En mettant en scène "Ombres (Eurydice parle)", Marie Fortuit s'attaque au mythe d'Orphée pour le raconter par le prisme féminin. Autour de cette pièce se cachent de nombreuses femmes qui l'ont inspirée ou aidée.
C'est un mythe grec que vous avez peut-être étudié à l'école : Orphée, un musicien de génie, tombe amoureux d'Eurydice et l'épouse. Quand elle meurt, il décide d'aller la chercher jusque dans les Enfers. Hadès, le dieu gardien des lieux, l'autorise à repartir avec elle à condition qu'il ne se retourne pas pour la regarder pendant toute la durée du voyage. Orphée oublie sa promesse, se retourne, et perd pour toujours sa chère Eurydice.
Et si Eurydice avait sciemment poussé Orphée à se retourner, pour ne pas repartir avec lui et retrouver sa liberté ? C'est le parti pris d'Elfried Jelinek, première femme à avoir reçu le prix Nobel de littérature, dans son ouvrage Ombres (Eurydice parle). Cette vision révolutionnaire du mythe grec a tellement touché Marie Fortuit, metteuse en scène associée du théâtre Phénix de Valenciennes, qu'elle a décidé de l'adapter au théâtre. La pièce sera jouée à la Comédie de Picardie d'Amiens en 2024.
Eurydice ou la libération de la femme
"C'était nécessaire pour moi de monter ce texte, parce que c'est inverser nos récits fondateurs, explique Marie Fortuit. Depuis l'enfance, et depuis des millénaires, on a intégré un certain conditionnement. Là, c'est sur la question de l'amour romantique et la question de la domination masculine sur les femmes par le personnage d'Orphée."
Le sujet n'est plus la douleur d'Orphée, mais l'indépendance d'Eurydice, libérée de l'aliénation à son mari. "Au-delà de l’anecdote, c’est une façon de sortir de ce chagrin qu’on a toujours, de devoir consoler l’homme, prendre soin en permanence de lui. Eurydice prend la parole et délivre sa vérité, elle accouche de sa vérité, et sa vérité, c’est qu’elle voulait écrire, et pas le fait de s’occuper d’Orphée, de le consoler parce qu’il a raté son concert, etc..., explique-t-elle. C'est l'histoire de beaucoup de femmes qui ont été brisées, et qui ont été tuées pour certaines. Même quand ça n'a pas été physique, symboliquement il y a cet oubli et cette impossibilité pour elles d'être créatrices et maîtresses de leur destin."
Inspirée par ses "frangines d'âmes"
Pour en arriver à monter cette pièce, Marie Fortuit s'est inspirée d'autres femmes artistes, comme Céline Sciamma, réalisatrice du Portrait de la jeune fille en feu, qui raconte l'histoire d'amour entre deux femmes au XVIIIe siècle et fait également référence au mythe d'Orphée.
La metteuse en scène assure avoir été "bouleversée" par ce film. Un sentiment qu'elle partage avec Mathilde Forget, sa "frangine d'âme", à qui elle a demandé d'écrire les chansons chantées par le personnage d'Eurydice sur scène. "On a partagé la passion de ce film qu'on a vu et revu ensemble", précise Marie Fortuit.
La complicité qui lie les deux femmes va au-delà de la simple collaboration professionnelle. L'esprit de sororité est au cœur de leur travail. "C'est essentiel dans ma vie de constituer une communauté de frangines, dont Mathilde fait partie", précise Marie Fortuit.
"On évolue un peu ensemble dans nos féminismes, on échange des textes, on réfléchit ensemble, assure Mathilde Forget. Il faut un peu de colère, on en a toutes les deux, mais on a aussi beaucoup de romantisme et d'intensité."
Retrouvez l'intégralité de l'émission Hauts féminin du 15 mars 2023, avec Marie Fortuit et Mathilde Forget, ci-dessus et les autres épisodes de l'émission sur france.tv.
