Le week-end dernier, l'imprimerie Morault de Compiègne tournait à plein régime : elle fournit les imprimés de 220 candidats dans toute la France. Le rythme est intense, mais dans un secteur rudement touché par une crise en 2023, ces commandes impromptues font des heureux.
Le téléphone de François Morault, directeur général des imprimeries Morault, n'arrête pas de sonner depuis le jeudi 13 juin. Samedi matin, dans son bureau de Compiègne, il commence même à refuser des commandes. "À un moment, on ne peut pas en prendre plus", souffle le chef d'entreprise.
Il faut dire qu'il doit déjà fournir les affiches, professions de foi et bulletins de vote pour 220 candidats dans de nombreux départements, de la Bretagne jusqu'au Rhône, en passant par l'Île-de-France et toute la région des Hauts-de-France.
"Hier, on me proposait de prendre des candidats où il fallait livrer en Isère, souligne François Morault. Donc en ayant les fichiers aujourd'hui, parce qu'on reçoit encore des fichiers (...) livrer en Isère c'est quand même très loin, il faut des camions express... Donc, on s'arrête à Lyon." Un succès qu'il explique par la réputation de son imprimerie, connue pour accepter les commandes de dernière minute.
Six jours d'improvisation
Dès l'annonce de l'organisation de ces élections législatives, l'imprimeur, qui a l'habitude d'être mobilisé pour les scrutins, s'est organisé afin de pouvoir répondre aux demandes. En commençant par la matière première.
"On n'avait pas forcément l'ensemble du papier pour imprimer les bulletins de vote, les professions de foi, les affiches, détaille-t-il. Le délai est quand même très, très court. On doit livrer au plus tard mardi 18 heures. Certaines préfectures nous demandent même de livrer lundi. On n'a pas encore forcément tous les fichiers, actuellement."
Ces fichiers qui arrivent au fur et à mesure, c'est en premier lieu le problème d'Olivier Guérin, responsable prépresse de l'entreprise. Il s'assure que les maquettes des visuels envoyées par les équipes des candidats sont imprimables et le plus souvent, ce n'est pas le cas.
"C'est un fichier sur vingt qui est bon. Tous les autres, on fait au mieux avec ce qu'on a et les clients aussi, quelque part : ils vont se satisfaire de quelque chose qui va être en couleur, mais pas forcément normé tel qu'on reçoit d'habitude, constate Olivier Guérin. On précise ça dans notre bon à tirer et les clients vont décider, avec le temps imparti, si on va convertir les couleurs ou s'ils vont pouvoir eux-mêmes se retourner avec leur maquettiste et fournir un fichier un peu plus conforme."
Son collègue et lui ont arrêté de compter les mails, mais il estime qu'entre jeudi et samedi, ils en ont reçu entre 300 et 500. "C'est un peu compliqué, mais c'est ce type de travail et de contexte qui veut ça", constate Olivier Guérin.
"On a monté des équipes supplémentaires pour pouvoir répondre aux besoins. Aujourd'hui, on va imprimer 18 millions de professions de foi et 18 millions de bulletins de vote... Pour lundi", ajoute François Morault. La chaîne de production tourne le weekend pour chaque élection, mais cette fois, il a fallu trouver les effectifs en 24 heures.
"C'est bien, quand il y a les élections !"
Un peu plus loin dans l'atelier, le bruit de l'immense rotative écrase les conversations. Ce n'est pas le volume à imprimer qui constitue un défi : dans cette imprimerie de Compiègne, un peu plus de 200 tonnes de papier seront utilisées, contre 950 pour les élections européennes et leurs innombrables bulletins au format A4.
Mais la nature même du scrutin constitue un défi. "C'est de petits tirages, avec à chaque fois un visuel qui change et à chaque fois, on a le même travail à faire", nous éclaire Franck Gricourt, conducteur de rotative, entre deux contrôles des couleurs d'impression. "C'est ce qui nous donne la plus grosse charge de travail. Là, ça va être intense. Je pense qu'on retombera après", conclut-il en riant. Puis il retourne examiner une profession de foi, pour laquelle il faudra ajuster les réglages de la machine afin d'obtenir "plus de rouge et moins de jaune".
Nouveau Front populaire, Renaissance, Républicains, Rassemblement national : tous les partis sont représentés sur la chaîne de production. Ici, la politique est avant tout une histoire de papier. Avec déjà deux scrutins à son actif, l'année 2024 commence donc comme un bon cru, ces commandes inattendues sont bienvenues pour certains. Car en 2023, le prix du papier a fortement augmenté, entraînant une baisse des commandes de 25 % dans le secteur de l'imprimerie.
Alors, malgré les palettes qui envahissent l'entrepôt et ses incessants voyages en chariot élévateur, Jérémy Legand, cariste, est de bonne humeur. "C'est bien, ça fait du bien de voir du boulot quand même, parce que des fois, il n'y a pas tant de boulot que ça. Là, on est bien ! C'est bien, quand il y a les élections !" salue-t-il. En dehors des périodes électorales, l'imprimerie Morault imprime principalement des magazines.
"On fait des heures supplémentaires, c'est intéressant pour nous et ça fait du travail pour l'entreprise. C'est toujours un plus", renchérit Bunthy Thim, le conducteur offset chargé de contrôler les couleurs des bulletins de vote. Cela fait 18 ans qu'il travaille à l'imprimerie Morault et il se réjouit que son entreprise soit devenue une référence sollicitée à chaque élection.
"Mon imprimerie de Compiègne est citée dans les élections, c'est ça qui est bien, souligne Bunthy Thim. On a eu les européennes le mois dernier, là, on enchaîne sur les législatives, c'est pas plus mal !" Les équipes ont jusqu'à mardi, 14 heures, pour livrer tous ces supports électoraux, qui seront ensuite acheminés vers leurs destinations. La chaîne de production tourne jour et nuit jusqu'à cette échéance.