Depuis le début de la crise du Covid-19, les Ehpad des Hauts-de-France sont endeuillés : 980 résidents sont décédés depuis le 1er mars. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, certains établissements ont été épargnés tandis que d'autres ont été en première ligne face au virus.
Depuis le début de l’épidémie dans les Hauts-de-France, près de la moitié des 2119 personnes décédées du Covid-19 étaient résidents en établissement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) : 980 en tout.
Impossible de connaître ces chiffres à l’échelle départementale, Santé Publique France ne communiquant les données qu’à l’échelle régionale. Cependant, les Ehpad du Nord et du Pas-de-Calais n’ont pas été épargnés par le Covid-19.
Au-delà des données de Santé Publique France, l’INSEE publie chaque semaine le nombre de décès par commune. Entre le 1er mars et le 27 avril, 334 résidants d’Ehpad sont morts dans le Nord, ils sont 229 dans le Pas-de-Calais. Soit une hausse respective de 43,9% et 53,7% par rapport à la même période sur l’année 2019. Des chiffres à comparer également aux décès survenus en 2018, année lors de laquelle la grippe saisonnière avait déjà fait de nombreuses victimes. Dans le Pas-de-Calais, les Ehpad enregistrent une hausse des décès de 10,6%, tandis que dans le Nord les chiffres sont similaires.
Peut-on alors affirmer que le Covid-19 a engendré une surmortalité des les Ehpad du Nord et du Pas-de-Calais ? La corrélation semble très forte dans certaines communes du Nord et du Pas-de-Calais. Tour d’horizon des Ehpad touchés de plein fouet par le virus.
19 décès dans un Ehpad à Saint-Amand-les-Eaux
Prenons l’exemple de la ville de Saint-Amand-les-Eaux. La commune de 16 100 habitants a observé une hausse de 54% de surmortalité sur la période du 1er mars au 19 avril 2020. Soit 15 décès supplémentaires par rapport aux années précédentes. La moyenne d’âge des personnes décédées sur cette période est de 87 ans. Un établissement pour personnes âgées dépendantes a été touché de plein fouet par le Covid-19, provoquant ainsi une hausse notable de la mortalité dans la commune.
À Saint-Amand-les-Eaux, les quatre Ehpad sont gérés par le Centre Hospitalier de la ville. Soit plus de 350 personnes dépendantes. Parmi ces structures, la résidence du Bruille a été la seule touchée par le Covid-19. Dès la fin du mois de mars, la direction observe la multiplication de cas symptomatiques sévères. Un dépistage massif est alors mis en place très rapidement : sur les 89 résidents, 65 sont testés positifs. À ce jour, 19 sont décédés du Covid-19.
"On a vécu la guerre pendant un mois", raconte Michel Thumerelle, directeur du centre hospitalier de Saint Amand les Eaux. Sectorisation, dépistage massif, prise en charge médicale renforcée… le maximum a été fait pour éviter l’hécatombe. "Notre combat, c’était de ne pas perdre les 65, explique le directeur. Ça va très vite. Une personne vous sourit, 15 minutes plus tard, elle est en arrêt respiratoire et vous avez 15 minutes pour la sauver."
Depuis le milieu de la semaine dernière, plus aucun décès n’est à déplorer et aucun transfert en réanimation n’a été effectué depuis la résidence du Bruille, qui semble enfin apercevoir le bout du tunnel.
Surmortalité : +700% à Marquette-en-Ostrevant
Entre le 1er mars et le 19 avril, la commune de Marquette-en-Ostrevant, 1860 habitants, a connu une surmortalité de 700% par rapport à la moyenne sur les années 2018 et 2019 : 1 décès enregistré en moyenne sur la même période en 2018 et en 2019, contre 8 décès recensés en 2020. Ce chiffre peut être directement lié à aux décès enregistré dans l’Ehpad de la ville à cause du Covid-19.
Le champ d’or, Ehpad géré par l’association Aides, accueille d’une part 34 personnes âgées dépendantes, et d’autre part 28 personnes âgées et en situation de handicap psychique. Touché par le Covid-19 dès le début du confinement, l’établissement réalise 3 premiers tests, tous positifs. À l’époque, dépister massivement n’est pas la solution choisie par les autorités. "Dès qu’on recense trois cas positifs, on ne teste pas tout le monde. L’établissement entier est considéré être affecté par le Covid-19", explique Pierre Pruvost, directeur de l’association Accès qui gère cet établissemt.
