Témoignage. "On s'attend à devenir parent et soudain tout s'efface" : le combat d'un père pour instaurer un congé de deuil périnatal

Publié le Écrit par Noëlle Hamez

Le 15 octobre avait lieu la journée nationale du deuil périnatale. L'occasion pour Pierre, jeune arrageois ayant perdu sa fille il y a six mois lorsque sa conjointe était enceinte de 5 mois, de sensibiliser à ce drame, que la politique et la langue française peinent à qualifier.

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Cet anniversaire, Pierre s'en souviendra toute sa vie. C'était il y a six mois, en avril 2024. Le jeune arrageois et sa compagne, enceinte de 5 mois, se rendent à l'hôpital pour une échographie de contrôle. Soudain le verdict tombe : leur fille est atteinte d'une maladie développée intra utero, le parvovirus B19, et ses chances de s'en sortir sont faibles. Transfert vers un hôpital spécialisé, tentative d'opération pour sauver la vie du nourrisson... Quatre jours après l'échographie, le couple rentre chez lui, sans son enfant.

Le choc est violent et le deuil est long. "On n'est pas préparé, on s'attend seulement à devenir parent, à la tenir dans ses bras, et soudain tout s'efface." Pierre parle avec calme, mais dans ses yeux l'émotion brille toujours. Ressasser les souvenirs de ce mois d'avril n'est pas chose aisée pour le jeune homme, qui se considère comme "un père sans enfant".

On n'est pas préparé, on s'attend seulement à devenir parent, à la tenir dans ses bras, et soudain tout s'efface.

Pierre, militant pour le congé de deuil périnatal

La brutalité du choc

"C'est difficile de mettre des mots sur des silences pluriels, sur la violence. Notre cerveau n'est pas programmé pour vivre cette situation où la vie commence par la mort." Alors tout cela, il faut l'intégrer, dans son corps dans son esprit, dans sa famille, et faire le deuil petit à petit d'une personne défunte, mais qui restera centrale pour bien des parents, des pères, des mères.

Selon une étude commandée par le ministère de la Santé en 2021 - la plus récente en la matière - en 2019 la France faisait état de 10,2 décès périnataux pour 1000 naissances. Un chiffre qui tend à stagner mais qui relève l'étendue des Françaises et des Français touchés par le deuil périnatal. Une épreuve dont Pierre note la douleur, tout particulièrement liée à l'absence et au brutal retour à la réalité : l'enterrement à organiser et les projets qui s'effondrent - la chambre à vider, les vêtements à ranger, le berceau à donner... "Tout ça on met de côté. Il y a une chambre qui est vide, un cœur qui est vide et c'est difficile d'en parler. Mais on chérit la vie qu'on a, pour sauvegarder la mémoire de notre fille."

Il y a une chambre qui est vide, un cœur qui est vide et c'est difficile d'en parler. Mais on chérit la vie qu'on a, pour sauvegarder la mémoire de notre fille.

Pierre

Un deuil solitaire

Depuis, l'Arrageois et sa compagne ont entamé une phase de reconstruction en suivant des séances de thérapie et en prenant contact avec l'association Nos tout-petits, qui sensibilise et accompagne les personnes ayant vécu un deuil périnatal.

Le jeune couple explique également s'être réfugié auprès de ses proches pendant un temps, avant de faire face à un constat : "Certains ne savent pas gérer le deuil et le combler par de l'amour et de la bienveillance." Pierre, amer, raconte la violence de certaines phrases, prononcées par des amis, des collègues ou de la famille, qui ne saisissaient pas la portée de leurs propos. "T'es jeune, ça va passer, t'en auras d'autres... On a fait face à des gens qui ne se rendent pas compte qu'on est traumatisés." Une déception qui a pu creuser l'écart dans les relations, parfois jusqu'à la rupture.

T'es jeune, ça va passer, t'en auras d'autres... On a fait face à des gens qui ne se rendent pas compte qu'on est traumatisés.

Pierre

Marianne Lafoutry-Guilhen, présidente de l'association Nos tout-petits, vient appuyer les affirmations de Pierre : "Ce n'est pas forcément malveillant mais les proches ne savent pas toujours comment réagir."

Se serrer les coudes

"La première année et toutes les dates anniversaires sont particulièrement difficiles", relate Marianne Lafoutry-Guilhen. "Souvent l'entourage passe plus ou moins à autre chose et en tant que parent on reste avec ce vide qui prend beaucoup de place."

C'est à ce moment-là qu'intervient l'association Nos tout-petits, pour aider les parents à conserver un lien avec l'enfant qu'ils ont perdu et continuer à le célébrer. Pour ce faire, les bénévoles essaient de recueillir le maximum de traces mémorielles de la vie du bébé - empreintes, photos, vêtements - afin de créer des temps de recueillement, des instants qui permettent de réfléchir et se ressourcer émotionnellement. D'ailleurs, même si cela peut sembler contre intuitif, l'association prend le parti de célébrer les dates d'anniversaires des bébés.

"On se rend compte que ça fait du bien, comme une commémoration, une journée de mémoire", souligne la présidente de Nos tout-petits.

Et puis l'association fait le lien entre des parents victimes du même drame, qui sont près de 7 000 chaque année en France. Parler, raconter son histoire, comprendre que l'injustice dont s'estiment victimes les familles n'est pas isolée. Pierre acquiesce : "On se demande souvent pourquoi nous ? Entendre la parole des autres ça soude, ça aide le deuil et ça permet de se reconstruire."

Vide juridique et violence institutionnelle

En parallèle de sa reconstruction, Pierre mène un long combat pour reconnaître juridiquement le deuil périnatal et faire avancer les aides apportées aux familles. Car en 2024, la reconnaissance sociale et juridique de ce deuil pose encore question, notamment lorsque le décès survient avant la 22e semaine de grossesse : les congés maternité et paternité sont obtenus à partir de 5 mois et demi de gestation. Alors, quid des personnes ayant perdu un enfant entre la 15e semaine, qui permet d'inscrire l'enfant dans le livret de famille, et la 22e ?

Il y a des centaines de personnes qui ne disposent donc d'aucune période de congé pour faire le deuil et qui doivent rembourser la prime à la naissance.

Pierre

Pour l'instant, c'est le vide juridique, voire une forme de violence institutionnelle selon Pierre : "Il y a des centaines de personnes qui ne disposent donc d'aucune période de congé pour faire le deuil et qui doivent rembourser la prime à la naissance (ndlr : aide de 1019,40 euros versée par la CAF au cours du 7e mois de grossesse si vos ressources vous y donnent droit)."

Le couple venu d'Arras redouble donc d'efforts et de prises de parole, notamment ce 15 octobre lors de la journée nationale du deuil périnatal, dans le but de faire reconnaître cette problématique, mais surtout, de créer un congé adéquat. "Je veux qu'on donne une consistance juridique à tous ces enfants, qu'on puisse dire à toute personne qui a perdu son bébé qu'elle aura un congé digne qui lui permettra de prendre du temps pour elle et de se reconstruire."

Avec Christine Defurne

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