équipes intervenaient avec une sorte de pompe. Ils projetaient de l'amiante sur les cloisons. Une partie restait coincée et l'autre retombait. Nous travaillions tous sans aucune protection respiratoire. Il neigeait de l'amiante, on en était couvert", raconte l'ancien ajusteur-mécanicien.
Plongé dans des lectures qui l'aident à comprendre les conséquences de l'amiante sur la santé, Pierre Pluta cherche à rejoindre des associations pour se regrouper entre victimes. "Aucune n'existait, alors je l'ai créée", relate-t-il.
"La justice n'essaie pas de chercher les responsabilités"
En 2016, l'association s'allie au comité anti-amiante Jussieu afin de fonder l'Association nationale de victime de l'amiante et autres polluants (AVA), également impliquée dans la citation directe. "La justice n'essaie pas de chercher les responsabilités, ni à comprendre. Rechercher des documents, demander l'ouverture d'une enquête, ce n'est pas le rôle du parquet ?", interroge Pierre Pluta.
Antoine Vey, avocat qui accompagne l'AVA sur le plan juridique, abonde : "C'est le principe même de l'action publique : quand une personne pose plainte, une enquête doit avoir lieu à charge et à décharge".
Pour l'avocat, "la décision a été prise au motif d'une imprécision de la citation délivrée alors que cette citation pose précisément un cadre de débat très clair qui aurait pu convenir à un procès contradictoire et public", estime-t-il.
Deux possibilités s'offrent maintenant aux plaignants : faire appel ou tenter une nouvelle procédure en citation directe.
Pierre Pluta, lui, ne compte pas baisser les bras. En attendant les prochaines suites que les associations souhaitent donner à l'affaire, Maître Vey prévient : "Le scandale de l'amiante, au-delà d'être un scandale sanitaire important, est en train de devenir un scandale judiciaire".