Dans l’unité de géronto-psychologie, les résidents ont entre 60 et 75 ans. Touchée de plein fouet, la majorité des résidants s’en sortiront. Dans l’Ehpad en revanche, la moyenne d’âge est de 85 ans. 6 décès liés au Covid-19 sont à ce jour recensés dans cet établissement, faisant bondir les statistiques de mortalité dans la commune.
D’autres décès de personnes en fin de vie ou ayant d’autres pathologies ont été observés dans cet établissement comme partout ailleurs sur la période du 1er mars au 19 avril.
À Arnèke, "le début de la gestion de la crise n’a pas aidé"
Le directeur de l’Ehpad d’Arneke prône la transparence. L’établissement accueillait 82 résidents au début du mois de mars. À ce jour, 11 décès liés au Covid-10 sont à déplorer. "Tout est allé très vite, raconte Frédéric Delautre, directeur de l’Ehpad. Le premier décès est survenu le 8 avril, le dernier remonte au 23 avril." Soit presque un décès par jour pendant deux semaines. "La surmortalité sur cette période par rapport aux années précédentes a été énorme", déplore Frédéric Delautre.
Après une campagne de dépistage massive à l’initiative du directeur réalisée fin avril, 22 résidents ont été testés positifs au Covid-19. Impossible cependant de savoir comment le virus a pu rentrer, l’établissement s’étant auto-confiné le 8 mars et l’isolement des résidents en chambre étant intervenu dès le 22 mars. Tout au long du mois de mars, "on a continué à nous dire qu’il n’était pas utile que les soignants portent des masques si aucun cas n’était avéré dans l’établissement", explique le directeur.
Dans un courrier de l’ARS datant du 12 mars, il est précisé que "le port du masque doit être réservé aux personnes malades ou aux personnes contact. Dans toutes les autres situations, le port de masque n’est pas nécessaire. (…) Nous appelons à la plus grande vigilance quant à l’usage de ces ressources rares en équipement."
L’Ehpad d’Arneke avait 200 masques en réserve, que le directeur n’a donc pas souhaité utiliser dès la mi-mars conformément aux consignes des autorités. "On voulait les garder en cas de Covid. Ça n’a servi à rien car quand on a un cas ou deux, c’est trop tard, déplore Frédéric Delautre, le début de la gestion de la crise n’a pas aidé."
À Bruay-sur-Escaut, l’Ehpad Korian enregistre 11 décès
La résidence du Halage située à Bruay-sur-Escaut, propriété du groupe Korian, n’a pas échappé au virus. L’établissement peut accueillir 68 résidents. Au 1er mars, 67 lits étaient occupés. Depuis cette date, 11 d’entre eux sont décédés du covid-19. Une campagne massive de tests a pu être réalisée et les 55 résidents restants ont été testés durant la semaine du 27 avril. Résultat : 19 d’entres eux sont positifs au Covid-19.
"Le dépistage nous permet d’affiner les mesures de précaution" explique la communication du groupe Korian. D’après le groupe, la totalité des 19 résidents testés positifs sont symptomatiques et sont actuellement dans un état stable.
À leur tour, les soignants sont actuellement en train d’être testés. À ce stade nous précise la direction, ils sont 60 à avoir été dépistés et 2 d’entre eux sont positifs et actuellement confinés chez eux. D'après une source officieuse, La Voix du Nord affirme que 25 d’entre eux seraient tombés malades.
Dans les Hauts-de-France, 2544 personnels des Ehpad ont contracté le Covid-19 d'après Santé Publique France : 1225 cas confimés et 1319 cas possibles.
Oye-Plage, Montreuil, Berck, Caffiers…
Dans certaines communes du Nord et du Pas-de-Calais, la surmortalité sur la période du 1er mars au 19 avril est directement liée aux nombres de décès du Covid-19 dans les Ehpad . À Oye-Plage par exemple, 10 décès supplémentaires ont été enregistrés sur la commune par rapport à la moyenne des deux années précédentes. Soit une surmortalité de 200%. En parallèle, l’Ehpad de la ville a enregistré 7 décès liés au Covid-19 sur les 78 résidents. "22 ont été porteurs du virus, 17 sont désormais négatifs", assure Sirine Kebbab. la directrice de l’établissement.
