Louise Michel, célèbre militante anarchiste, largement impliquée dans l’insurrection de la Commune de Paris et l’égalité homme-femme, a été emprisonnée un an au donjon de Clermont-de-l’Oise. Retour sur l’escale en Picardie d’une prisonnière pas comme les autres.
Si sa légende était déjà bien écrite, nourrie de son combat pour les ouvriers, de l’éloquence qui accompagnait ses prises de paroles et de son implication dans la Commune de Paris, celle qui appela la mort de ses vœux pour être traitée comme ses homonymes masculins pour les mêmes accusations, se dessina encore un peu plus à Clermont-de-l’Oise.
À Clermont, elle est vue comme une agitatrice, une pétroleuse. Bien sûr, certains s’émeuvent qu’une telle figure révolutionnaire puisse être si près d’eux, mais dans une ville aux idées aussi conservatrices par rapport aux combats qu’elle mène et où les ouvriers sont peu nombreux, elle est surtout vue comme quelqu’un qui sème le désordre.
C’est entre les murs de son donjon, anciennement demeure de la princesse d’Harcourt, devenue Maison centrale de détention pour femmes, que Louise Michel (1830-1905) rédigera une partie de ses Mémoires. Un court passage, suffisant pour alimenter une œuvre qui la fit entrer un peu plus dans la postérité.
Clermont, une ville d'enfermement
Admirée par beaucoup notamment à Paris, elle ne reçoit qu’un accueil peu chaleureux dans l’Oise où elle rejoint la Maison centrale de détention pour femmes criminelles le 15 juillet 1883. "Elle raconte dans ses mémoires être très mal accueillie par les gardiens. L’un d’eux, soutien des Versaillais, lui lance que s’il l’avait eue au bout de son fusil en 71, il aurait aimé l’abattre", appuie Emmanuel Bellanger.
Les combats menés par l’ancienne institutrice ne parlent en effet que très peu à la population d’une ville faiblement industrialisée malgré la présence du chemin de fer depuis 1846. "Très peu d’entreprises se sont installées à Clermont. La main d’œuvre était captée par le développement d’un hôpital psychiatrique. Il est resté jusqu’à récemment le plus grand de France. À l’arrivée de Louise Michel, Clermont est une ville d’enfermement. Elle a perdu l’importance qu’elle avait sur le plan administratif sous l’Ancien Régime avant la révolution."
Si la venue de la prisonnière n’est donc pas une surprise pour les habitants de la commune, le passage de Louise Michel est extraordinaire "dans le sens où il sort de l’ordinaire". Elle n’est pas la seule célébrité qui sera enfermée entre les murs du donjon, "l’enfermement des Gabrielle (Bompart et Fenayrou, épinglées pour assassinat) avait fait les gros titres" mais elle est la seule dont le nom perdurera en plus d’être la seule prisonnière politique d’importance.
Un traitement VIP
Louise Michel, n’est pas lâchée au milieu des détenues condamnées pour vols, infanticides, incendies, prostitution, ou encore vagabondage. "Par ordre présidentiel, elle avait été isolée dans une petite pièce dépendant de l’infirmerie. Un escalier, spécialement construit pour elle, lui permettait de descendre au jardin quand les détenues n’y étaient pas" décrivent les auteurs d’Au Bagne des Femmes, ouvrage édité en 1907. Une mise à l’écart, comme précaution afin qu’elle n’agite pas la prison, aux allures de "quartiers VIP", commente Emmanuel Bellanger.
Elle a eu un traitement de faveur. La majorité de la population ne la comprenait pas et se montrait réticente, ce n’était pas le cas du directeur de la prison. Des documents montre qu’il complimentait sa tenue, son respect des règles. Le dialogue était possible grâce à un certain respect mutuel. Louise Michel a pu écrire à sa famille, ses amis, à ses compagnons politiques et rédiger une partie de ses mémoires.
La situation -qu’elle n’a pas sollicitée- est profondément singulière pour la militante tant la demande d’une faveur ou d’indulgence s’inscrit à l’opposé de ses principes : "Ce ne sont pas de simples mots", tient à appuyer Emmanuel Bellanger. "Elle est allée jusqu’à demander à être condamnée à mort en 1871 afin d’être traitée de la même manière que ses homologues hommes communards." Le conseil de guerre n’ayant pas prévu de mettre à mort les femmes, brancardières ou infirmières. "Elle leur a demandé de faire preuve de courage". Sa demande est ignorée. Elle est déportée et condamnée au bagne en Nouvelle-Calédonie.
Lors de son passage à Clermont elle sollicitera néanmoins une faveur : celle d’être emprisonnée à Paris pour se rapprocher de sa mère gravement malade. Demande validée par le ministère, elle est transférée à Paris le 8 décembre 1884, soit un peu plus d’un an après son arrivée dans l’Oise. Elle y poursuit sa peine à la prison de Saint-Lazare avant d’être graciée le 8 janvier 1886.
Louise Michel, une porte d'entrée idéale sur l'histoire de la commune
Aujourd’hui, l’existence de ce court passage de Louise Michel dans l’Oise perdure essentiellement dans les mémoires des passionnés d’Histoire regrette Emmanuel Bellanger : "Nous avons quand même une rue Louise Michel, mais je ne suis pas certain que les gens sachent qui elle est et pourquoi elle a cet honneur. Même si le mouvement féministe, porté par Metoo, fait qu’elle revient un peu sur le devant de la scène. Jusqu’à présent l’histoire retenait très peu le rôle des femmes. Elles étaient cantonnés à des intrigantes, des muses de certains hommes ou à des empoisonneuses."
Pour ce passionné d’Histoire, puiser dans l’aura d’une telle figure est tout de même précieux : "Elle est un point d’entrée formidable pour parler de l’histoire de la ville et surtout de ce donjon dont il ne reste aujourd’hui que des ruines stabilisées. C’est un nom qui peut avoir la force de soulever l’intérêt des gens et de les rendre fiers de ce qu’ils ont autour d’eux et de la commune dans laquelle ils vivent." Car s'il n’est plus nom à soulever les foules, Louise Michel reste un nom dont l’évocation attire l’attention.