En menaçant d'un déplacement des campements de migrants au Royaume-Uni en cas de sortie de son pays de l'Union Européenne, David Cameron a mis le doigt sur le tabou de l'ouverture de la frontière, une demande de longue date des associations qui déplorent le rapport de force imposé par Londres.
Un porte-parole du Premier ministre britannique l'a assuré lundi : "il n'y a aucune garantie" que les contrôles côté français restent en place si la Grande-Bretagne quitte l'Union européenne. Alors "rien n'empêcherait des milliers de migrants de traverser la Manche en une nuit pour venir demander asile dans le Kent", selon lui. L'ouverture de la frontière découlerait d'une remise en cause du "traité du Touquet", conclu en 2003 pour juguler l'immigration clandestine en Grande-Bretagne. L'idée de dénoncer ce traité a toujours été fermement rejetée côté français. "Ce serait du perdant-perdant", assure-t-on au ministère de l'Intérieur, en soulignant que les Britanniques ont besoin des Français pour contrôler la frontière, mais que la réciproque est aussi vraie pour organiser l'accueil ou lutter contre les réseaux notamment.
Les deux pays ont conclu en septembre 2014 un accord sur la "gestion de la pression migratoire" à Calais, avec une contribution britannique de 35 millions d'euros. La crainte de l'appel d'air n'est pas loin si Calais devenait le point de passage obligé vers la Grande-Bretagne. Revenir sur le traité ne ferait qu'"envoyer le signal aux passeurs qu'ils sont légitimes à mettre tous les migrants à la frontière pour qu'ils passent" et dans ce cas "demain il n'y en aura plus 6000 mais 20000", avait averti Bernard Cazeneuve la semaine dernière. Cette revendication émane pourtant d'horizons très divers : depuis Xavier Bertrand, le président (Les Républicains) de la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie, pour qui la question n'est plus "taboue" et la situation actuelle ne peut pas "durer éternellement", jusqu'aux associations d'aide aux migrants.
"On ne résoudra pas Calais tant qu'on n'aura pas avancé politiquement sur la Grande-Bretagne"
"On ne résoudra pas Calais tant qu'on n'aura pas avancé politiquement sur la Grande-Bretagne", estime Jean-Claude Mas, le secrétaire général de la Cimade, qui déplore une "externalisation des frontières par la Grande-Bretagne" lui permettant, isolement géographique aidant, de ne pas prendre sa part de la crise des réfugiés. "Si la France était sur une position politique ferme, elle obligerait la Grande-Bretagne à se positionner", ajoute M. Mas, pour qui "on est dans une situation humanitaire telle que cela vaudrait le coup de tenter des rapports de force différents". Le réseau Migreurop, qui parle de "sous-traitance à la France du contrôle de la frontière britannique", déplore aussi "l'utopie de frontières ouvertes aux privilégiés" mais fermées aux autres, conduisant à une "institutionnalisation de la maltraitance des exilés". "Quels que soient les règlements, les barrières, si cela rend difficiles les parcours, cela n'empêche pas forcément les gens de passer", ajoute Olivier Clochard, chargé de mission au CNRS et président de Migreurop. Les risques humains ou le coût financier deviennent de plus en plus élevés, mais "les volontés sont bien souvent plus fortes".L'un des seuls moyens de contourner - au compte-goutte - cette barrière est d'utiliser les dérogations prévues par le règlement de Dublin, qui confie le traitement de la demande d'asile au premier pays où le migrant a laissé des traces. C'est l'un des arguments avancés pour convaincre les exilés de quitter la "Jungle" de Calais : "Si vous avez de la famille proche, ou si vous êtes dans une situation humanitaire spécifique, vous pourrez expliquer votre situation dans les centres et votre demande sera soumise aux autorités britanniques", expliquent les panneaux informatifs dans le centre de jour. Une possibilité trop peu exploitée pour les associations, qui en veulent pour preuve la récente décision d'un tribunal britannique d'autoriser quatre réfugiés de Calais à rejoindre leur famille au Royaume-Uni, le temps que leur demande d'asile soit examinée. Ce jugement "montre les carences des autorités françaises", dit-on chez Médecins du monde, qui vient d'apporter son soutien à la plainte de cinq mineurs pour obtenir que les pouvoirs publics français soumettent leur dossier aux Britanniques.