L’Ehpad des Oyats à Berck et l’Ehpad Saint-Walloy à Montreuil-sur-mer dépendent tous deux du CHAM, le centre hospitalier de l’agglomération du montreuillois. Nous avons contacté la direction, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, alors que plusieurs décès dus aux Covid-19 ont été enregistrés dans ces deux établissements.
À la date du 3 avril, La Voix du Nord avait rapporté 6 décès à l'Ehpad des Oyats, liés au coronavirus. Nous ne connaissons pas les chiffres actuels. Sur la période du 1er mars au 19 avril, la mortalité a bondi de 81% sur la commune. Sur les 38 morts recensés par la commune, 22 ont été constatés en maison de retraite. À l’Ehpad Saint-Walloy à Montreuil, 2 décès liés à l’épidémie ont également été identifiés par La Voix du Nord.
L’Ehpad de Caffiers a lui aussi été touché par le Covid-19. D’après la Voix du Nord, au moins 5 résidents sont morts du virus et une trentaine ont été infectés.
Quid des décès dûs au confinement ?
Au-delà des décès liés directement au virus, de nombreux directeurs d’établissements nous ont confiés avoir vu l’état de certains patients se dégrader pendant la période de confinement. Impossibilité de voir leurs familles, isolément dans les chambres… Les conditions de vie pour les personnes dépendantes ont été particulièrement rudes.
"Il y a eu un glissement de l’état de certains résidents, ne pouvant plus avoir de visite, déplore Frédéric Devaux, directeur des Ehpad de Marchiennes et Annoeulin. Une sorte de déprime ou de dépression a pu s’installer." Lui ne déplore que deux décès dans chacune de ses structures. Des chiffres habituels à remettre dans leur contexte. "Sur une année classique, il y a globalement entre 20 est 25% de décès dans un établissement", explique-t-il.
"Ils nous voyaient avec des masques, une attitude différente des mois précédents, raconte Thibaut Gargam, directeur de l’Ehpad de Croisilles. Certains avaient même un sentiment de culpabilité, se demandant si ils avaient fait quelque chose de mal." Dans son établissement, 12 personnes âgées ont été testées positives, dont 2 décès. L’isolement a aussi pesé ici, certains résidents allant jusqu’à se demander : "A quoi bon ?". Depuis le retour possible des visites dans des conditions sanitaires particulièrement strictes, la situation s’améliore. "Les résidents ayant eu la visite de leurs proches rayonnent beaucoup plus", conclut le directeur de l’Ehpad de Croisilles.
Affirmer que des décès ont eu lieu à cause du confinement est impossible, car ces données données sont difficiles à quantifier. "Les retours d’accompagnants nous ont montré que tous les résidents étaient affectés par le confinement" raconte Pierre Pruvost, à la tête de l’association accès qui gère 5 Ehpad. Impossible cependant de quantifier le nombre de personnes pour qui ce confinement a été fatal.
Création d’une association pour accompagner et défendre les familles de victimes décédées dans les Ehpad
Le 5 mai, le collectif 9471 est né, faisant référence au nombres de décès comptabilisés dans les Ehpad de France à cette date. Plusieurs familles de victimes se sont réunies en association pour saisir la justice afin de dénoncer des manquements dans la prise en charge de leurs proches dans les maisons de retraite.A ce jour, 11 plaintes ont été déposées partout en France et 11 dossiers sont en attente de traitement. Deux enquêtes ont été ouvertes concernant des décès à Chaville (Hauts-de-Seine) et Grasse (Alpes-Maritimes).
Maitre Arakelian, avocat des familles de victimes, s’étonne de ne pas avoir eu de dossiers concernant des décès dans les Ehpad des Hauts-de-France à cette heure. Il rappelle que le collectif 9471 a pour but de s'organiser pour permettre à des familles de franchir le pas en déposant plainte. Cette association se constituera partie civile lors des procès futurs.