Nacim Bardi, 42 ans, est ouvrier et délégué CGT. Cédric Orban, 59 ans, est ingénieur civil et directeur d'Ascoval. Les deux hommes partagent le même but : sauver l'aciérie de Saint-Saulve, dans la banlieue de Valenciennes (Nord), et l'emploi de ses 270 salariés.
De son pavillon en briques rouges à Bruay-sur-l'Escaut, le syndicaliste entend le ronronnement du four de l'aciérie où il est entré à 27 ans. Titulaire d'une maîtrise de commerce, Nacim Bardi était chauffeur de car avant d'y devenir couleur-fondeur en 2004. La "grande époque" : environ 500 ouvriers produisaient alors en moyenne 600.000 tonnes par an, contre 200.000 en 2018. Un travail "dur" mais "nous en sommes fiers". "Comme des mineurs, à la fin de la journée, nous sommes sales, mais on a sorti un produit à haute valeur ajoutée", dit-il fièrement.
"Les ouvriers sont des passionnés attachés à leur usine", abonde M. Orban, depuis son bureau de l'usine au style minimaliste. Ingénieur civil de formation, l'industriel a pris la tête d'Ascoval en janvier 2017, dix mois avant le placement en redressement judiciaire d'Asco Industries, son actionnaire principal, et après être passé notamment par Usinor et ArcelorMittal. "A sa place, beaucoup seraient déjà partis...", glisse Nacim Bardi.
Sauver l'entreprise
Diplômé de l'université catholique de Louvain, Cédric Orban est né à Bruxelles d'une mère femme au foyer et d'un père ingénieur informaticien. Père de six enfants, il partage sa vie entre Valenciennes, Paris et parfois sa maison de campagne, au milieu de la forêt de Compiègne, où il aime jardiner.
La sénatrice UDI du Nord Valérie Létard le décrit en directeur "humain" mais "ferme professionnellement", un "industriel qui maîtrise parfaitement son domaine". Puis salue "l'extraordinaire alliance" entre direction et syndicats. "Je crois qu'ils ont compris qu'on travaillait tous pour sauver l'entreprise", résume Cédric Orban.
Les salariés ont peu fait grève : deux semaines en octobre 2018 mais c'était "normal" pour l'industriel. "Il prévalait une forme d'injustice, ils se retrouvaient sans repreneur alors qu'ils ont un bel outil, des compétences manifestes et un personnel qui a montré son sens des responsabilités".
"Syndicaliste hors normes"
"M. Orban est un industriel, rien à voir avec des fonds d'investissement qui achètent des entreprises avec une vision comptable et qui ne savent pas comment ça marche. En cela, il a établi une relation de travail avec les syndicats", explique Fabien Roussel, député PCF de l'arrondissement.
Mais les débats ont parfois été houleux, notamment sur le temps de travail : des salariés ont perdu une dizaine de jours de RTT. "Une condition suspensive d'Altifort", qui s'est finalement désisté, "du chantage ! Mais on a accepté, car notre objectif premier était de maintenir l'activité", relate Nacim Bardi.
Ce footballeur amateur, père de trois enfants, a grandi à Quiévrechain, à la frontière belge. Sa mère était elle aussi femme au foyer et son père, décédé d'une maladie causée par l'amiante, soudeur chez Bombardier à Crespin. Malgré ses activités syndicales, Nacim Bardi, 31e sur la liste du PCF pour les élections européennes, exerce encore à temps plein.
"Il faut rester proche des collègues, sinon vous êtes déconnecté", soutient l'ouvrier. Et, grâce à cela, "il est un porte-voix parfait des salariés car il parle la même langue qu'eux, il est en symbiose", vante M. Roussel. "Il a une carrure de meneur d'hommes sans y paraître. Il sait se faire entendre et les gens le suivent", ajoute une source proche de la direction qui décrit un "syndicaliste hors normes", "affilié CGT mais constructif".
"Fervent batailleur, je l'ai vu s'effondrer en larmes après de mauvaises annonces", raconte Bruno Kopczynski, délégué CFDT et porte-parole de la coordination syndicale.
En période de négociations, "il y a toujours un rapport de force avec la direction, mais ce rapport est sain, il n'y a pas de cachotteries", assure M. Bardi. Car "nous sommes tous convaincus que nous pouvons continuer à vivre !", conclut Cédric Orban.