Jean-Michel Tobelem, spécialiste de l'économie des musées revient, dans une tribune publiée dans Le Monde, sur la situation du Louvre-Lens près de quatre ans après son inauguration. Selon lui, "on peut évoquer la possibilité d’un échec”.
Jean-Michel Tobelem est docteur en sciences de gestion, professeur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’économie des musées. Dans une tribune publiée dimanche sur le site internet du journal Le Monde, il est assez critique sur la réussite du Louvre-Lens. “On peut évoquer la possibilité d’un échec”, indique-t-il de manière prudente.
Le musée a ouvert en décembre 2012. Après une première année où la fréquentation a dépassé les prévisions, les chiffres sont désormais en dessous de ceux avancés lors de son inauguration. Les promoteurs du projet, l’État et la Région, espéraient 500 000 visiteurs par an. En 2015, ce ne sont que 400 000 personnes qui ont découvert les collections lensoises. Jean-Michel Tobelem souligne d’ailleurs que cette fréquentation décevante se fait alors que l’accès de l’exposition permanente est toujours gratuit (cette mesure n’était pas prévue pour durer lors de l’ouverture du musée).
Une seule cause ne suffit pas à expliquer le nombre de visites du musée. Il livre un diagnostic en dix points, qu’il détaille un à un dans sa tribune. Pèsent dans la balance notamment "une ville à l’attractivité réduite", la "localisation excentrée du musée", un "manque d’innovation muséographique et éducative", une "incapacité à atteindre les milieux populaires" ou encore un "impact limité sur l’économie locale".
Nous avons joint Jean-Michel Tobelem par téléphone. Pour lui, la situation actuelle du musée n'a rien à voir avec les conséquences d'un "effet attentat". "Cette situation est inscrite dans les choix stratégiques qui ont été faits", détaille-t-il. "Ce n’est pas la faute à pas de chance ou la fatalité, mais c’est la conséquence de choix. Je suis le projet depuis l’origine et j’avais déjà écrit avant l’ouverture du musée sur les options qui avaient été choisies et qui pouvaient représenter des facteurs de risque. Malheureusement, cela s’est révélé exact.”
Un remède en cinq mesures
Le spécialiste de l'économie des musées propose cinq axes d'amélioration pour le Louvre-Lens.- "Ancrer davantage le musée dans son environnement en s’appuyant sur le patrimoine minier (classé au patrimoine mondial de l’Unesco) et sur les sites de mémoire liés aux conflits mondiaux (qui attirent de nombreux touristes français et étrangers)."
- "Repenser la stratégie de médiation."
- "Travailler en réseau avec les musées de la région."
- "Faciliter la liaison avec la métropole lilloise."
- "Et mettre en place une véritable stratégie de développement territorial."
L'universitaire rappelle que "plus de 300 millions d’euros ont été dépensés jusqu’à présent", et qu'il ne faudrait pas que le musée devienne un "éléphant blanc", un projet d'envergure qui devient un fardeau financier. Il est important pour lui de lier davantage le musée avec les autres sites importants du bassin minier : "Lens présente des atouts importants par rapport à d’autres territoires. On ne va pas se lamenter, il faut les rendre plus efficaces. L’enjeu, c’est de faire des courts séjours dans le bassin minier, en associant le Louvre-Lens avec le patrimoine minier classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, et les sites de mémoire liés aux conflits mondiaux.”
“Les politiques ont défendu un projet de développement local et de démocratisation culturelle, on attend de voir”, conclut-il.
La Mission Louvre-Lens Tourisme a déjà mis en place un site internet en 2015, baptisé "ALL" (Autour du Louvre-Lens) pour "faire découvrir la richesse de la région à moins de 30 minutes autour du Louvre-Lens."
Sans que cela soit en lien avec les chiffres de fréquentation du musée, une nouvelle directrice, Marie Lavandier, va prendre ses fonctions au mois de septembre au Louvre-Lens pour un mandat de cinq ans.
Pas d'effet "Bilbao" à Lens ?
Certains espéraient que la ville de Lens et le bassin minier allaient pouvoir bénéficier d'un effet similaire à celui dont a profité Bilbao en Espagne lors de l'ouverture de son musée Guggenheim. Euralens donne quelques chiffres dans un rapport sur cette réussite espagnole. Bilbao reçoit chaque année 1 million de visiteurs chaque année au musée, cela représente un surcroît de PIB de 210 millions d'euros. Par ailleurs la ville, transformée avec l'ouverture du musée en 1998, a vu son taux de chômage passer à 17%, structurellement inférieur à la moyenne nationale (26%).Lens pour le moment ne bénéficie pas encore des mêmes retombées. Mais Euralens, l'association mise en place pour accompagner les transformations du territoire autour du Louvre-Lens, se donne encore du temps pour voir si l'effet "Bilbao" est réel à Lens. Elle rappelle dans son rapport que plusieurs opérations d'envergure verront le jour dans les prochaines années autour du Louvre-Lens : nouveau centre hospitalier de Lens, nouveau bus à haut niveau de service, pôle de conservation des oeuvres du Louvre à Liévin, etc. Ces investissements devraient apporter au territoire des retombées.